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Tueries en Serbie : pourquoi tant d'armes à feu circulent dans le pays

Selon l'ONG suisse Small Arms Survey, la Serbie est le troisième pays au monde en matière de circulation d'armes à feu, avec 39 pour 100 habitants.
Article rédigé par franceinfo
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Un policier passe devant une école de Belgrade (Serbie) où une tuerie a eu lieu, le 4 mai 2023. (OLIVER BUNIC / AFP)

Un nouveau drame en Serbie. Une tuerie a fait huit morts et 14 blessés dans le pays, jeudi 4 mai au soir, moins de deux jours après une attaque dans une école à Belgrade qui a coûté la vie à neuf personnes, dont huit enfants.

Après plusieurs heures de traque, un homme a été arrêté vendredi matin. "U.B., né en 2002", selon le gouvernement serbe, est soupçonné d'avoir commis la tuerie avec une arme automatique dans trois villages près de Mladenovac, à une soixantaine de kilomètres de la capitale. Il s'agit de "l'un des jours les plus difficiles dans l'histoire contemporaine" du pays, a déploré le président serbe, Aleksandar Vucic, cité par l'AFP. Selon l'ONG suisse Small Arms Survey (contenu en anglais), la Serbie était en 2018 le troisième pays au monde en matière de circulation d'armes à feu (ex æquo avec le Monténégro), derrière les Etats-Unis et le Yémen, avec 39 armes pour 100 habitants. Comment l'expliquer ?

Des stocks d'armes accumulés durant la guerre

Dans les années 1990, du fait des guerres qui ont mené à la fin de la Yougoslavie, puis les conflits dans les différentes zones de la région, un grand nombre d'armes à feu circulaient dans les Balkans. Déjà en 1989, sous le régime de Tito, 6,1 millions d'armes légères et de petit calibre étaient recensées, selon un rapport du ministère de la Défense et de l'Iris en 2017.

La fin des combats a entraîné une baisse de la demande, mais n'a pas conduit à la diminution du nombre d'armes en circulation. Le maintien de l'industrie de l'armement locale est notamment en cause, selon l'Iris. "Que ce soit en Serbie, en Croatie ou au Monténégro, des armes légères et de petit calibre continuent d'être produites", explique le rapport. Ce dernier met aussi en avant le "détournement dans les stocks de l’armée" et la "corruption", liés notamment à "la faiblesse des salaires des ouvriers et la maigre solde des soldats".

Selon l'ONG suisse Small Arms Survey, en 2018, il y avait 2,7 millions d'armes à feu détenues par les civils en Serbie, pour 7 millions d'habitants. Parmi elles, 1,18 million étaient officiellement enregistrées et 1,53 million non déclarées. Le prix d'une arme est plutôt modeste. Une arme de poing coûte 150 euros, un fusil d'assaut 250 euros, d'après Philippe Nobles, chef de section au sein de la direction centrale de la police judiciaire, cité dans le rapport de l'Iris. Ces armes peuvent rapporter davantage lorsqu'elles sont exportées. "En France, le prix de revente est de 1 500 à 3 000 euros", poursuit le spécialiste.

Une partie des fusils d'assaut utilisés lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris ont été produits par la fabrique d'armes de l'ex-Yougoslavie. En janvier de la même année, les tueurs de Charlie Hebdo avaient utilisé un lance-roquettes des Balkans, rappelait l'AFP en 2021.

Une "culture des armes à feu bien ancrée"

Les tueries de ces derniers jours renvoient à d'autres événements similaires qui ont marqué le pays, souligne Reuters (article en anglais). En avril 2013, là encore non loin de Mladenovac, un villageois a tué 13 personnes, dont des membres de sa famille et des voisins, avant de se suicider. En juillet 2007, un homme avait tué neuf personnes et blessé cinq autres dans le village de Jabukovac, avant d'être placé en hôpital psychiatrique. En 2015, six personnes sont mortes après qu'un homme a ouvert le feu lors d'un mariage à Senta. En 2016, un homme a tué cinq personnes, dont sa femme, installées à un café de Zitiste.

"La culture des armes à feu est bien ancrée ici", expliquait en 2016 Predrag Petrovic, du centre de Belgrade pour la politique de sécurité, une ONG serbe, au média allemand Deutsche Welle (article en anglais)

"On le voit lors des célébrations, où les gens tirent régulièrement en l'air. Les armes à feu sont toujours considérées comme des symboles de statut social, comme un signe de pouvoir".

Predrag Petrovic, membre du Centre de Belgrade pour la politique de sécurité

à la Deutsche Welle

"Posséder une arme à feu n'est pas un problème en soi. Mais les armes à feu sont également utilisées pour régler les désaccords quotidiens", ajoute Pedrag Petrovic. Selon lui, l'instabilité dans les Balkans a alimenté le sentiment que les civils devaient être capables de se défendre tout seuls. En outre, les conservateurs au pouvoir dans la région entretiennent un "délire de persécution" en répandant des rumeurs sur des supposés complots d'agents étrangers afin de mobiliser leurs électeurs, "effrayant la population".

A ceci s'ajoute une pratique de la chasse très répandue. Le président Aleksandar Vucic a ainsi mentionné quelque 360 000 armes liées à cette activité, vendredi, d'après des données citées par l'AFP.

Un port d'armes encadré

Pourtant, sur le papier, le port d'armes reste encadré. Les personnes de plus de 18 ans ne peuvent posséder d'armes à feu qu'avec un permis délivré par la police, explique Reuters. Un examen médical est obligatoire et doit être refait tous les cinq ans. Les propriétaires d'armes ne doivent présenter aucun antécédent de crime, de trouble mental, de problèmes liés à l'alcool ou à la consommation de drogues. Mais selon le Centre de Belgrade pour la politique de sécurité, cité par la Deutsche Welle en 2016, sur 400 cas d'utilisation abusive d'armes à feu en Serbie étudiés, 120 étaient liés à l'usage du matériel possédé illégalement.

Après la fusillade dans une école mercredi, le ministère de l'Intérieur serbe a affirmé dans un communiqué que des contrôles ponctuels à domicile pour vérifier que les armes sont bien rangées, sous peine de confiscation, rapporte la Deutsche Welle. Aleksandar Vucic a, lui, promis de "désarmer" le pays. Il a notamment promis une révision du permis de port d'armes légères, selon l'AFP.

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