Assassinat d'un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray : "Nous sommes en guerre depuis de nombreux mois déjà"
Après l'attaque d'une église qui a coûté la vie à un prêtre, francetv info a interrogé Louis Caprioli, ancien policier chargé de la lutte antiterroriste.
Article rédigé par Hervé Brusini
- Propos recueillis par
France Télévisions
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Temps de lecture : 7min
Y a-t-il un problème de suivi des individus connus pour leur radicalisation ou leurs velléités de départ en Syrie ? Quelles nouvelles questions soulève l'attaque terroriste de l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) pendant laquelle un prêtre a été tué mardi 26 juillet ? Pour tenter de répondre à ces questions, francetv info a interrogé Louis Caprioli, ancien policier chargé de la lutte antiterroriste.
Francetv info : L’un des deux assaillants de l’église de Saint-Etienne-du Rouvray portait un bracelet électronique. Il était connu de la justice pour avoir voulu partir en Syrie, comme on a pu le voir pour d'autres terroristes impliqués dans le cadre d’autres attentats. Que vous inspirent ces informations ?
Louis Caprioli : Cette affaire de bracelet électronique soulève un problème qui concerne essentiellement la justice. Il va falloir établir où le porteur du bracelet électronique résidait exactement et s'il avait une tolérance de déplacement. Les zones d’ombre sont encore nombreuses. On ne sait pas encore s’il portait son bracelet au moment des faits ou s’il était parvenu à s’en séparer, etc.
Quoi qu'il en soit, un constat s’impose : la justice doit impérativement faire partie de la lutte antiterroriste. Pour l’heure, elle ne figure pas dans cette stratégie alors que c’est à elle, au niveau du parquet comme des juges d’instruction, qu’il revient d’animer cette lutte. On l’a vu par le passé avec l’action du juge d'instruction Jean-Louis Bruguière. L'homme faisait l’objet de multiples critiques, mais avec lui, les choses fonctionnaient.
Quant au fait que les assaillants soient ou non fichés S, cela pose une fois de plus la question du suivi des suspects de radicalisation. On a déjà assez parlé de cela et de l’aspect débordé des services de renseignements.
Le président de la République parle, comme beaucoup d’autres, de "guerre". A quel genre de "jihadistes" appartenaient les assaillants en Normandie ou à Nice ?
Depuis quelques semaines, on a l’impression que de nombreux individus ici et là en Europe se mobilisent pour apporter – si j'ose le dire ainsi – leur pierre à l’édifice de la guerre jihadiste. On le sait, les théoriciens de Daech ont recommandé de frapper avec tout ce qu’il est possible d’utiliser comme arme, du couteau au camion. En ce sens, nous sommes bien en guerre depuis de nombreux mois déjà.
Pour autant, à mes yeux, il y a, semble-t-il, deux groupes de jihadistes qui passent maintenant à l’acte dans cette guerre. D’un côté, ceux qui appartiennent à des réseaux, qui ont des projets élaborés en groupe. Ceux-là, on a pu les repérer d’une manière ou d’une autre. Ils sont connus et appartiennent à des cellules structurées qui finissent par agir. Et à ce titre, les deux auteurs du crime de l’église normande semblent en faire partie. Ce sont des tueurs qui agissent au nom d’une idéologie jihadiste établie. Pour donner des exemples, je parle de gens comme Abdelhamid Abaaoud (l'un des cerveaux des attentats de novembre 2015 à Paris et de mars 2016 à Bruxelles) ou Maxime Hauchard (bourreau médiatisé d’un otage américain et de prisonniers syriens à la fin 2014, originaire de Normandie).
Et puis, il y a les autres, les inconnus, comme le Tunisien qui a massacré la foule à Nice. La question qui se pose est de savoir si ces gens sont en contact direct avec des commanditaires. En réalité, les mots d’ordre d'action ultra-violente sont relayés chez nous sur les réseaux sociaux ou sur les sites de propagande, et cela peut suffire. Face à ces individus inconnus des services de police, la prévention est quasi impossible. Ce type de circonstances est imparable et constitue le cas de figure idéal pour l’organisation État Islamique.
Après Nice, comme après Saint-Etienne-du-Rouvray, la polémique n’a pas tardé. Nombre de personnalités politiques ont critiqué, pour ne pas dire plus, l’action du gouvernement. Pour vous aussi, la réforme des services de sécurité est indispensable ?
Je le redis, s’il apparaît qu’il y a bien un problème de suivi judiciaire des assaillants de l’église en Normandie, on ne manquera pas de rentrer dans la polémique déclenchée par le président de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats. Selon moi, cette commission n’est pas allée au bout des choses. Elle met surtout en cause la direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris.
A titre personnel, je pense qu’il est urgent de créer une "task force", une force opérationnelle avec des moyens humains et techniques qui évitent l’actuelle grande dispersion de l’action des services de sécurité. Ces moyens sont là, ils sont à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), au Service central de renseignement territorial, ainsi qu’à la Direction centrale de la police judiciaire… Mieux vaudrait une structure unitaire car il est nécessaire de rapprocher les gens qui font de la recherche de renseignements et ceux qui luttent contre le terrorisme. Avec, à la tête de cette structure, un chef qui s’occupe des problèmes de recueil de renseignements. Actuellement tous les gens en charge de cette lutte sont bons et même très bons, il suffirait de les réunir pour créer une unité dans l’action au niveau de la police judiciaire liée de façon permanente aux gens du renseignement.
Il faut aussi impérativement constituer une structure d’écoutes qui n’appartient à aucune des structures actuelles. Elle doit être intergouvernementale. Son rôle, sur commande des différents services existants, serait de collecter et mettre à disposition de chaque service demandeur le contenu d’interceptions d’origine électromagnétiques. C’est ce qui existe au Royaume-Uni sous le nom de CGHQ, une sorte de service de renseignements électroniques, à la façon de la NSA américaine. En France, c’est historiquement la DGSE qui en a quasiment l’exclusivité, et elle travaille sur ses propres centres d’intérêt. Je crois qu’il serait bon que les autorités se donnent les moyens financiers de centraliser le système de l’antiterrorisme, via cette structure qui serait au service des autres. Il ne faut donc pas rajouter un millefeuille à un autre millefeuille comme on peut le voir suggéré, ici ou là.
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