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Attentat de Magnanville : que reproche-t-on à Mohamed Lamine Aberouz, le seul accusé du procès ?

Ce Franco-Marocain était un ami proche de l'islamiste radical Larossi Abballa, qui avait assassiné le policier Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne, Jessica Schneider, en juin 2016.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une photo du policier Jean-Baptiste Salvaing et de sa compagne, Jessica Schneider, exposée lors d'un hommage à Pézenas (Hérault), le 20 juin 2016. (SYLVAIN THOMAS / AFP)

L'attaque avait plongé la police nationale – et tout un pays – dans l'effroi. Le 13 juin 2016, Jean-Baptiste Salvaing, 42 ans, commandant au commissariat des Mureaux (Yvelines), et sa compagne Jessica Schneider, 36 ans, agent administratif dans un commissariat voisin, étaient assassinés au couteau, chez eux, en présence de leur fils âgé alors de 3 ans. L'assaillant, un islamiste radical appelé Larossi Abballa, avait revendiqué l'attaque au nom du groupe Etat islamique (EI) dans une vidéo diffusée en direct sur Facebook, avant d'être abattu par le Raid, quelques heures après.  

Alors que les enquêteurs pensaient initialement que Larossi Abballa se trouvait seul au domicile du couple, les magistrats ont fini par suspecter l'un de ses proches amis, Mohamed Lamine Aberouz, d'avoir été également sur place. Aujourd'hui âgé de 30 ans, il comparaîtra seul au procès du double meurtre, qui débute devant la cour d'assises spéciale de Paris, lundi 25 septembre, pour "complicité d'assassinats terroristes", "kidnapping" et "association de malfaiteurs terroriste criminelle". 

Un homme tardivement suspecté

Ce Franco-Marocain, qui a grandi aux Mureaux dans une famille de cinq enfants, ne faisait initialement pas partie des suspects des enquêteurs. Au lendemain des faits, ceux-ci s'étaient d'abord orientés vers le frère cadet de Mohamed Lamine Aberouz, Charaf Din Aberouz, ainsi que l'un de ses amis, Saad Rajraji. Tous deux étaient proches du tueur et connus de l'antiterrorisme français. 

Ils avaient été condamnés à de la prison ferme avec Larossi Abballa en septembre 2013, lors du procès d'une filière d'envoi de jihadistes au Pakistan. Les enquêteurs les soupçonnaient d'avoir apporté un soutien logistique à Larossi Abballa. Mais ils n'ont pas retenu leur complicité directe dans l'attaque de Magnanville et ont été relâchés, sous contrôle judiciaire.

Le nom de Mohamed Lamine Aberouz n'a refait surface qu'un an et demi après les faits. Après avoir été placé en garde à vue une première fois en avril 2017, puis relâché, il a de nouveau été arrêté en décembre 2017 et mis en examen par les juges d'instruction, qui le suspectent d'avoir été le "complice" direct de Larossi Abballa. 

Une trace ADN décisive

Jusqu'alors, les enquêteurs étaient pourtant convaincus que l'assaillant était seul présent au domicile de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider. Mais un rebondissement majeur de l'enquête est venu étayer cette nouvelle hypothèse : une empreinte génétique n'appartenant ni au tueur, ni au couple, a été retrouvée sur le repose-poignets de l'ordinateur familial des policiers. Elle est apparue dans le fichier national des empreintes génétiques comme étant celle de Mohamed Lamine Aberouz.

Cette trace ADN a fait l'objet d'une bataille procédurale et d'experts. Les avocats de Mohamed Lamine Aberouz ont d'abord défendu l'hypothèse d'un "transfert" en provenance de Larossi Abballa, car leur client lui avait "serré la main" quelques jours auparavant, les deux hommes étant tous deux de proches amis. Mais des experts ont jugé cette explication "peu convaincante", la concentration d'ADN trouvé sur l'ordinateur des victimes étant trop élevée. Pour l'accusation, c'est la preuve que Mohamed Lamine Aberouz était, lui aussi, présent au domicile des victimes au moment du double assassinat, mais qu'il aurait réussi à prendre la fuite avant l'arrivée des forces de l'ordre. 

Un alibi fragile

Pourquoi Larossi Abballa aurait-il fait appel à son ami au moment de son passage à l'acte ? Mohamed Lamine Aberouz a de "bonnes compétences en matière informatique", souligne l'ordonnance de mise en accusation, ce qui expliquerait pourquoi l'assaillant, moins à l'aise en la matière, aurait pu avoir besoin de ses compétences pour l'aider à diffuser ses crimes sur les réseaux sociaux. Ce dernier aurait également pu incarner "un encouragement moral et un renfort idéologique", selon les juges. 

Mohamed Lamine Aberouz n'a de son côté cessé de clamer son innocence. Il assure ainsi avoir passé une partie de la soirée du 13 juin 2016 dans une salle de mosquée des Mureaux. L'analyse de sa téléphonie n'a pas permis d'attester cet alibi, sans pour autant le réfuter. Aucun témoin n'a toutefois pu confirmer qu'il était bien présent ce soir-là. 

En revanche, le bornage de son téléphone a livré d'autres informations, montrant qu'il s'était rendu à plusieurs reprises à Magnanville, dans les environs du domicile des victimes, quelques jours avant le drame. Il a expliqué aux enquêteurs avoir accompagné Larossi Abballa dans ses déplacements professionnels. Mohamed Lamine Aberouz a de plus déclaré s'y être rendu dans le cadre de cours de conduite. Les moniteurs de son auto-école n'ont pas été en mesure de dater les cours de conduite qu'ils lui ont dispensés, et de confirmer cette explication de l'accusé. 

Un "guide religieux" pour Larossi Abballa

Mohamed Lamine Aberouz n'est en outre pas un inconnu de la justice antiterroriste. Ce célibataire sans enfants, qui vivait chez sa mère, a déjà été mis en examen dans l'enquête sur la tentative d'attentat aux bonbonnes de gaz de Notre-Dame, à Paris, pour "non-dénonciation de crime terroriste", en raison de ses liens avec Sarah Hervouët, une des jeunes femmes impliquées. Celle-ci a été condamnée en 2019 à vingt ans de réclusion dans le cadre de cette affaire, notamment pour avoir porté un coup de couteau à un agent de la direction générale de la sécurité intérieure en civil, quatre jours après l'attentat raté. Au moment de son arrestation, en septembre 2016, elle était fiancée à Mohamed Lamine Aberouz, alors âgé de 23 ans. 

Dans le cadre de l'attentat de Magnanville, les enquêteurs perçoivent le Franco-Marocain comme un "guide religieux" pour Larossi Abballa, qui le fréquentait très régulièrement et voyait en lui un confident. Des audios échangés entre les deux hommes via la messagerie Telegram montrent que Mohamed Lamine Aberouz lui prodiguait des conseils au sujet de la religion, "tels que l'apprentissage et la pratique de l'islam et de la langue arabe, la jurisprudence islamique, le jihad, la propagande, la doctrine et les actions militaires de l'Etat islamique (…) ainsi que sur l'actualité irako-syrienne", décrit l'ordonnance de mise en accusation. 

"Soit la victoire, soit la mort en martyr !"

Selon les juges, Mohamed Lamine Aberouz a d'abord nié son adhésion à l'islamisme radical et au jihad armé, mais "a fini par admettre que l'idéologie de l'Etat islamique correspondait le mieux à ses propres convictions", même s'il a déclaré condamner "les excès de méthode" de cette organisation terroriste. Il a également reconnu qu'il avait suivi sur Telegram des chaînes de propagande de l'Etat islamique, "expliquant avoir voulu se renseigner au sujet de cette organisation". Lors de son audition, l'une de ses connaissances a par ailleurs assuré que Mohamed Lamine Aberouz connaissait "le fonctionnement de toutes les armes (…) et considérait que la guerre sainte était toujours d'actualité"

En outre, les enquêteurs relèvent qu'il a supprimé l'application Telegram de son téléphone la nuit de l'assassinat du couple. Un élément prouvant, selon eux, qu'il voulait "échapper aux forces de l'ordre" et effacer ses échanges avec Larossi Abballa. Quelques jours avant l'attaque, il avait aussi déposé chez un proche "divers effets personnels, parmi lesquels une clé USB contenant des fichiers de propagande de l'Etat islamique"

Pour les enquêteurs, Mohamed Lamine Aberouz connaissait forcément les projets d'attentat de Larossi Abballa. Il lui avait même envoyé des audios Telegram explicites – tels que "soit la victoire, soit la mort en martyr !", quelques jours avant les faits, montrant selon eux un encouragement à passer à l'action. "Monsieur Aberouz n'a jamais caché ses opinions, déclarait son avocat, Me Vincent Brengarth, au Monde, en avril 2022. Mais j'ose espérer qu'on ne juge pas les opinions en France."

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