Procès de l'attentat de Strasbourg : le récit encore à vif de Damien, l'homme qui a désarmé Chérif Chekatt

Devant la cour d'assises spéciale de Paris, le jeune homme est revenu sur le moment où il a choisi de "combattre pour survivre", et sur les lourdes séquelles de son face-à-face avec le terroriste.
Article rédigé par Clara Lainé
France Télévisions
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Les secours interviennent dans une rue de Strasbourg, après l'attentat qui a fait 5 morts, le 11 décembre 2018. (ABDESSLAM MIRDASS / AFP)

"Je suis la victime qui a tenté d'arrêter Chérif [Chekatt] lors de sa course meurtrière." Mercredi 13 mars, au quatrième jour des témoignages des parties civiles au procès de l'attentat de Strasbourg, la salle de la cour d'assises spéciale de Paris est suspendue aux lèvres de Damien. Il n'y a pas la moindre trace de vantardise dans sa voix. Ce qu'il livre à la barre n'est pas le récit d'un héros, mais d'un rescapé.

Avant ce 11 décembre 2018, il n'est ni l'un ni l'autre. Seulement un jeune homme de 28 ans qui retrouve deux amis, Tom et Jérémy, pour parler de l'avenir de leur groupe de musique. Ils fument une cigarette devant le café-bar Les Savons d'Hélène et les idées fusent : pourquoi ne pas se professionnaliser ? Damien est euphorique. Il vient de quitter son travail, ce qui lui a permis de réunir la somme nécessaire pour payer les billets de bus qui permettront à sa compagne et à sa famille d'enfin se rencontrer. Des rêveries interrompues par un mouvement de foule qui surgit du sens opposé de celui d'où il est arrivé : des gens courent vers eux, le visage apeuré. Damien raconte qu'il suit du regard une petite fille à bout de souffle qui veut s'arrêter, et son père qui lui dit de continuer, encore et encore. Il ne comprend pas, n'a pas le temps de comprendre.

Un cri "qui ne s'oublie pas"

Il est 19h53 et Chérif Chekatt vient d'entrer dans son champ de vision. Le terroriste tire sur Jérémy, son ami, qui tombe à terre. La balle vient de toucher l'arrière de son crâne. Dans le même temps, Damien est projeté au sol. "Je suis apeuré, tétanisé, je reste figé", se remémore-t-il. Un état de sidération qui ne dure que quelques secondes : très vite, un cri, qui résonne encore aujourd'hui dans les cauchemars de Damien. Le genre "qui ne s'oublie pas". Il l'apprendra plus tard, mais c'est Jérémy qui pousse ce hurlement. Se produit alors un moment de bascule : "Je comprends qu'il faut que je me lève et que je combatte pour survivre".

Damien se redresse et entame un corps-à-corps avec l'assaillant, parvenant à subtiliser son revolver. Mais Chérif Chekatt possède deux armes : avec son couteau, il attaque Damien, lui assénant une dizaine de coups dans le dos. Le dernier touche sa moelle épinière, et le jeune homme s'effondre au sol. Des soldats de l'opération Sentinelle interviennent, ainsi que son ami Tom. Au milieu du chaos, le terroriste parvient à s'échapper.

Comme son ami Jérémy, Damien survit. Pris en charge par les secours et soigné au nouvel hôpital civil de Strasbourg, il a l'impression d'être "comme sur des charbons ardents", "complètement hors du temps et de l'espace". Peu à peu, entouré de sa compagne et de sa famille, il reprend cependant espoir. Le 31 décembre, il quitte quelques heures sa chambre pour se rendre avec ses proches dans une pizzeria, et oublier un instant les plats surgelés de l'hôpital. Mais cette sortie est une nouvelle douche froide. Il réalise que tout est devenu une épreuve : les pavés de la route qui font vibrer sa colonne vertébrale, le regard des autres face à ses dix kilos perdus et son visage malade, l'entrée du restaurant qui n'est adaptée à son fauteuil roulant... "Ça a été une atrocité. J'en ai vomi le soir même, de cette pizza dont j'avais tant rêvé", soupire-t-il à la barre, cinq ans plus tard.

Un handicap durable, mais une foi intacte en l'humanité

Dans un centre de rééducation, Damien se rétablit. Mais aujourd'hui encore, il reste atteint du syndrome de Brown-Séquard, qui l'empêche de marcher sans boiter. Une partie de sa jambe est touchée par une déficience sensorielle : "Quand on me pince, quand on me caresse à cet endroit, je ne le sens pas". A la barre, il explique que les rencontres, lors de sa convalescence, l'ont aidé à relativiser son sort. Mais il regrette d'avoir affirmé aux experts : "Je vais bien, je suis passé à autre chose""Ce n'est pas vrai", reconnaît-il aujourd'hui.

Le jeune homme a beau ne pas avoir renoncé à la musique, il a dû réinventer sa manière de pratiquer son métier : la présence de trop de gens lui est devenue "insupportable". Quand il lui arrive malgré tout de sortir avec des amis, le souvenir de l'attentat continue de peser dans son esprit : "A chaque fois que je tente de reprendre une vie normale, je suis désormais obligé d'envoyer un message pour rassurer ma compagne, lui dire que tout va bien", raconte-t-il, la voix enrouée par l'émotion.

Son avocat relève qu'il "continue à appeler son bourreau par son prénom". Et souligne la foi en l'humanité de son client malgré la violence à laquelle il a été confronté. "Je pense qu'il peut y avoir des causes qui dépassent chaque individu, répond calmement Damien. Il y a forcément une raison, qui est autre que la folie. Il est un être humain, tout simplement". En quittant la barre, il tombe nez-à-nez avec sa femme, qui s'apprête à témoigner à son tour. Ils se prennent dans les bras sous les yeux de la présidente de la cour. L'espace de quelques secondes, le protocole s'efface. Après le récit de l'enfer, une lueur d'humanité éclaire la salle.

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