A partir de quel moment peut-on qualifier une action violente d'attentat ?
Pour le chercheur François-Bernard Huyghe, que nous avons interrogé, une action violente est qualifiée d'attentat notamment lorsqu'il existe une volonté de faire passer un message en s'en prenant à des cibles symboliques.
"Ce qui est arrivé hier soir est incontestablement, qu'on le veuille ou non, un attentat, une forme d'attentat terroriste." Pour le maire de Strasbourg, Roland Ries, il n'y a pas de doute sur la nature de la fusillade survenue près du marché de Noël dans la soirée du mardi 11 décembre. Mais la définition d'un attentat reste sujette à interprétation. L’article 412-1 du code pénal le définit comme "un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national".
Interrogé par franceinfo, François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et auteur de Terrorismes : violence et propagande (Gallimard, 2011), le nombre de victimes ou l'ampleur des dégâts commis ne suffisent pas à qualifier une attaque "d'attentat". Pour le chercheur, il s'agit d'abord d'une volonté de "déstabiliser la société dans le but d’imposer une certaine idéologie".
Franceinfo : Y a-t-il des critères incontournables pour définir un attentat ?
François-Bernard Huyghe : Pour qu’il y ait attentat, il faut forcément qu’il y ait une atteinte à un principe d’autorité, une valeur à laquelle on croit. Dans le cas d’un attentat commis par l'Etat islamique par exemple, il s’agit de gens qui en veulent à notre démocratie, à notre mode de vie, aux droits de l’homme. Les terroristes cherchent à tuer notre idée du monde en nous opposant la leur. Commettre un hold-up ne rentre pas dans cette définition parce qu’il n’y a pas la volonté de faire passer un message.
Quand on choisit de faire un attentat, c’est pour s’attaquer à une personne physique ou un bâtiment, avec l’idée qu’ils représentent quelque chose. Dans Les Justes, d’Albert Camus, c’est ce que font les étudiants anarchistes. Ils disent : "En tuant un homme j’ai voulu tuer une idée." Ils frappent le tsar, le policier ou le bourgeois pour réveiller le prolétariat.
Existe-t-il toujours une stratégie d’intimidation derrière l’attentat ?
Oui, et de provocation du camp adverse. Le terroriste pense que son acte va obliger l’ennemi à faire plus de répression et révéler son vrai visage. Ainsi, le jihadiste pense qu’il va donner l’exemple à d’autres qui vont se lever pour terroriser les mécréants à leur tour.
Dans les milieux anarchistes du XIXe siècle, les intellectuels disaient que l'attentat, c'était la stratégie du pauvre, qui n'avait pas les moyens d'avoir une armée mais qui posait des bombes pour lutter contre la police et le capitalisme.
François-Bernard Huygheà franceinfo
Il y a l’idée que lorsque l'on commet un attentat, on se place systématiquement du point de vue de l’opprimé.
Pourquoi a-t-on tendance à qualifier un attentat de terroriste ?
Il est vrai que l'on utilise le mot attentat presque seulement dans un contexte terroriste. C’est devenu un emploi courant, par les journalistes notamment : quand on dit "attentat", on pense "acte terroriste". Et selon moi, les deux termes se rejoignent puisqu’il s’agit d’actions criminelles pour déstabiliser la société dans le but d’imposer une certaine idéologie. L’attentat est devenu la première méthode d'action des terroristes.
Est-ce qu'il faut se fier à l’ampleur des dommages commis pour décider s'il s'agit, ou non, d'un attentat ?
Oui, il faut qu’il y ait des conséquences matérielles d’une certaine gravité. On ne fait pas un attentat avec une bombe de peinture. L'attentat pacifique n'existe pas. Il s'agit forcément de faits violents. Soit des gens sont tués, soit les actes commis auraient pu amener à tuer des gens.
Le plus souvent, il y a des victimes, mais ce n'est pas systématique. On peut parler d'attentat sans qu'il y ait des morts.
François-Bernard Huygheà franceinfo
C'est avant tout l'ambition politique qui définit l'attentat comme tel, pas l'ampleur des dégâts. Par exemple, l'attentat du Petit-Clamart contre le général De Gaulle en 1962 a raté ; il n’est pas mort. Mais il y a eu tentative de nuire à l’incarnation de l'Etat.
Mais lorsque que des terroristes ciblent des personnes au hasard, comme c'est de nouveau le cas à Strasbourg, il ne s'agit pas de figures symboliques particulières…
Si, parce que pour la plupart d'entre eux, nous sommes tous coupables puisque nous ne sommes pas convertis. Quand il s'agit de jihadistes, il n'y a pas de victime innocente. Mais le fait de frapper n'importe qui n'est pas nouveau : quand les anarchistes ont lancé une bombe dans le café Terminus en 1894 ils disaient "aucun bourgeois n’est innocent". Qu’importe la cible tant qu’elle représente quelque chose.
Y a-t-il toujours une revendication ?
Oui, c'est l'une des grandes caractéristiques de l’attentat. Soit c'est la personne qui l'a commis qui le revendique ; jusque sur les marches de l’échafaud, Ravachol a revendiqué ses crimes : chez les anarchistes, ça l'a propulsé au rang de martyr. Soit c'est une organisation bien structurée qui dit clairement : "C'est nous". Chez les séparatistes corses, le processus de revendication est fondamental. A tel point que certains se volaient les attentats. Chacun tentait ensuite de se justifier en disant "on l’a fait avec telle arme, qu’on a volé à telle date".
Dans le cas des attentats qui ont été commis par l'Etat islamique, c’est un peu particulier. Ils ont leur processus de revendication avec leurs règles de revendications et même un vocabulaire spécifique pour désigner les auteurs de leurs attentats. Ils parlent d’eux comme des "lions de l’islam ou des soldats de l’islam". Ils regardent aussi si l’auteur de l’attentat a fait allégeance ou non au califat.
Un attentat est-il forcément prémédité, préparé en amont ?
Non. Dans le cas de l’attaque de Nice, on sait que l’auteur s’était préparé, qu’il avait fait des repérages. Mais il y a des cas où le terroriste se décide 5 minutes avant : le tueur des deux étudiantes de Marseille fantasmait peut-être son geste depuis longtemps, mais il est passé à l’acte au dernier moment. Le porte-parole de l'Etat islamique [tué en 2016] avait d'ailleurs théorisé le passage à l’acte semi-improvisé : "prenez un couteau, une pierre ou une voiture, qu’importe : mais attaquez les mécréants", avait-il enjoint. La stratégie du n'importe quoi est quand même une stratégie. L'Etat islamique a participé à des attentats sophistiqués comme celui du Bataclan, mais encourage aussi l’attentat du pauvre : imprévisible et improvisé.
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