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A Strasbourg, "un nid de personnes radicalisées" qui perdure depuis plusieurs années

Avant l'attaque survenue mardi près du marché de Noël, la capitale alsacienne était déjà en proie au problème de la radicalisation.

Article rédigé par Ilan Caro, Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des habitants de Strasbourg (Bas-Rhin) manifestent contre le départ en Syrie de plusieurs adolescents de la ville, le 8 février 2014. (FREDERICK FLORIN / AFP)

La menace planait depuis longtemps sur la ville. L'attentat perpétré dans le centre-ville de Strasbourg, mardi 11 décembre, n'est malheureusement pas une surprise pour les habitants et les élus de la capitale alsacienne. Chacun se souvient qu'un projet d'attentat de grande ampleur avait été déjoué en 2000 contre ce même marché de Noël. "Cet attentat nous a fait comprendre qu'il fallait renforcer notre sécurité", raconte à franceinfo Fabienne Keller, maire de la ville de 2001 à 2008. "Une fois élue, j'ai demandé qu'on développe la vidéosurveillance, 24 heures sur 24, dans le centre ville et dans les quartiers." Mais depuis quelques années, c'est aussi une radicalisation souterraine qui inquiète les autorités locales.

En mai, dans les colonnes du Figaro, le maire, Roland Ries, disait souhaiter "être davantage informé des foyers de radicalisation", d'autant que "10% des fichés S vivraient dans l'Eurométropole", le nom de l'agglomération strasbourgeoise. Ce qui représenterait environ 2 500 individus sur les 25 000 suivis en France (dont 9 700 pour radicalisation), selon des chiffres de novembre 2017. "C'est sûr que Strasbourg fait partie des grandes villes qui sont surveillées, explique une source policière à franceinfo, car on sait qu'elle peut être visée. Mais de là à affirmer qu'il y en a plus qu'ailleurs, c'est difficile à dire."

Comme il y a le Mirail à Toulouse et les Minguettes à Vénissieux, Strasbourg a aussi des quartiers plus compliqués.

Une source policière

à franceinfo

Interrogé par franceinfo, le ministère de l'Intérieur ne commente pas le chiffre avancé par le maire de Strasbourg. Mais au-delà des statistiques, le phénomène est constaté sur le terrain par certains acteurs. "Il y a à Strasbourg et dans le Bas-Rhin un nid de personnes radicalisées qui n'existe pas forcément ailleurs", observe Ghislain Benhessa, avocat au barreau de Strasbourg et spécialiste du terrorisme.

Plusieurs Strasbourgeois ont franchi le pas

A la Maison des adolescents de Strasbourg, qui accueille au quotidien des jeunes en détresse, "les premières inquiétudes liées à la radicalisation islamiste remontent à 2014", explique sa directrice, Delphine Rideau. "Les jeunes qui sont partis en Syrie étaient essentiellement des jeunes adultes, mais aussi quelques plus jeunes, à partir de 14 ans", déplore-t-elle.

En moyenne, par semaine, on a un rendez-vous sur cent qui concerne ces préoccupations de violences radicales.

Delphine Rideau, directrice de la Maison des adolescents de Strasbourg

à franceinfo

Ces dernières années, les exemples de jeunes Strasbourgeois qui sont passés à l'acte se sont multipliés. Dès 2012, Jérémie Louis-Sidney, l'un des cerveaux de l’attaque à la grenade menée contre une épicerie casher de Sarcelles, était tué lors de son arrestation dans un immeuble du quartier étudiant de l'Esplanade.

L'un des kamikazes du Bataclan n'est autre que Foued Mohamed-Aggad, originaire de Wissembourg, une ville du nord du département du Bas-Rhin. En décembre 2013, il était parti faire le jihad en Syrie, avec son frère aîné et un groupe d'amis originaires du quartier de la Meinau ou d'autres quartiers de l'agglomération. Ces jeunes dits de "la filière de Strasbourg", jugés pour "association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste", ont été condamnés à des peines de sept à neuf ans de prison.

En novembre 2014, une vidéo tournée à Raqqa (Syrie) et postée sur YouTube montrait deux enfants armés d'une kalachnikov. "6-7 représente !", s'exclamait l'un d'eux en référence au numéro du département du Bas-Rhin. "Tout Strasbourg est ici !", réagissait alors, derrière la caméra, l'auteur des images. Identifié par la suite, comme le rappellent Les Dernières Nouvelles d'Alsace, ce Français d'origine sénégalaise était parti en Syrie peu après s'être marié à Schiltigheim, dans la banlieue de Strasbourg.

Même si elle est "plutôt bien intégrée" selon un maire de quartier, l'importante communauté tchétchène vivant dans l'agglomération est également pourvoyeuse de candidats au jihad. En août 2014, Youssoup Nassoulkhanov, assistant-infographiste à la mairie de Schiltigheim et intégré dans le tissu associatif de la commune, s'était volatilisé du jour au lendemain... avant de réapparaître dans une vidéo de propagande de l'Etat islamique postée depuis Raqqa. Quant à Khamzat Azimov, l'auteur en mai de l'attaque au couteau dans le quartier de l'Opéra, à Paris, il avait d'abord grandi dans le quartier strasbourgeois de l'Elsau.

Fin 2017, Les Dernières Nouvelles d'Alsace avaient cartographié dans une infographie "la galaxie jihadiste bas-rhinoise", recensant 36 individus et les liens qu'ils entretiennent entre eux.

La municipalité en première ligne

A Strasbourg, personne ne s'explique une telle accumulation. "Notre ville est plutôt calme et agréable malgré les petits conflits qui peuvent survenir, comme dans tous les quartiers difficiles", assure Serge Oehler, adjoint au maire en charge du quartier Hohberg, d'où est originaire le suspect de l'attentat de Strasbourg.

Une incompréhension qui n'a pas empêché les élus locaux à prendre le problème à bras le corps. Au Conseil départemental du Bas-Rhin, chargé notamment de la protection de l'enfance, "400 agents départementaux ont été formés pour bien comprendre les processus de radicalisation", indique son président, Frédéric Bierry.

Le maire de Strasbourg, Roland Ries, a nommé en 2016 un adjoint spécialement chargé de la prévention de la radicalisation. En outre, à la mairie, un employé travaille à temps plein sur cette question. Un cas unique en France. "On a décidé d'agir concrètement car nous savons de longue date que Strasbourg est exposée aux risques d'attentat", explique à franceinfo Chantal Cutajar, l'adjointe chargée de cette question.

Strasbourg ne reste pas les bras croisés. Nous voulions comprendre les causes profondes et agir contre cette difficile radicalisation.

Chantal Cutajar, adjointe chargée de la prévention de la radicalisation

à franceinfo

Pas plus tard que la semaine dernière, la municipalité a inauguré une plateforme visant à aider les collégiens à identifier les discours complotistes et a organisé un séminaire avec les clubs sportifs sur les questions d'égalité et de laïcité.

Si la ville de Strasbourg met en avant sa détermination à agir, d'autres communes de l'agglomération se montrent moins diplomates. "L'Etat ne nous donne pas les moyens de mettre en place les actions nécessaires en matière de lutte contre la radicalisation, critique-t-on dans une mairie de l'Eurométropole. Alors qu'on en a vraiment besoin."

L'essentiel sur l'attentat à Strasbourg

• RECIT. "Il a tiré encore, encore et encore" : à Strasbourg, un homme armé sème la mort en plein centre-ville >> à lire ici

• Traque du suspect, réactions... Suivez notre direct >> à lire ici

• Qui est Chérif C., l'auteur présumé de l'attentat ?  >> à lire ici

• Pourquoi franceinfo n'a pas diffusé la photo et le nom du suspect avant mercredi après-midi  >> à lire ici

• VRAI OU FAKE. Attentat à Strasbourg : les théories du complot se multiplient sur des groupes Facebook de "gilets jaunes" >> à lire ici

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