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Laïcité : "Il faut absolument que ces sujets ne soient pas relégués à la maison ou à l'entourage", insiste un professeur

"Des phénomènes d'autocensure" sont déjà présents dans les écoles, alerte Rémy Sirvent, référent laïcité au sein du syndicat des enseignants UNSA. Il appelle, tout comme Renaud Rochette, responsable formation et recherche à l'Institut européen en sciences des religions, à mieux préparer les professeurs.

Article rédigé par franceinfo
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Hommage à Samuel Paty, enseignant au collège du Bois-d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité par un terroriste le 16 octobre 2020. (VALENTIN BELLEVILLE / RADIOFRANCE)

Rémy Sirvent, professeur des écoles et référent laïcité au sein du syndicat des enseignants UNSA, a rappelé lundi 19 octobre sur franceinfo qu'il "n'y a pas [eu] de maladresse" de la part de Samuel Paty, décapité à Conflans-Sainte-Honorine vendredi dernier. Le professeur d'histoire avait montré à des élèves des caricatures de Charlie Hebdo.

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"Il faut absolument que ces sujets ne soient pas relégués à la maison ou à l'entourage", a maintenu Remy Sirvent. Pour le professeur, ces sujets doivent être traités à l'école, "c'est son honneur, c'est son rôle". "Il faut dégager des espaces pour que les enfants puissent s'exprimer là-dessus, et avoir une réponse républicaine de la part de l'enseignant", a ajouté Remy Sirvent.

Ne pas évacuer les questionnements des élèves

La mort de Samuel Paty est survenue la veille du début des vacances de la Toussaint. À la rentrée, "si le sujet s'impose, il faut en parler", a développé le référent laïcité qui appelle ses collègues à ne pas évacuer les questionnements des élèves. "Il faut demander aux élèves ce qu'ils ont compris, ce qu'ils ont retenu. On a quand même des témoignages positifs de nos élèves qui, dans leur immense majorité, ont compris ce qui se jouait", a continué l'enseignant.

Rémy Sirvent reconnaît que la liberté d'expression et la laïcité sont des sujets traités par les enseignants avec une extrême précaution. "On avait repéré, dans une enquête qu'on avait menée en 2018, que des phénomènes d'autocensure étaient présents dans les écoles et établissements par rapport à ces sujets". Selon lui, c'est à mettre en relation avec une formation des enseignants au principe de laïcité insuffisante, "puisque 74% d'entre nous ont dit ne pas bénéficier de formation initiale au principe de laïcité et 94% n'ont pas reçu de formation continue".

Le professeur des écoles a rappelé sur franceinfo la différence entre croyance et connaissance, avec une citation de Jules Ferry qui distinguait ces "deux domaines trop longtemps confondus, celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous", avant de réaffirmer l'importance de la "liberté pédagogique".

Une formation obligatoire nécessaire

Renaud Rochette, responsable formation et recherche à l'Institut européen en sciences des religions appelle également sur franceinfo à "une formation obligatoire dans l'ensemble des INSPE [Instituts national supérieur du professorat et de l'éducation]". Aujourd'hui, explique-t-il, chaque INSPE a une liberté dans le programme, et tous n'abordent pas de la même manière la question de la laïcité.

Renaud Rochette, qui intervient dans l'un de ces centres de formation des professeurs et a déjà enseigné dans le secondaire en histoire-géographie, raconte avoir "trois fois trois heures", sur les deux ans de cursus. "Et encore on a de la chance car cet INSPE là fait appel à nous, il y a tous ceux qui se débrouillent en interne, ou décident que le sujet va de soi". "Ce serait faux de dire que les enseignants ne sont absolument pas formés, dit-il, quand ils rentrent dans le métier, on leur explique ce que c'est que la laïcité, comme devoir de neutralité en tant qu'enseignant. Mais c'est vrai que comment la faire passer, comment l'expliquer à des élèves, c'est là que cela devient difficile".

"Il y a toujours des moments de tensions"

Pour les cours d'enseignement moral et civique avec les élèves, Renaud Rochette indique qu'il n'existe pas de corpus imposés aux professeurs. "Il y a un certain nombre de conseils, des manuels peuvent exister. Ce qui est important souvent dans ce genre de sujets un peu sensibles, c'est la relation de confiance que l'on établit avec ses élèves, pour savoir jusqu'où on peut aller, jusqu'où on ne peut pas aller", poursuit l'ancien professeur.

Des moments difficiles avec des élèves, Renaud Rochette en a lui même vécu en classe : "Tous à un moment où un autre nous avons été témoins, directement ou indirectement, de faits extremement graves. J'ai une collègue qui a été menacée. J'ai eu des petites menaces, rien de grave, il y a toujours des moments de tensions".

Le responsable formation et recherche à l'Institut européen en sciences des religions veut retenir une phrase, d'un futur professeur croisé en formation :

On ne peut pas renoncer à lutter contre l'obscurantisme. 

Renaud Rochette, responsable formation, citant un de ses élèves

sur franceinfo

"Il y a beaucoup de courage de la part de mes collègues, qui parfois, vont choisir des biais un peu détournés pour aborder le sujet, mais qui le font souvent de front, on le voit au péril de leur vie", salue-t-il.

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