"Il nous est arrivé l'inimaginable" : au procès de l'assassinat de Samuel Paty, ses proches "exhortent la justice à expliquer"
"Je me présente en tant que maman qui élève seule son enfant sur un fil... Un fil qui mène à la vie mais qui est bien souvent ébranlé." Jeanne A. se tient droite devant le micro, les cheveux châtains en cascade qui tombent sur sa veste noire. D'une voix claire, avec une émotion contenue, l'ex-compagne de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie poignardé puis décapité le 16 octobre 2020, a choisi de s'exprimer en son "nom propre", mais surtout au nom de son garçon de 9 ans et demi. En cette cinquième journée d'audience, vendredi 8 novembre, devant la cour d'assises spéciale de Paris, le fils de Samuel Paty est venu assister pour la première fois au procès des huit personnes accusées d'être impliquées, à divers degrés, dans l'assassinat de son père. Sa silhouette menue se distingue sur le banc des parties civiles, trop grand pour lui.
"C'est sa volonté d'être ici", précise Jeanne A. Le garçon écoute avec attention sa mère parler de leur vie, "marquée depuis quatre ans", y compris dans tous "les gestes du quotidien". "Entendre des sirènes d'ambulance, croiser les policiers armés, apercevoir dans les bars des images de chaînes d'info va générer du stress, des questions", expose celle qui était séparée depuis un an du père de son enfant lorsqu'il a été assassiné. "Je dois me forcer pour que tous les jours les couteaux fassent partie de nos couverts avec lesquels nous mangeons. Toutes les lames, quelles qu'elles soient, nous renvoient à l'attentat."
"Je me demande que fait une telle blessure sur un enfant de 5 ans ? C'est une vraie question."
Jeanne A., ex-compagne de Samuel Patydevant la cour d'assises spéciale de Paris
Jeanne A. n'oublie jamais son fils assis à quelques mètres derrière elle et pèse chacun de ses mots. "Nous sommes des victimes indirectes, mais la blessure que nous avons reçue ce jour-là est bien réelle", confie-t-elle.
"Il doit vivre tous les jours en ayant peur que sa maman meure à son travail, car je suis également enseignante", poursuit cette professeure d'espagnol à l'université. Après l'attentat, Jeanne A. et son fils sont restés vivre à Eragny-sur-Oise (Val-d'Oise), où habitait également Samuel Paty. Jusqu'au 16 octobre 2023, quand des couteaux ont été retrouvés devant l'école de son garçon. Ils ont alors pris la décision de déménager. "C'est tellement injuste. Comment faire pour rassurer un enfant ? Nous, il nous est arrivé l'inimaginable. Il ne nous reste plus qu'à vivre avec", se désole-t-elle.
"Sans vous, Samuel serait vivant aujourd'hui"
A son enfant qui lui a demandé s'il pourrait poser une question au procès, elle a répondu par la négative. Mais l'ex-compagne de Samuel Paty souhaite "tout de même que le monde des adultes entende ce qu'il a à dire dans son silence". Ce "silence", qui, selon elle, "exhorte la justice à expliquer, juger et le cas échéant à condamner". "Vérité et justice, tout le monde aura entendu ces mots", clame Jeanne A. "C'est juste ce qu'il demande pour son papa", insiste-t-elle, se faisant, comme le souligne le président de la cour d'assises spéciale de Paris, "un interprète très clair" de son fils.
"Ça fait quatre ans que j'essaie d'expliquer l'inexplicable, c'est vertigineux."
Jeanne A., ex-compagne de Samuel Patydevant la cour d'assise spéciale de Paris
"Si le procès aide à comprendre la mécanique qui a conduit à l'attentat et à éclaircir les responsabilités de chacun ça m'aidera", implore-t-elle à la fin de son témoignage.
Après Jeanne A., deux nièces puis les deux sœurs de Samuel Paty s'expriment chacune à leur tour. Alors que Mickaëlle Paty lit un texte qu'elle a préparé, intitulé "Tenir debout", elle s'adresse aux accusés, qui écoutent les proches du professeur assassiné témoigner sans sourciller : "Vous, dans le box, qui avaient jeté mon frère en pâture", "c'est votre procès qui a commencé, vous qui avez fait le procès de mon frère et l'avez condamné à mort". "Je voudrais dire aux accusés : 'Sans vous, Samuel serait vivant aujourd'hui, chacun à son niveau aurait pu arrêter cet engrenage funeste'", tient également à déclarer sa sœur Gaëlle, qui lui succède à la barre. "Je demande du respect et de la décence dans ce procès. C'est de la justice que j'attends des réponses, le reste n'est que de l'agitation stérile."
"Il adorait les livres et l'histoire"
Gaëlle Paty parle aussi de la personnalité de Samuel, son aîné, qui avait deux ans de plus qu'elle. "Mon frère a beaucoup lu mais aussi beaucoup étudié. Le plus beau cadeau qu'on pouvait [lui] faire, c'était de lui offrir un ouvrage de La Pléiade", raconte cette libraire, qui est également enseignante, comme l'était son frère et ses parents, retraités de l'Education nationale. Si leur père est absent en raison d'une chute alors qu'il aurait dû venir témoigner au procès lui aussi, leur mère a tenu à s'exprimer face à la cour d'assises spéciale de Paris, pour décrire la personnalité de leur fils.
Bernadette Paty raconte d'abord son enfance, sa passion pour "les Lego, les Playmobil, sa collection de papillons, de timbres, de minéraux". "Il adorait les livres et surtout l'histoire", souligne-t-elle. Un goût transmis par son père chaque soir au coucher : "Il ne voulait pas lui lire des contes, il lui a toujours raconté l'histoire de France et on est persuadé que depuis ce temps-là, Samuel avait une passion pour l'histoire." Elle décrit son fils comme "travailleur" et "intellectuel". Conformément à son souhait, des photos du professeur d'histoire-géographie sont projetées sur un grand écran de la salle d'audience.
"Samuel n'était pas croyant, mon mari et moi ne sommes pas croyants", poursuit Bernadette Paty, qui précise qu'elle lui avait rapporté d'un voyage de Tunis un exemplaire du Coran, à sa demande. La mère de Samuel Paty savait que son fils voulait montrer les caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo en cours d'enseignement moral et civique, mais elle ignorait qu'il avait des ennuis depuis qu'il l'avait fait.
"Il était extrêmement respectueux de toutes les religions."
Bernadette Paty, la mère du professeur d'histoire-géographiedevant la cour d'assises spéciale de Paris
"Perdre un enfant dans de telles conditions est épouvantable. Nous ne l'accepterons jamais. Savoir qu'on l'a massacré parce qu'il a montré des caricatures nous révulse", s'indigne cette petite femme aux cheveux courts, un foulard rose noué sur un pull blanc. Bernadette Paty, qui dit avoir reçu des marques de soutien du monde entier, déclare en conclusion qu'elle doit désormais "apprendre à survivre sans notre fils, ses sœurs sans son frère et G. sans son père".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.