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Procès des attentats du 13-Novembre : comment la question de la responsabilité de l'Etat et de ses services plane sur l'audience

Président de la République en 2015, François Hollande doit être entendu mercredi devant la cour d'assises spéciale de Paris. Une audition attendue alors que les questions sur de supposés "dysfonctionnements" de l'Etat et de ses services ont émaillé plusieurs journées d'audience.

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Depuis l'ouverture du procès du 13-Novembre, les questions autour de supposées responsabilités de l'Etat et de ses services se sont inscrites en filigrane des débats. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

"Les victimes attendent des réponses." Au procès des attentats du 13-Novembre, plus de 350 parties civiles ont livré leurs douloureux récits. Pour les sept mois d'audience restants, les rescapés et proches endeuillés espèrent désormais des explications de la part des 14 accusés présents. Mais parfois aussi de celle des responsables politiques en poste à l'époque. 

"J'attends de ce procès que l'Etat et ses acteurs fassent le point sur leurs réussites mais aussi leurs défaillances", a avancé un survivant du Bataclan. "Votre cour a la possibilité d'interroger ceux qui étaient aux responsabilités à ce moment-là et je vous demande d'être sans concession sur le sujet", a fait valoir un autre rescapé. C'est donc "avec intérêt" que certaines victimes vont suivre l'audition de l'ancien président de la République, François Hollande, mercredi 10 novembre, puis celle de son ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, une semaine plus tard.

La surveillance des terroristes questionnée

Depuis l'ouverture du procès, les questions autour de supposées responsabilités de l'Etat et de ses services se sont inscrites en filigrane des débats. A commencer par les interrogations sur le suivi des membres de la cellule terroriste, et notamment du Belgo-Marocain Abdelhamid AbaaoudLe chef opérationnel des commandos du 13-Novembre, tué trois jours après les attaques à Saint-Denis, faisait depuis 2014 l'objet d'un mandat d'arrêt international émis par les autorités belges. La découverte de sa présence en France, alors que tous les services de renseignement le croyaient en Syrie, a été "un cataclysme", a reconnu à la barre un ancien responsable de la sous-direction antiterroriste.

"Je l'ai traqué", il n'y a "pas une personne, pas un endroit qui n'ait pas été investigué" pour le retrouver, s'est de son côté défendue Isabelle Panou, la juge antiterroriste belge. Face aux questions insistantes de certains avocats des parties civiles, la magistrate a rappelé les nombreux moyens déployés par l'Etat islamique pour maintenir ses combattants sous les radars des autorités.

"Abdelhamid Abaaoud avait une capacité extraordinaire à s'échapper. Il a échappé aux Français, aux Belges, aux Grecs. Hélas, trois fois hélas…"

Isabelle Panou, juge antiterroriste belge

le 14 septembre, devant la cour d'assises spéciale de Paris

Les services belges ont aussi été pointés du doigt sur le volet de la surveillance des frères Abdeslam : Brahim, qui s'est fait exploser au café Comptoir Voltaire, et Salah, seul membre des commandos encore en vie. Selon un rapport confidentiel de la police des polices belge, dont des éléments ont été révélés par "L'Œil du 20 heures"les deux hommes ont fait l'objet de signalements, plusieurs mois avant les attentats. 

Début 2015, ils ont été entendus l'un après l'autre par la police bruxelloise, mais ont nié toute radicalisation et velléité de départ en Syrie, alors même que Brahim Abdeslam en revenait. Les auteurs du rapport avancent aussi que l'exploitation du matériel informatique saisi à l'époque n'a permis d'établir qu'après les attentats que Brahim Abdeslam était en lien avec Abdelhamid Abaaoud. Les deux hommes avaient pourtant échangé dès juillet 2014, souligne Le Monde (abonnés)Gérard Chemla, avocat de plus de 130 parties civiles, souhaite que ce rapport, qui n'a jamais été rendu public, soit cité au procès.

"Ce ne sont pas eux [les services français et belges] qui sont jugés, mais ne pas mettre tout sur la table pendant le procès, c'est juste incompréhensible."

Gérard Chemla, avocat de parties civiles du procès des attentats du 13-Novembre

à franceinfo

La responsabilité de l'Etat déjà écartée par la justice

Outre la surveillance des jihadistes, plusieurs victimes interrogent aussi la prévention des actes de terrorisme. "Nous savions qu'il y avait des menaces d'attentats", a ainsi assuré un père endeuillé, qui se demande ce que l'"Etat" a fait pour tenter de prévenir ces attaques. "Si mon fils avait su que le Bataclan était une cible potentielle, il ne serait pas allé au [concert]", veut croire un autre père meurtri. Ce dernier, qui évoque par ailleurs une "enquête parfaite", aspire à ce que le procès permette de relever d'éventuels "dysfonctionnements".

Dès 2009, des soupçons de projet d'attentat contre le Bataclan avaient été découverts dans une autre enquête antiterroriste, refermée par un non-lieu "faute d'éléments probants", rappelle la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015. Plus tard, en août 2015, le jihadiste Reda Hame, recrue d'Abdelhamid Abaaoud, est interpellé par les autorités françaises à son retour de Syrie. Au cours de son audition, il dévoile qu'une attaque est envisagée contre une salle de concert de rock. La menace est prise "très au sérieux par les services français" mais reste "diffuse", compte tenu du grand nombre de festivals et de concerts de rock en France, fait également valoir la commission d'enquête.

"Aucune faute ne peut être imputée aux services de police pour n'avoir pas mis en œuvre un dispositif de sécurité particulier autour de la salle de spectacle du Bataclan après le mois d'août 2015", a de son côté jugé le tribunal administratif de Paris en 2018. L'instance, saisie par une trentaine de victimes ou proches de victimes, n'a pas reconnu la "responsabilité" de l'Etat et de ses services dans la prévention de cette attaque. Ni de manquements de la part de l'Etat dans la surveillance des terroristes à l'origine des attentats du 13-Novembre ou de défaut de coopération avec les services de renseignement des autres pays. 

Le poids des "Ombres du Bataclan"

Mais c'est aussi autour de l'intervention au Bataclan le soir du 13 novembre 2015 que des questionnements ont été soulevés à la barre. Pourquoi les militaires de l'opération Sentinelle, présents sur les lieux, ne sont-ils pas intervenus, s'est demandé un homme dont la fille a été tuée dans la salle de concert. Ces polémiques découlent en partie de la diffusion sur Arte, quelques jours avant l'ouverture du procès, des Ombres du Bataclan. Ce documentaire controversé, dont les "approximations" ont été critiquées par certaines associations de victimes, pointe de supposées "failles" au sein des institutions. Le film est coécrit par l'ancien député Les Républicains Georges Fenech, qui y "tient des propos contradictoires avec les conclusions" de la commission d'enquête dont il a été le président, comme l'a relevé le média Les Jours (abonnés).

Dans la vidéo, un témoin anonyme, présenté comme "un ancien officier de renseignement", prête à l'ancien Premier ministre Manuel Valls des calculs électoraux dans la gestion des services des forces de l'ordre intervenant ce soir-là. L'ancien locataire de Matignon a fait part de son intention de porter plainte pour "diffamation publique" contre la chaîne ArteLe film met aussi en cause les délais de déclenchement et l'efficacité de l'assaut mené par la brigade de recherche et d'intervention (BRI) dans la salle de spectacle, qui s'est pourtant soldé par la libération de l'ensemble des otages et la neutralisation des deux derniers terroristes. 

"Les victimes ont le droit de savoir si leurs proches auraient pu être sauvés plus rapidement", pense de son côté Olivier Morice auprès de franceinfo. L'avocat de parties civiles a demandé que plusieurs personnes interviewées dans le documentaire, dont l'ancien préfet de police de Paris Michel Cadot, soient entendues au procès. A l'audience, la position de l'avocat lui a valu un échange tendu avec l'ancien chef de la BRI, Christophe Molmy, qui a de son côté tempêté contre un "reportage indigne".

"Il faut avoir un peu d'indulgence, c'était une situation de chaos."

Christophe Molmy, ancien chef de la BRI

le 22 septembre, devant la cour d'assises spéciale de Paris

Au cours de sa déposition, le commissaire s'est défendu face aux critiques pointant les deux heures qui se sont écoulées entre l'arrivée de son unité, vers 22h20, et le lancement de l'assaut final, à 00h18. "Ça peut paraître très long, mais il a fallu sécuriser le rez-de-chaussée, il y avait des centaines de personnes", a-t-il justifié. "Je comprends les blessés qui ont eu le sentiment d'attendre deux heures. Je m'excuse auprès d'eux", a encore expliqué Christophe Molmy, qui a toutefois tenu à rappeler "les risques de surattentat." 

Ne pas faire "un autre procès que celui des terroristes"

"Ce n'est pas de moi que vont venir les critiques sur les dysfonctionnements éventuels, et je ne suis pas sûr que ce soit l'objet de ce procès", a de son côté rassuré le président de la cour. Depuis le début du procès, Jean-Louis Périès a, plusieurs fois, tenté de recadrer les débats, rappelant le cadre de la saisine. "Notre cour d'assises a pour fonction d'examiner les charges retenues à l'encontre de chacun des accusés", expliquait-il dès son propos introductif. Du côté de la défense, Martin Méchin, l'avocat d'Ali El Haddad Asufi, rappelle auprès de franceinfo qu'il s'agit avant tout du "procès des accusés".

"On n'est pas sur la question de la responsabilité de l'Etat et des services de renseignement."

Martin Méchin, avocat de l'accusé Ali El Haddad Asufi

à franceinfo

L'avocat, sceptique quant à la pertinence d'entendre François Hollande, redoute une "mauvaise utilisation du procès pénal". L'ancien chef de l'Etat "n'est en mesure d'apporter des réponses à aucune" des questions pour lesquelles la cour est saisie, avance encore Martin Méchin. "L'idée n'est pas de faire un autre procès que celui des terroristes mais, en même temps, de déterminer très clairement les raisons pour lesquelles on peut en arriver là", temporise son confrère des parties civiles, Gérard Chemla. 

"Chaque fois qu'il y a un attentat, les mêmes polémiques reviennent. Elles font partie du jeu démocratique", concédait François Hollande dans un entretien à l'AFP, peu avant l'ouverture du procès. L'ex-président ne nie pas non plus "le droit des familles de victimes de demander des comptes". "Un des enjeux du procès, c'est qu'elles aient des réponses."

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