"Les formateurs ont vécu tout ça, le sang, le choc" : depuis le 13-Novembre, la médecine de guerre est enseignée aux futurs médecins
Depuis les attentats de 2015, des médecins militaires forment des étudiants en médecine aux techniques utiles en cas d'attaque terroriste.
La médecine de guerre revient à l’université, contexte post-attentats oblige. De plus en plus de facultés délivrent depuis deux ans en France une formation aux gestes et comportements à maîtriser en cas d'attaques. Exemple à l'unité Santé Défense, mise au Val-de-Grâce à Paris, où franceinfo s'est rendu.
"J’ai pris en charge un blessé qui a une éviscération, une plaie au membre supérieur", explique Matthieu, étudiant en 4e année de médecine à Paris V. Autour de lui, une vingtaine de personnes observent leur camarade en action. La concentration est maximale, pour cet exercice de simulation d'attentat, réalisée sur un fond sonore de tirs, d’explosions, de sirènes. Une scène de guerre, en somme. Face aux risques d'attentats et surtout depuis le 13 novembre 2015, les pratiques évoluent, notamment dans les facultés de médecine. Les militaires, expérimentés sont présents. Des applaudissements marquent la fin de l’exercice et la tension se relâche.
C’est stressant mais c’est formateur. On ne nous apprend rien dans le civil sur ces situations
Matthieu, étudiant en médecinefranceinfo
Habituellement, l'apprentissage des étudiants en médecine "est hospitalier, très protecteur, avec un lit pour chaque personne, avec ce que l’on veut à proximité", poursuit le jeune homme. Rien ne les prépare à agir après un attentat.
L'acquisition des bons réflexes
"As-tu pensé à te protéger ? Non… Si tu le faisais une deuxième fois, tu le ferais de façon différente ?", demande le formateur à l’étudiant. Se mettre à l'abri avant d'intervenir est en effet la priorité pour les militaires. "Techniquement, nous ne leur apprenons pas grand-chose, explique le médecin en chef Sébastien, formateur au Service de santé des armées à l'école du Val-de-Grâce. On leur apporte surtout un savoir-être : prendre en compte le fait qu’on peut travailler sur des blessés mais en zone non sécurisée, avec une menace environnante." En effet, comme on l'a constaté durant les attentats, les terroristes peuvent bouger, passer d’un endroit à l’autre. D'où l'utilité d'apprendre aux étudiants à travailler dans "ce genre de situation".
La formation fait aussi une belle place à la prise en charge d'afflux massif de patients, le "triage". Exemple : "Si demain un drame se déroule dans une école, qui prendre en charge ?", demande Sébastien. Faut-il d'abord s'occuper des enfants ou des adultes ? Il faut savoir, explique le formateur, "prioriser la prise en charge d’autres êtres humains. Il n’y a pas de solution dogmatique. Le tout, c'est que ces soignants se préparent à ces choix qui sont extrêmement difficiles".
Rapprocher civils et militaires
Depuis la rentrée 2017, 160 étudiants de 3e cycle de Paris Descartes, Paris 13 et Paris Diderot, participent à cette unité d'enseignement Santé-Défense. Parmi eux, des jeunes médecins, mais pas uniquement : dans le groupe, on trouvera ainsi Hélène, étudiante en 5e année de chirurgie dentaire, ou Cécile, étudiante en 3e année de pharmacie. "C'est plus approfondi qu'une formation où apprend juste le massage cardiaque et le bouche à bouche, explique Hélène. Les formateurs ont vécu tout ça, la vue du sang, le choc. Ça apporte une autre dimension."
Depuis deux ans, les facultés sont de plus nombreuses à réclamer ces formations. Et c'est tant mieux, estime le Dr Nicolas Poirot, médecin au Samu, réserviste et formateur lui-aussi au Val-de-Grâce. Le 13 novembre 2015, c'est lui qui coordonnait les secours à Paris.
Pendant longtemps, les médecins faisaient leur service militaire et avaient donc une connaissance du fait militaire puisque pendant un an ils étaient sous les drapeaux
Dr Nicolas Poirot, formateurfranceinfo
Depuis la fin du service militaire, la médecine civile et la médecine de guerre sont "deux mondes qui se sont séparés", explique le Dr Poirot. "On est en train de refaire des liens. Le 13 novembre 2015, on a fait de la médecine de guerre à Paris. On a soigné des blessés de guerre en très grand nombre, dans une ville en paix. On les a amenés vers des hôpitaux civils, dans des ambulances qui n’étaient pas blindées. Il faut qu'on adapte ça à nos problématiques de civils. On n'a pas les mêmes contraintes que les militaires, mais il y a de très bonnes choses à prendre chez eux."
À ses étudiants, le Dr Poirot rappelle que le 13 novembre 2015, devant le Bataclan, deux camions de pompiers ont été mitraillés mais par miracle aucun secouriste n'a été touché. C'est cette situation qui, selon lui, ne doit plus jamais être laissée au hasard.
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