Le terrorisme peut-il mettre notre démocratie en danger ?
Dans la lutte contre le terrorisme, peut-on aller plus loin sans entraver la démocratie ? Francetv info a posé la question à Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris-VIII.
En réponse aux attentats terroristes qui ont frappé la France ces derniers mois, plusieurs mesures législatives ont été adoptées. Parmi elles, le renforcement des effectifs de police et de gendarmerie, l'extension des techniques allouées aux services de renseignement pour l'interception de communications, ou encore la retenue pendant quatre heures d'un suspect pour des contrôles.
Lors de manifestations, des voix se sont élevées pour dénoncer une atteinte à la démocratie. Alors peut-on aller plus loin pour évacuer la menace qui pèse sur le pays sans mettre en péril les libertés fondamentales ?
Francetv info a recueilli l'avis de Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris-VIII. En 2015, elle a publié Justice d'exception. L'Etat face aux crimes politiques et terroristes (CNRS Editions).
Après chaque attentat, comme celui de Magnanville (Yvelines) lundi, on assiste à une surenchère politique de propositions pour lutter contre le terrorisme. Comment l'interpréter ?
Vanessa Codaccioni : Chaque fois qu'il y a un événement dramatique ou meurtrier, on lance des mesures fortes pour montrer que l'on réagit à une situation extrêmement grave, que l'on est à la hauteur et que l'on ne reste pas à rien faire. Assignations à résidence, perquisitions administratives, renforcement des écoutes... Enormément de propositions sont faites. Cette surenchère politique n'est pas étonnante.
Depuis le début du quinquennat, nous en sommes à la cinquième loi antiterroriste. Quel bilan peut-on dresser ?
Le bilan, c'est un empilement de législations qui donnent de plus en plus de pouvoirs aux services de renseignement et à l'administration, au détriment de la justice. Le quinquennat de François Hollande ne s'inscrit que dans cette lignée. Pas de retour en arrière ou d'innovation, mais un renforcement, toujours plus important, des prérogatives des renseignements généraux.
Est-ce que cela a des conséquences sur la démocratie ?
Tout cela entrave la démocratie. Plus on avance et plus nous sommes en train de rogner sur l'Etat de droit, sur la liberté individuelle et les garanties fondamentales du citoyen. Bien sûr, et heureusement, on reste dans un Etat démocratique. On le voit parce qu'il y a encore des contre-pouvoirs : le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel, l'expression des citoyens qui pousse parfois le gouvernement à reculer, comme sur la déchéance de nationalité. Mais ce régime démocratique est de plus en plus affaibli par la lutte contre le terrorisme.
Que pensez-vous de l'idée, remise sur la table, mardi, par le député LR Eric Ciotti, d'une "zone de rétention" pour les personnes fichées S ?
C'est l'illustration de la prétention de l'administration à prendre le pouvoir. Et c'est extrêmement dangereux car on agit préventivement sur des individus, sans preuve. Avec la possibilité de maintenir en rétention des individus qui n'ont rien fait. Certes, il ne faut pas minimiser le danger qui existe, mais on sait très bien que la prévention donne toujours lieu à des dérives.
A partir de quel moment sortirions-nous de l'Etat de droit ?
L'Etat de droit serait compromis dès lors que les décisions ne seraient prises que par l'administration et les renseignements généraux. Tout le travail que j'ai pu mener sur ce sujet me fait penser que l'on n'arrivera pas à une telle situation. Sauf, peut-être, dans une dizaine d'années en cas de changement politique majeur avec l'extrême droite au pouvoir.
L'état d'urgence, en vigueur depuis le 13 novembre, est-il un symptôme de ce risque ?
L'état d'urgence est un principe anti-démocratique par nature. Il s'agit d'une situation qui permet énormément de mesures d'exception avec des dérives : la volonté politique d'inscrire l'exception dans la Constitution, l'assignation à résidence, les perquisitions sans contrôle du juge, et des cibles de plus en plus floues et élargies.
Il faut être vigilant parce que tout ce qui touche au terrorisme peut être retourné contre d'autres catégories de la population. C'est ce qu'on a vu, pendant la COP21, quand on a appliqué à des militants écologistes des mesures prises pour des jihadistes. L'état d'urgence est un merveilleux outil d'aliénation de la contestation sociale et c'est dangereux.
Ce qu'il faut éviter, c'est que l'exception devienne la règle ?
Absolument. En matière d'antiterrorisme, on n'a plus un droit commun, mais on a un droit commun d'exception. Pour illustrer cela, on pourrait remonter au milieu des années 1980, lorsque la France a subi une vague d'attentats terroristes. Une première législation a été votée à ce moment-là et on a commencé à introduire des dispositifs d'exception permanents. Par exemple, le fait de pouvoir garder à vue une personne considérée comme terroriste pendant plusieurs jours, ce qui est dérogatoire au droit commun.
Comment voyez-vous les mois à venir ?
Nous allons, inéluctablement, assister à des débats, notamment dans le cadre de la campagne présidentielle qui approche. Je pense que l'on aura des propositions de loi qui vont toutes dans le même sens : toujours plus vers un antiterrorisme préventif. C'est-à-dire essayer de déceler au maximum l'intention de passer à l'acte avec le renforcement, sans surprise, des pouvoirs des services de renseignement et de l'administration pour déceler les loups solitaires, les candidats au jihad... Au péril de la démocratie.
Peut-on faire un parallèle avec d'autres démocraties qui ont connu cette situation ?
Toutes les démocraties qui ont eu affaire à des attaques terroristes basculent petit à petit. Il y a une frontière de moins en moins nette entre le monde anglo-saxon, qui possède vraiment des régimes antiterroristes très répressifs, et les pays d'Europe occidentale. On tend à une harmonisation de tout cela avec un renforcement continu de l'arsenal antiterroriste qui ne va pas cesser de croître. Pour autant, le terrorisme ne parviendra pas à anéantir la démocratie.
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