Comment les enquêteurs peuvent-ils faire parler Salah Abdeslam ?
Louis Caprioli, spécialiste des réseaux islamistes et de la lutte contre le terrorisme, répond aux questions de francetv info.
Parmi les principaux suspects impliqués dans les attentats du 13 novembre, Salah Abdeslam est le seul à avoir été pris vivant. Le Français de 26 ans, arrêté vendredi 18 mars à Molenbeek, est désormais placé en garde à vue à Bruxelles. Les policiers et les juges vont pouvoir interroger ce suspect-clé et, espèrent-ils, obtenir de précieuses informations sur l'organisation des attaques les plus meurtrières jamais commises en France, mais aussi sur les probables appuis que Salah Abdeslam a reçus durant sa cavale de plus de quatre mois.
Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST (aujourd'hui fusionnée avec les RG au sein de la DGSI) et spécialiste des réseaux islamistes, explique à francetv info comment les enquêteurs peuvent faire parler cet acteur majeur des attentats.
Francetv info : Salah Abdeslam est désormais aux mains des policiers belges. De quelles armes disposent-ils pour le faire parler ?
Louis Caprioli : Les policiers ont eu le temps d'enquêter sur la personnalité de Salah Abdeslam. Ils vont se servir de leur connaissance de son état d'esprit pour tenter de le faire parler. Salah Abdeslam, c'est un "droit commun", un homme condamné pour vol avec effraction. Ce n'est pas quelqu'un qui a reçu une formation de terroriste jihadiste très solide.
L'emprise du radicalisme n'est visiblement pas très forte chez lui. Le 13 novembre au soir, il s'est dégonflé : il a refusé de se faire exploser, il a appelé au secours ses amis pour se faire exfiltrer et il était dans un état de panique, d'après les témoignages de ceux qui l'ont aidé. Il a pris la fuite. Il va falloir jouer sur sa personnalité assez faible pour arriver à le faire parler.
Mais face aux policiers et aux juges, Salah Abdeslam peut choisir de se murer dans le silence...
La grande difficulté pour les policiers, c'est que la première information qui est donnée au suspect placé en garde à vue est qu'il a le droit de garder le silence et d'être assisté d'un avocat. C'est désormais une obligation pour les policiers. Cela place les services de police dans un état de faiblesse. Et ce mutisme n'est pas préjudiciable à la personne gardée à vue. Elle sera ensuite présentée à un juge et aura la possibilité de s'expliquer devant le magistrat qui l'interrogera.
L'autre problème, c'est que la garde à vue n'est pas très longue en Belgique. Les policiers belges n'ont que 24 heures contre 96 voire 144 en France pour des faits de terrorisme. En France, un suspect qui se ferme et refuse de parler peut, à la longue, finir par craquer et s'ouvrir. Les policiers belges vont devoir aller vite.
Il faut aussi espérer que les enquêteurs découvrent des éléments de preuves techniques : des documents, des téléphones qui pourront livrer des informations à la place de Salah Abdeslam. Les quatre autres personnes arrêtées, le complice et les membres de la famille ayant hébergé Salah Abdeslam vont aussi être interrogées. S'agit-il de soutiens liés à des amitiés ou d'un véritable réseau ? C'est une piste de plus.
Les enquêteurs français et belges ont-ils les mêmes objectifs ?
Les policiers belges et français n'ont pas les mêmes préoccupations. Les Belges veulent avant tout savoir si Salah Abdeslam a d'autres complices dans le pays et si d'autres cellules terroristes opérationnelles existent en Belgique. Les Français ont d'autres priorités. Ils sont plus intéressés par des informations concernant la préparation et la période en amont des attentats du 13 novembre. Des policiers français sont présents à Bruxelles mais il me semble que leur rôle est plus de l'ordre de l'observation.
Salah Abdeslam devrait aussi être interrogé en France, après sa probable extradition. Comment cela va-t-il se passer ?
Une fois arrivé en France, Salah Abdeslam ne sera plus interrogé par des policiers mais par un juge, et cela change beaucoup de choses. Les policiers peuvent interroger de jour comme de nuit avec deux équipes se relayant, en respectant des heures de repos ou de pause déjeuner. Ils jouent sur le fait que le suspect est bombardé de questions en permanence. L'interrogatoire est mené par plusieurs policiers, cela augmente les chances que l'un d'entre eux arrive à établir un contact avec le suspect et l'amène à parler. Le magistrat instructeur, lui, est seul face au suspect qu'il met en examen. Reste qu'il posera des questions pendant des heures et des journées entières. Et il y en a tellement. Ce sera un long travail.
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