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A quoi joue l'avocat de Salah Abdeslam ?

Le suspect-clé des attentats de Paris devrait être remis à la justice française dans un délai de trois mois, a rappelé lundi le procureur François Molins. En attendant, Sven Mary, l'avocat, tente de gagner du temps pour donner une autre image de son client.

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
L'avocat de Salah Abdeslam, Sven Mary, à Bruxelles le 19 mars 2016. (LAURIE DIEFFEMBACQ / BELGA MAG / AFP)

Veste kaki, t-shirt sombre et crâne rasé : sa silhouette est incontournable depuis l'arrestation de Salah Abdeslam. Sven Mary défend l'un des suspects-clé des attentats de Paris. L'avocat bruxellois a aussitôt choisi l'attaque. Il a annoncé, samedi 19 mars, le refus de son client d'être extradé vers la France. Le lendemain, celui qui est surnommé "l'avocat des crapules" a déclaré qu'il allait porter plainte contre le procureur François Molins pour "violation du secret de l'instruction" après sa conférence de presse. A quoi joue Sven Mary ? Francetv info tente de décrypter son plan.

Il s'adresse à l'opinion publique

Sven Mary le sait, ses déclarations sont très attendues et forcément très relayées. "Ses propos sont destinés à l'opinion publique, qui a tendance à penser que certains criminels n'ont pas à être défendus. On est ici dans une posture médiatique. Pour le moment c'est de l'agitation, de l'effet de manche", explique à francetv info Roseline Letteron, professeure de droit public à l'université de Paris-Sorbonne. 

Très vite, l'avocat de Salah Abdeslam a affirmé que son client refusait l'extradition. Or, l'homme soupçonné d'avoir participé aux attentats de Paris ne fait pas l'objet d'une demande d'extradition, mais d'un mandat d'arrêt européen. Ce qui signifie une procédure plus simple et plus rapide. "Les premières 48 heures après l'arrestation de Salah Abdeslam ont montré qu'il y avait une grande confusion entre l'extradition et la remise à la justice française dans le cadre d'un mandat d'arrêt. L'avocat a surfé sur ces erreurs", détaille Roseline Letteron. Une manière, là encore, d'occuper le terrain médiatique.

La plainte contre le procureur Molins semble également s'inscrire dans cette dynamique de communication. Pour la spécialiste du droit, "ça ne tient pas, c'est surréaliste". En effet, en droit français, le procureur n'est pas soumis au secret de l'instruction. Et dans le droit belge, "le parquet belge est lié par le secret, mais la loi autorise néanmoins le procureur à communiquer, avec l’accord du juge d’instruction et lorsque l’intérêt public l’exige, des informations à la presse à propos d’affaires en cours d’instruction", précise Roseline Letteron sur son blog Liberté, Libertés chéries.

Il essaie de gagner du temps

Un refus d'extradition qui n'en est pas vraiment une, une plainte qui n'a pas de chance d'aboutir… Les premières armes utilisées par Sven Mary peuvent dérouter. C'est pourtant "classique", estime Alex Usurlet, avocat pénaliste contacté par francetv info. "Le principe, c'est de gagner du temps pour que le prévenu n'arrive pas devant le juge dans l'émotion. La défense, c'est faire feu de tout bois. On voit après ce que l'on a dans les filets. Ça s'appelle 'affoler la meute'. Et après on jauge, on ajuste, on affine l'angle de tir", explique-t-il.

François Molins a confirmé, lundi 21 mars, que le délai butoir pour la remise de Salah Abdeslam à la France était de trois mois. Sven Mary a donc quatre-vingt-dix jours pour esquisser les contours d'une défense et temporiser l'émotion existante. L'avocat a commencé à poser les premiers jalons dans les heures qui ont suivi l'arrestation de son client.

Mais pour quelle stratégie ?

Sven Mary a très vite déclaré que Salah Abdeslam collaborait avec la justice. "L'objectif est de dédiaboliser son client, pour montrer un visage plus humain que celui qu'on donne à voir aujourd'hui, juge Alex Usurlet. Dans un cas comme celui-là, il faut tenir compte de l'approche émotionnelle. C'est ce qu'il y a de plus compliqué, mais cela ne doit pas empêcher la défense d'avancer. On part du principe que tout accusé est défendable, aussi odieux soient les crimes qu'il a commis".

Pour Roseline Letteron, Sven Mary semble tendre vers "une défense de la rupture". "C'est une défense militante à la Jacques Vergès. On ne s'appuie pas sur le droit tel qu'il est, mais sur le droit tel qu'on aimerait qu'il soit. C'est une forme de militantisme. On plaide sur les sentiments", précise-t-elle. La plainte contre le procureur Molins s'inscrit dans cette démarche : elle n'a aucune chance d'aboutir, mais elle interpelle.

Evoquer dès maintenant une stratégie est toutefois "prématuré" pour Roseline Letteron. "Quand Salah Abdeslam sera remis aux autorités françaises d'ici deux mois, qu'est-ce qui nous dit que maître Sven Mary sera toujours son avocat ?", questionne-t-elle, avant d'ajouter : "C'est seulement à ce moment-là qu'on verra comment s'organise sa défense."

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