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"Un matin en me réveillant, c’était fini. Je n’étais plus joueur de rugby" : le combat d'Aristide Barraud après les attentats du 13-Novembre

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par franceinfo - Fanny Lechevestrier
Radio France

Ancien joueur de rugby du Stade Français, Aristide Barraud a été grièvement blessé lors des attentats du 13-Novembre 2015. Dans un livre intitulé "Mais ne sombre pas" aux éditions du Seuil, il revient sur sa reconstruction et son combat pour rejouer au rugby.

Ce soir du 13 novembre 2015, Aristide Barraud s'est vu mourir : il a fait partie des nombreux blessés des attentats de Paris et Saint-Denis. Il a reçu trois balles de kalachnikov, alors qu'il était en terrasse au Petit Cambodge. Il a dû abandonner sa carrière de rugbyman, à 28 ans.

Un livre catharsis

"Ce livre  a été la charpente de ma nouvelle vie cette dernière année, il a rempli beaucoup de vide, cela m’a fait un bien fou. J’ai choisi de me livrer sans rien cacher, je voulais simplement donner ma version des choses". Pendant un an, Aristide Barraud a couché sur le papier ses impressions, ses réflexions, ses progrès, ses faiblesses, ses coups de moins bien ; bref, sa vie d’après les attentats du 13-Novembre 2015. Ce jour-là, l’ancien rugbyman du Stade Français et de Massy, joueur à l’époque à Mogliano, club de première division italienne, est en terrasse, au Petit Cambodge, avec sa sœur et des amis. Il est touché de trois balles de kalachnikov, aux côtes et à un poumon, à la cheville et à la cuisse. Près de deux ans après, il se qualifie "de jeune homme de 28 ans en reconstruction, aux premiers mois d’une nouvelle vie".

Écrire pour tourner la page

"Pour la première fois, avant-hier, j’ai relu quelques passages et je dois dire que je suis content du résultat, même fier d’avoir mené ce travail à terme", dit-il sans aucune vantardise. Et on sent que la confrontation avec ses écrits n’a pas été si simple, parfois même douloureuse. Il faut dire que tout au long des 170 pages, Aristide Barraud ne se ménage pas.

Ce n'est pas un livre de héros.

Aristide Barraud

à franceinfo

Comme il aime le rappeler, "ce n’est pas un livre de survivant. C’est un livre d’un jeune homme qui a vécu une expérience traumatisante et qui, grâce aux autres, grâce au rugby, à son histoire, grâce à sa famille, a réussi à s’en sortir pour témoigner que l’on peut y arriver ensemble".

L'entretien intégral d'Aristide Barraud.

Un pari fou : un jour, revenir sur les terrains de rugby

"On ne vivra plus jamais pareil, on le sait. Pour ceux qui l’ont vécu, on est marqué au fer rouge, c’est une autre vie, c’est une vie d’après qui commence", confie l’ancien international français chez les jeunes. C’est cette nouvelle vie qu’il raconte. Celle qui l’a poussé notamment, en salle de réanimation à se lancer dans "un pari fou" : un jour, rejouer au rugby, revenir sur un terrain. "Pendant un an et demi après les attentats, je n’ai rien voulu lâcher, pour ne pas faire honte à ce petit mecton qui courait après son rêve. J’ai fait cela pour moi, pour mon passé, pour mon futur", écrit Aristide Barraud dans ce livre.

Je l’ai fait par orgueil, parce que je n’avais pas envie que des gens décident pour moi.

Aristide Barraud

à franceinfo

Un pari qui va lui infliger de nouvelles douleurs, son corps finira par dire stop. "Mais je n’ai aucun regret. Cette idée folle m’a sorti la tête de l’eau, m’a sorti des idées noires et j’y ai cru à 100% (…) mais un matin, au réveil, je n’étais plus joueur de rugby. J’avais fini ma route".

"Je fais de mon mieux et ça ne se passe pas trop mal"

La décision a mûri, elle a été longue à accepter. Aristide Barraud reconnaît encore avoir "ce manque de sport, ce manque de rugby" mais il continue d’avancer. "J'arrive à voir les petites choses qui me rendent heureux, qui me permettent d’avancer et de me battre et c’est pour cela que je dirais que cela ne va pas trop mal". Et quand on lui demande si la vie d’après peut être belle, sa réponse fuse : "Elle l’est ! Elle l’est bien sûr ! Elle est différente, elle est contaminée  certainement par les attentats, remplie de ce rugby qui n’est plus partie intégrante de ma vie, mais elle est belle. J’arrive à trouver des belles choses à chaque fois et je me concentre sur cela." 

Un regard critique sur le rugby d'aujourd'hui

Mais ne sombre pas parle aussi beaucoup de Massy et de la banlieue sud de Paris dont est originaire Aristide Barraud, et où il vit toujours aujourd’hui. Le rugby est également omniprésent et l’ancien demi d’ouverture y porte même un regard très incisif, sans concession.

"Je pense que tout le système du rugby professionnel marche sur la tête"

"J'ai longtemps hésité à en parler, j’ai beaucoup élagué [prenant l’exemple de Michael Cheika, alors entraîneur du Stade Français]. Ce n’était pas pour lui taper dessus mais j’avais besoin de le dire. Il a évoqué pour moi ce qu’il y avait de terrible dans le rugby, ces gens qui ont le pouvoir et qui jouent avec les gens qu’ils dirigent, une espèce de pouvoir de vie et de mort professionnelles." 

Je suis inquiet pour le rugby professionnel, pour les jeunes.

Aristide Barraud

à franceinfo

"Un jour, nous, on sera à ces postes-là, on aura des gens à gérer, des gens qui dépendront de nous, alors ne reproduisons pas ces schémas catastrophiques et le problème est que si on n’en parle pas, cela n’existe pas. Ne reproduisons pas cela (…) Je pense que tout le système du rugby professionnel marche sur la tête, le système du rugby professionnel en France est vérolé". Le rugby est le sport qui l’a formé, construit et qu’il aime toujours.

Un besoin de "deuil"

Quant à le revoir un jour au bord d’un terrain, Aristide Barraud donne rendez-vous dans deux ans et demi : "Ça commence à me titiller mais j’ai besoin de faire le deuil du rugby. Je n’ai pas encore été au bout de ma thérapie. Si je deviens entraîneur, alors je dois devenir un bon entraîneur. Dans deux ans et demi, on en reparlera." En attendant, il fourmille de projets et fort de ses études de cinéma, il peaufine un documentaire consacré à l’une de ses grands-mères Christiane, petite fille de Boulogne-Billancourt.

Mais ne sombre pas, un livre d'Aristide Barraud, aux éditions du Seuil.

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