Lutte contre le terrorisme : les six erreurs des propositions de Nicolas Sarkozy
Interviewé dimanche soir sur TF1 après l'attentat de Nice, l'ex-chef de l'Etat a estimé que "tout n'a pas été fait" en matière de lutte contre le terrorisme. Mais certaines de ces recommandations ont déjà été prises, ou elles sont impossibles à mettre en place.
Dimanche 17 juillet au soir, à peine 72 heures après l'attentat de Nice, c'est un Nicolas Sarkozy remonté qui a pointé du doigt la responsabilité du gouvernement. Dans une interview accordée à TF1, l'ex-chef de l'Etat a estimé qu'en matière de lutte contre le terrorisme, "tout ce qui aurait dû être fait depuis dix-huit mois ne l'a pas été". Dans la foulée, le président des Républicains, qui se présente comme "le chef de l'opposition", a lancé une suite de propositions censées trancher avec la "faiblesse" du pouvoir en place.
Francetv info s'est penché sur ces préconisations, qui ressemblent à un pré-programme électoral en vue de la primaire à droite.
"Faire de la consultation des sites jihadistes un délit"
Depuis mars 2012, et les attaques de Mohamed Merah, cette mesure ressemble à un serpent de mer pour les élus de droite. Comme le relayait Libération en avril 2016, les parlementaires de l'UMP, puis ceux des Républicains, ont tenté à huit reprises d'obtenir des sanctions pénales pour ceux qui consultent des sites faisant l'apologie du terrorisme.
Finalement, comme l'a souligné Nicolas Sarkozy dimanche sur TF1, la mesure a vu le jour, au sein de la dernière version de la réforme pénale, votée par l'Assemblée le 25 mai dernier.
Le président des Républicains a regretté au passage une entrée en application "en octobre", jugée tardive. Encore faut-il que cette nouveauté soit acceptée par le Conseil constitutionnel. Car cette mesure a des chances d'être retoquée. En 2012, déjà, le Conseil d'Etat avait averti que pénaliser la seule consultation de sites de propagande, "alors même que la personne concernée n’aurait commis ou tenté de commettre aucun acte pouvant laisser présumer qu’elle aurait cédé à cette incitation [au terrorisme]", serait une atteinte à la liberté de communication "qui ne [pourrait] être regardée comme nécessaire, proportionnée et adaptée" aux objectifs de la lutte antiterroriste.
Si les Sages passaient outre, l'application de la mesure risque de rendre le travail du juge difficile au moment de se prononcer. Afin de ne pas menacer ceux qui pourraient avoir à consulter des sites de propagande du terrorisme (chercheurs, journalistes, policiers, associations), une phrase accompagne l'article 18 de la réforme pénale : "le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi". Le flou entourant la formule "de bonne foi" pourrait rendre les débats houleux dans les tribunaux.
L'intérêt de la mesure a également été remis en cause. Pour certains enquêteurs et magistrats, empêcher l'accès au web à la jihadosphère menacerait leurs résultats. "Toutes les personnes arrêtées depuis 2007 l’ont été grâce aux imprudences commises sur Internet, à la communication électronique, témoignait Marc Trevidic, l'ex-juge anti-terroriste, en avril 2012, devant le Sénat. Si nous les empêchons de surfer, nous aurons plus de mal à détecter leurs agissements."
Verdict : inapplicable voire contre-productif
"Créer des centres de déradicalisation"
"Il y a des milliers de jeunes français qui sont radicalisés. Il faut s'en occuper et les mettre dans des centres de déradicalisation. Pas un seul n'a été ouvert en 18 mois." Dans moins de soixante jours, Nicolas Sarkozy ne pourra plus faire l'affirmation qu'il a clamée sur TF1. Car le premier centre de déradicalisation de France doit ouvrir ses portes en septembre à Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire). Il devait ouvrir avant l'été, mais l'opposition d'une partie de la population et de certains élus locaux a retardé cette ouverture, comme le relaient France 3 Centre-Val de Loire et le Courrier de l'Ouest.
Annoncée dès novembre dernier par Manuel Valls, la création de ce premier centre doit être suivie de l'ouverture d'une structure de ce type dans chaque région d'ici 2017.
Verdict : c'est déjà prévu
Ouvrir "des centres de rétention" pour les personnes fichées S
Comme l'interdiction de consulter des sites faisant l'apologie du terrorisme, l'enfermement des personnes fichées S, c'est-à-dire susceptibles de porter atteinte à la "sûreté de l'Etat", est fréquemment réclamé par les élus de droite. Après les attentats de novembre, le gouvernement avait soumis la question au Conseil d'Etat. Et la réponse fut nette : la Constitution l'interdit. "Toute détention doit être décidée par l’autorité judiciaire ou exercée sous son contrôle", rappelle le Conseil.
En clair, seule une personne condamnée par un tribunal peut-être privée de liberté, une détention administrative ne pouvant être décidée que pour une courte durée. L'idée de modifier la loi suprême pour créer une exception pour les personnes fichées S pourrait toujours être avancée. Sauf que la Convention européenne des droits de l'Homme, signée par la France, vient là aussi empêcher cette mesure.
Nicolas Sarkozy avance par ailleurs l'idée d'imposer "un bracelet électronique" et "des assignations à résidence" pour les personnes radicalisées. Là encore, la loi prévoit que le port du bracelet électronique doit être soumis à l'accord de l'intéressé. Enfin, hors état d'urgence, l'assignation à résidence décidée par l'administration, sans décision judiciaire, serait une atteinte à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution.
Verdict : c'est impossible
"Mettre dehors" les étrangers fichés S "suspectés de liens avec le terrorisme"
Au moment de faire cette proposition, Nicolas Sarkozy a oublié de rappeler que cette mesure a été réclamée par le Front national en août dernier. A l'époque, comme le rappelle Le Figaro, l'idée avait révulsé Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du PS : "Si le Front national arrive au pouvoir, (…) il raccompagnerait à la frontière quatre millions de Français musulmans."
Mais à l'époque, les critiques n'étaient pas l'apanage de la majorité. Ainsi Luc Chatel, actuel président du Conseil national des Républicains, avait commenté la proposition d'un air moqueur sur i-Télé. "C'est très sympathique de dire à ses électeurs 'moi, je renverrai tous les gens qui sont fichés'. Encore faut-il qu'ils soient sur votre territoire, ces gens fichés. Encore faut-il qu'on ait des moyens de suivi régulier de ces individus. Les discours, c'est très bien. On voit bien que dans la pratique, c'est irréaliste."
Verdict : "c'est irréaliste"
"Autoriser les préfets à fermer les lieux de culte salafistes et expulser tout imam qui y prêcherait"
A écouter Nicolas Sarkozy, les autorités sont impuissantes face à l'existence de lieux où l'on prêche la haine. Sauf que l'ancien président et ancien ministre de l'Intérieur oublie que, avec l'état d'urgence, les préfets sont déjà autoriser à procéder à la fermeture de ce type de salle de prière. En novembre et décembre 2015, trois mosquées ont ainsi été fermées, une dans le Rhône, les deux autres dans les Alpes-Maritimes.
Quant à l'expulsion des imams qui prêchent une vision radicale de l'Islam, Europe 1 rappelait en novembre dernier que Nicolas Sarkozy avait déjà mis en cause le gouvernement sur cette question, dès le lendemain des attentats de Paris et Saint-Denis. A l'époque, le site de la radio avait opposé les chiffres brandis en juin 2015 par Bernard Cazeneuve : 40 islams salafistes expulsés depuis 2012, contre 15 lors du précédent quinquennat. Aujourd'hui, le nombre de prêcheurs problématiques expulsés de France a été porté à 80, selon le ministre de l'Intérieur.
Verdict : c'est déjà le cas
Mettre "à l'isolement de tous les détenus condamnés pour terrorisme islamique"
Nicolas Sarkozy a l'air de proposer la création de règles carcérales qui n'existent pas. A l'entendre, les membres de réseaux terroristes condamnés sont emprisonnés avec le reste des détenus, et sont ainsi libres de répandre leur message de haine. Sauf que des mesures pour lutter contre ce phénomène ont déjà été prises dans le sens prôné par l'ex-président.
Cinq "unités dédiées" ont été créées dans les prisons de Fresnes (Val-de-Marne), Fleury-Mérogis (Essonne), Osny (Val-d’Oise) et Lille-Annœullin (Nord), au premier semestre 2016. Les prisonniers y sont parfois détenus dans des cellules individuelles, mais ils partagent souvent entre eux les activités et les promenades.
Et comme l'expliquait francetv info début juillet, l'efficacité de ces unités est remise en cause. Non seulement parce que certains détenus radicalisés en profitent pour créer et entretenir un réseau, mais aussi parce que la volonté de rendre une prison étanche est un vœu pieux. Ainsi, selon un rapport (lien pdf) publié le 6 juillet par le Contrôleur générale des lieux de privation des libertés, des documents ont été "retrouvés dans la cellule d’une personne détenue dans une autre division", "des téléphones portables ont été saisis en cellule" et "des courriers indiquant la bonne façon de prier ont été interceptés".
Verdict : ça existe déjà et c'est contesté
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