: Récit Disparition de Lina : entre fausses pistes et cyberharcèlement, retour sur une douloureuse enquête
[Le corps sans vie de Lina a été retrouvé le 16 octobre 2024, après la première publication de cet article.]
L'automne arrive, mais le temps est encore doux dans la vallée de la Bruche (Bas-Rhin), le 23 septembre 2023. "La végétation était encore très verte", se remémore l'ancien maire de Plaine, Jean-Marc Chipon, auprès de franceinfo. "Lina, elle, était vêtue de blanc. On ne pouvait que la voir depuis le bord de la route." Cohérente avec les habitudes vestimentaires des jeunes de son âge, l'adolescente, qui a soufflé sa quinzième bougie il y a un mois, porte une robe grise recouverte d'une doudoune sans manches blanche. Ses Converse immaculées vissées aux pieds, Lina, qui habite avec sa mère dans le hameau de Champenay, marche vers la gare de Saint-Blaise-la-Roche, à plus de deux kilomètres, en longeant la départementale D350.
L'ancien édile l'aperçoit sur cette route autour de 11h15. Lorsqu'il repasse par le même chemin en sens inverse quelques instants plus tard, Lina n'y est plus. "Elle doit marcher vite", se surprend-il à penser, loin d'imaginer qu'il sera l'un des derniers à avoir vu la jeune fille, dont les enquêteurs cherchent encore la trace dix mois plus tard. Des recherches ont repris dans les Vosges, mercredi 31 juillet, pour tenter de faire la lumière sur cette affaire.
Un portable coupé à 11h22
Le 23 septembre, à la mi-journée, Tao, 19 ans, apprenti aux Compagnons du devoir, attend fébrilement à la gare de Strasbourg l'arrivée en train de sa petite amie. Le rendez-vous est prévu à 12h53. Dans sa poche, la preuve de sa venue imminente : Lina lui a envoyé une vidéo de sa tenue alors qu'elle se trouvait sur le chemin, quelques instants avant de disparaître, raconte-t-il pour TF1. Cette vidéo sera la dernière trace numérique de la jeune fille. Son portable est définitivement coupé à 11h22.
Le jeune couple, formé quelques semaines plus tôt, doit passer la journée à faire du shopping dans la capitale alsacienne. Inquiet de ne pas voir l'adolescente descendre du train, Tao appelle la mère de Lina, pour l'informer de la situation. Fanny Groll s'empresse de signaler la disparition de sa fille à la gendarmerie. La première étape d'une procédure qui durera plus de dix mois.
Dans les jours qui suivent, des battues sont menées par la gendarmerie, avec l'appui de 400 bénévoles, le long de la route départementale où Lina s'est évaporée. Des équipes cynophiles sont déployées, ainsi qu'un hélicoptère et des drones. Chez les proches de la jeune fille, c'est la consternation. "C'est une petite fille joyeuse, pleine de vie. C'est incompréhensible", se désole alors Olivier Delsarte, le père de Lina, au micro de BFMTV.
Quelques jours après la disparition de l'adolescente, une information judiciaire est ouverte pour enlèvement et séquestration. Le parquet de Strasbourg reprend le dossier à celui de Saverne, signe de la gravité de la situation.
Rapidement, tous les regards se tournent vers Tao, le petit ami aux apparitions médiatiques parfois mal contrôlées. Sur les réseaux sociaux, des rumeurs l'incriminent, le présentant comme possiblement jaloux. Lorsqu'il perd momentanément son téléphone dans un ancien garage désaffecté de Saint-Blaise-la-Roche, il n'en faut pas plus pour amplifier les soupçons. Dans Le Nouveau Détective, Tao raconte : "Je reçois des appels de gens que je connais même pas, des menaces (…). J’ai des collègues qui m’envoient ce qui se dit sur les réseaux, que ce serait moi (…) Je vois des choses, ça fait mal." Au point de pousser la mère de l'adolescente à prendre publiquement sa défense le 29 septembre.
"Ce n'est plus possible, je ne peux pas laisser faire. Tao souffre (...) Je me suis rendu compte qu'il fallait intervenir parce que je le voyais crouler."
Fanny Groll, la mère de Linaà TF1
"Mais je préfère qu’on parle de moi en négatif et qu’on retrouve Lina", concède Tao, très inquiet pour sa petite amie, dans cette même interview au Nouveau Détective. Un travail auquel s'attellent les enquêteurs. Au même moment, une maison située à Diespach (Bas-Rhin), à quatre kilomètres du domicile de l'adolescente, attire particulièrement l'attention. Elle appartient à un professeur de musique du coin, âgé d'une quarantaine d'années. Sa Clio ressemble à celle qu'un témoin affirme avoir vue passer sur le trajet emprunté par Lina le jour de sa disparition. Mais il s'agit d'une fausse piste. La première de nombreuses autres dans ce dossier.
Une plainte pour "viol en réunion" un an plus tôt
Les enquêteurs piétinent, mais une information du passé surgit dans la presse en janvier et relance toutes les suppositions. Lina a déposé plainte pour "viol en réunion" contre deux jeunes hommes un an et demi avant sa disparition. Elle était alors âgée de 13 ans. Le parquet de Saverne annonce procéder à une "nouvelle étude juridique" de la plainte, qui avait dans un premier temps été classée sans suite pour infraction "insuffisamment caractérisée" : les deux jeunes hommes mis en cause reconnaissaient des relations sexuelles consenties, mais pas le viol. Cette piste mène à une nouvelle impasse : selon les informations des Dernières Nouvelles d'Alsace, ces derniers ont pu fournir un alibi les mettant hors de cause dans la disparition.
Les portes se referment une à une, mais l'affaire passionne les Français, jusqu'à dépasser l'entendement. La mère de Lina dénonce à plusieurs reprises, durant ces mois d'enquête, le harcèlement dont elle est la cible. Lors d'une conférence de presse en mars, elle déplore le comportement d'internautes qui "se permettent de faire des réflexions horribles, des déductions qui n’ont pas lieu d’être, des interprétations". "On ne peut pas laisser tout dire, tout faire, sans réagir, martèle Fanny Groll. Je traverse l'enfer et c'est d'une violence extrême."
"Depuis le départ, c’est une horreur. Je n’ai même plus de mots, tellement c’est un acharnement, tellement tout et n’importe quoi est dit partout."
Fanny Groll, mère de Linalors d'une conférence de presse
Durant cette même conférence de presse, elle assure avoir découvert que sa fille avait, elle aussi, été victime de cyberharcèlement avant sa disparition, et avait "subi des commentaires horribles" qui avaient "nui à sa réputation". Des insultes consécutives à la plainte de Lina pour viol, selon le récit fait par sa cousine dans l’émission "Sept à huit". "Elle m’a dit qu’on la menaçait de mort, qu’on menaçait sa famille, qu’on lui disait qu’on allait rentrer chez elle et la choper", détaille ainsi Louane. De quoi pousser Fanny Groll à fonder l'association Les Bonnes Etoiles de Lina, notamment destinée à informer sur le phénomène du cyberharcèlement et ses conséquences.
La nouvelle année ne permet pas de nouveau départ pour les proches de Lina : entre janvier et mars, plusieurs éléments sont explorés, sans succès. Les gendarmes lancent ainsi des appels à témoins auprès des parents de jeunes filles scolarisées dans l'établissement où Lina a étudié, relate France 2. Ils s'intéressent à un jeune homme d'une vingtaine d'années, aperçu près d'une aire de jeux de la commune de Saulxures au volant d'une Renault Clio grise. Une amie de Lina avait rapporté avoir été suivie par un homme correspondant à sa description à deux reprises, quelques jours avant la disparition de l'adolescente.
L'émission "Appel à témoins" suscite l'espoir
En mars, trois personnes sont placées en garde à vue pour être auditionnées sur des incohérences d'emploi du temps le jour de la disparition de Lina. Une piste qui ne donne toujours rien : elles sont relâchées, sans poursuites engagées.
La médiatisation de l'affaire permet, contre toute attente, de réaliser quelques progrès. Huit mois après la disparition de Lina, le programme "Appel à témoins" de M6 consacre une émission au dossier. Un entrepreneur prend contact avec la chaîne et assure que l'un de ses employés s'est volatilisé, du jour au lendemain, en septembre 2023, en même temps que Lina. Le profil de cet homme attire l'attention des enquêteurs. Il "vit à une dizaine de kilomètres du domicile de Lina. C'est pourquoi les gendarmes ont été très intéressés par ce témoignage", explique le producteur de l'émission, Jean-Marie Goix, sur RTL. Des vérifications sont effectuées et, une nouvelle fois, ne débouchent sur rien.
L'ADN de Lina retrouvé dans une voiture volée
Après des mois d'errance judiciaire et de faux espoirs, le tournant déterminant dans ce dossier se produit le 26 juillet. L'ADN de Lina est découvert dans un véhicule volé qui avait été géolocalisé "non loin du point de disparition de la jeune fille", annonce la procureure de la République de Strasbourg, Yolande Renzi. "Une avancée majeure dans l'enquête", selon ses mots. "L'attention des enquêteurs a été attirée par un véhicule non mentionné jusqu'alors", peut-on lire dans le communiqué du parquet.
Tout s'enchaîne alors : la presse révèle qu'un suspect, identifié il y a plusieurs semaines, s'est suicidé après la saisie de la voiture dans laquelle a été retrouvé l'ADN de Lina et qu'il aurait conduite. Il s'agit d'un homme de 43 ans, qui s'est pendu le 10 juillet à Besançon (Doubs), a appris franceinfo de source proche du dossier, confirmant les informations du journal L'Est républicain. Le quadragénaire devait être jugé le 22 juillet pour des vols avec violences commis en août 2023. Autrefois inséré, selon une source proche du dossier, l'homme s'est retrouvé impliqué dans des faits de délinquance. Il a par ailleurs fait des séjours en hôpital psychiatrique.
Une découverte majeure qui a déclenché de nouvelles recherches dans le Grand Est depuis mardi, dans l'espoir d'enfin retrouver Lina, dix mois après sa disparition sur cette petite route départementale du Bas-Rhin.
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