"Usage de la force légitime", "impunité des policiers" : deux avocats débattent des rapports entre les forces de l'ordre et la justice
L'un, Yassine Bouzrou, est connu pour défendre la famille d'Adama Traoré. L'autre, Laurent-Franck Liénard, défend deux des trois policiers impliqués dans l'affaire Cédric Chouviat. Ils confrontent leur expérience sur franceinfo.
Auteurs respectivement de Avocat des flics et Avocat des libertés, deux ouvrages qui paraissent le 16 février aux éditions Nouveau Monde, les deux avocats pénalistes Laurent-Franck Liénard, spécialisé dans la défense des policiers, et Yassine Bouzrou, connu notamment pour défendre la famille d'Adama Traoré, ont débattu mardi sur franceinfo. Opposés sur la question d'une éventuelle "impunité" des policiers, ils ont également discuté de la notion de "violences policières" sur laquelle ils ne sont pas d'accord.
franceinfo : Pourquoi faites-vous ce métier ?
Laurent-Franck Liénard : J'ai décidé de défendre des gens qui nécessitent que je mobilise mon énergie pour eux et avec mon prisme éthique. J'ai décidé de défendre des gens qui pensent faire le bien quand ils se lèvent le matin. Je ne veux pas défendre celui qui commet un larcin. Lui ne m'intéresse pas. C'est un choix de confort professionnel.
Yassine Bouzrou : Lorsque l'on devient avocat, on veut défendre les libertés et les droits fondamentaux. Les dossiers que je traite et que je développe dans ce livre sont vraiment des dossiers où j'estime que l'avocat devient, entre guillemets, le dernier rempart des libertés, car d'autres acteurs judiciaires ne le sont pas assez. C'est ce que j'explique dans ce livre et j'estime que notre rôle aujourd'hui, en tant qu'avocat, c'est vraiment de défendre ces libertés et ces droits fondamentaux qui, malheureusement, régressent de jour en jour.
Y a-t-il des violences policières en France ?
Yassine Bouzrou : Je suis avocat et je suis juriste avant tout. Il se trouve que je ne peux pas contester que la police dispose d'un droit de la violence légitime. Un policier a le droit d'être violent dans le cadre de son métier, lorsque cette violence est légitime. Je fais la distinction avec les violences illégitimes. Lorsqu'un policier interpelle violemment une personne qui vient de commettre une grosse infraction et qu'il a besoin d'utiliser la force, je ne le conteste pas en tant qu'avocat. En revanche, lorsque cette violence devient illégitime, il est normal, selon moi, dans un État de droit, que ce policier se retrouve face à la justice et soit condamné. Je déteste également le terme de "bavure" qui, à mon sens, n'a aucune utilité, bien au contraire. Il faut vraiment distinguer les violences policières illégitimes des violences policières légitimes.
Laurent-Franck Liénard : Je vais un peu plus loin parce que je refuse le terme de "violence". Pour moi, la violence, c'est une infraction. Je parle plutôt d'usage de la force qui est légitime ou illégitime. Cela ne devient une violence que lorsque l'usage de la force est illégitime. Pourtant, l'usage de la force, c'est l'ADN du policier car c'est un membre des forces de l'ordre. La sémantique est importante parce que lorsqu'on parle de violences policières, on fait croire aux gens que la police est systématiquement violente dès qu'elle use de la force, et que c'est nécessairement illégitime lorsqu'il y a un usage de la force. Ça n'est pas le cas. Les violences illégitimes sont commises par des gens qui sont policiers, mais ce sont des gens qui sont violents et qui ne respectent pas la loi. C'est dangereux de parler de violences policières.
Les policiers bénéficient-ils d'impunité ?
Yassine Bouzrou : Dans mon livre, je parle des nombreux dossiers que j'ai traités, une bonne centaine. Dans tous ces dossiers, ce que je remarque systématiquement, c'est qu'il y a soit une impunité totale, soit ce que j'appelle une quasi impunité.
Lorsqu'un policier qui est condamné pour des violences extrêmement graves est condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis, une simple amende ou un blâme, je trouve que l'on se rapproche là de l'impunité.
Yassine Bouzrouà franceinfo
Mais oui, dans tous les dossiers que je traite, il y a une impunité et une quasi impunité organisée. Je l'explique bien dans ce livre, preuves à l'appui. Pour moi, le problème n'est pas tant policier, il est surtout judiciaire. On a aujourd'hui des procureurs qui se comportent comme des avocats des policiers. Je le vois à l'audience dans le traitement des dossiers, systématiquement dans les dossiers que je traite. Il y a malheureusement des magistrats instructeurs qui ne respectent pas la loi comme il la respecterait dans un dossier classique. On a l'impression d'un parcours du combattant alors que les éléments sont parfois flagrants, avec des charges nombreuses.
Laurent-Franck Liénard : J'ai des magistrats qui sont extrêmement sévères avec les policiers, même terriblement sévères, sans aucune motivation. Quand on entre dans le cabinet d'un juge d'instruction, bien souvent, le prisme par lequel le dossier va être examiné, il est terrible.
Les magistrats ne font pas de cadeaux aux policiers, loin de là.
Laurent-Franck Liénardà franceinfo
C'est presque une double peine d'être policier, voire une triple peine, puisque d'abord, ils vont être mis en examen avec interdiction de port d'arme. Ils vont donc perdre leur boulot. Ensuite, ils vont être condamnés pénalement. Ensuite, ils vont être condamnés administrativement. L'impunité n'existe pas du tout pour les policiers.
Les images d'usage de la force par les policiers, diffusées régulièrement sur les réseaux sociaux, sont-elles trompeuses ?
Laurent-Franck Liénard : Je prends une image qui a marqué le pays, qui est celle de l'évacuation du Burger King le 1er décembre 2018 lors de la manifestation des 'gilets jaunes' près de l'Arc de Triomphe. Sur ces images, on voit des CRS qui sont en train de taper à coups de matraque des gens qui sont au sol. Si vous prenez cette image brute, vous vous dites que la police est violente, que la police est fachiste, que la police est terrible... Or, si vous contextualisez ça, vous savez que ces policiers-là sont des gens qui sont depuis 7h du matin sur place, qui se sont battus toute la journée sans boire, sans manger, qui ont fait dix huit kilomètres à pied autour de l'Arc de Triomphe ce jour-là. Lorsqu'ils sont aux abords du Burger King, il est 19h, ils sont totalement éreintés. Ils n'en peuvent plus. Ils ont perdu toute lucidité. Il faut comprendre qu'un policier mis dans une situation pareille qui n'a pas été relevé malgré plusieurs appels à l'aide, qui n'a pas mangé et qui n'a pas bu, qui a pris du gaz lacrymogène toute la journée et qui a manqué de mourir parce que des gens veulent le tuer, n'est pas l'image des violences policières françaises.
Yassine Bouzrou : Tous nos clients mettent en avant un contexte pour justifier les infractions pénales. Mais normalement, les magistrats mettent ça de côté parce qu'on ne peut pas dire que parce que le contexte est compliqué, on a le droit de violer la loi. Le contexte, c'est un peu facile. Lorsqu'on commet une infraction aussi grave, on doit répondre devant la justice et ne pas utiliser cette défense qui est tellement facile que de mettre en avant un contexte. Si c'est trop compliqué pour vous d'utiliser une arme, dans ces cas-là, changez de métier.
On parle beaucoup de la légitime défense des policiers et de cette notion qui doit être assouplie pour de nombreux candidats. Eric Zemmour par exemple veut s'inspirer du droit suisse et de la notion de défense excusable. Qu'en pensez-vous ?
Laurent-Franck Liénard : Vous pouvez faire ce que vous voulez avec la loi. Ce qui compte, c'est d'expliquer aux magistrats qui les appliquent quels sont les tenants et les aboutissants des textes. Parce qu'aujourd'hui, la légitime défense telle qu'elle existe, elle est très bien. Elle assure très bien la garantie des policiers que je défends. En revanche, elle est mal appliquée par les magistrats qui ne comprennent pas les modifications législatives qui sont proposées par les candidats, et qui sont des modifications inutiles et dangereuses.
Yassine Bouzrou : Je suis d'accord avec mon confrère lorsqu'il dit que la loi aujourd'hui est bien faite, mais c'est une question d'appréciation. Par contre, je n'ai pas la même conclusion. Moi, j'estime qu'aujourd'hui, les magistrats interprètent très mal la défense légitime. Aujourd'hui, il suffit qu'un policier dise "j'ai été menacé il y a 20 secondes ou une minute" pour ensuite que la légitime défense soit retenue. Donc, en effet, il faut juste appliquer le droit comme on le fait dans tous les dossiers.
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