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Pourquoi la police a du mal à être équipée de caméras-piétons (même si le principe a déjà été acté)

La généralisation voulue par Emmanuel Macron de ce dispositif censé "rétablir la confiance" se heurte à des difficultés techniques.

Article rédigé par franceinfo
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Les caméras équipant les forces de l'ordre seraient inopérantes, selon les syndicats de police. (NICOLAS LIPONNE / NURPHOTO / AFP)

La mesure est discutée depuis de nombreuses années, mais Emmanuel Macron s'y engage désormais : les caméras-piétons, embarquées par les forces de l'ordre pour lutter contre les contrôles au faciès et les violences policières, seront généralisées "avant la fin du quinquennat", a promis le chef de l'Etat lors de son interview du 14-Juillet.

Ces caméras-piétons, dont sera équipée "chaque brigade qui intervient", doivent permettre de "retracer la vérité des faits qui permettent de protéger, de rétablir la confiance entre la population et la police", a expliqué le président. Mais leur mise en œuvre se heurte à plusieurs difficultés auxquelles le gouvernement devra apporter des réponses.

Des promesses récurrentes depuis 2009

Encore ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner avait souligné le 12 juin, après avoir consulté les organisations syndicales, qu'un consensus s'était dégagé pour "aller vers une généralisation des caméras-piétons, dont la technologie doit monter en gamme, et dont les images doivent pouvoir être utilisées pour établir les faits quand une intervention des forces de l'ordre est mise en cause".

Une idée toute sauf nouvelle, rappelle Le Journal du dimanche, puisqu'elle avait été proposée dès 2009 par le ministre de l'intérieur de l'époque, Brice Hortefeux, et reprises par plusieurs de ses successeurs comme Manuel Valls, Bernard Cazeneuve ou Gérard Collomb. Sans avancée notable. En 2017, un tract de l'Unsa Police ironisait d'ailleurs sur le ministère de l'intérieur, "champion du monde de l'expérimentation", à force de voir cette mesure maintes fois évoquée.

Des caméras de piètre qualité

Après plusieurs années d'expérimentations, le bilan de ces caméras-piétons laisse à désirer. En janvier, Le Canard enchaîné assurait que sur les 10 400 caméras équipant les forces de l'ordre (pour un coût estimé à 2,3 millions d'euros), la plupart n'étaient pas utilisées, voire restaient au placard. En cause : des problèmes de fixation sur les uniformes, mais aussi une autonomie trop faible.

"On est obligés de partir avec quatre batteries de rechange ou alors, pour économiser le jus, on laisse la caméra éteinte. Et la remettre en marche prend des plombes", témoignait un agent. Résultat, sur le terrain, certains membres des forces de l'ordre n'hésitent pas à s'équiper, hors de tout cadre réglementaire, de leur propre GoPro, achetée sur leurs deniers personnels.

Selon un document que s'était procuré "L'Œil du 20 Heures", la Direction générale de la police nationale reconnaissait que l'autonomie de ces caméras n'était que de 2h30, alors que les policiers peuvent rester bien plus longtemps en service sur le terrain. Elle admettait que des matériels "n'ayant pas obtenu la meilleure note technique" avaient été choisis car moins chers, permettant ainsi d'équiper un plus grand nombre d'agents.

Des images pas toujours exploitables

La caméra-piéton ne serait en outre pas adaptée à toutes les situations. Si elle peut sembler adéquate pour des patrouilles et des contrôles d'identité, elle atteindrait ses limites dans des opérations de maintien de l'ordre. En cas d'utilisation d'une arme comme le lanceur de balle de défense (LBD), dont l'usage a été critiqué lors des manifestations des "gilets jaunes" ou contre la réforme des retraites, le champ de la caméra peut tout simplement être obstrué par les bras et les mains du policier, comme l'expliquait un responsable syndical de l'Unsa Police à France 2.

Après l'annonce d'Emmanuel Macron, les syndicats de police attendent maintenant des actes. "Aujourd'hui on est dans la guerre des images. Mais il n'y a qu'une partie des combattants qui ont la capacité de capter des images : ce sont ceux qui agressent les forces de l'ordre", déplore Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat Unité SGP Police. 

Je m'associe à la perspective du président de la République, mais si c'est pour acheter des caméras-piétons qui ne fonctionneront pas, ça ne sert à rien. 

Yves Lefebvre

à franceinfo

Enfin, reste à déterminer quelle utilisation pourra être faite de ces images. Actuellement, elles peuvent être utilisées comme éléments de preuve par les tribunaux ou les instances disciplinaires. Avant de quitter la Place Beauvau, Christophe Castaner avait émis le souhait d'aller plus loin, en évoquant la possibilité de les communiquer au grand public, rappelle Public Sénat. Une proposition controversée qui devrait être tranchée par le Livre blanc de la sécurité intérieure, dont les travaux ont été engagés en octobre.

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