Vidéo Les chiffres de la délinquance reflètent-ils la réalité ?
La délinquance, les policiers la traduisent en chiffres. Combien de vols à la tire, de cambriolages, ou de plaintes pour coups et blessures ? Tous les ans au mois de janvier, les ministres de l’intérieur commentent ces chiffres. Ces chiffres sont utilisés comme outil de communication mais peut-on s’y fier ?
A Marseille, certains policiers affirment que leur hiérarchie leur donnerait des objectifs chiffrés. Selon eux, cette politique du chiffre déformerait la réalité.
Dans des documents récents que nous nous sommes procurés, une liste de tâches à effectuer pour cette année :
150 interpellations sur des atteintes aux biens, comme des vols de voitures, ou des cambriolages.
80 interpellations concernant des atteintes aux personnes. Ce sont les agressions physiques.
Et le plus important : 370 IRAS. Ce sont des interpellations en fragrant délit souvent faciles à faire, selon des policiers. « Vous allez cibler vos contrôles d’identité dans des secteurs pour aller ramener un pauvre gars qui est en train de fumer son joint, avec un petit bout de cannabis, vous allez le ramener au commissariat. Au lieu d’aller tourner dans des secteurs plus criminogènes, où il y a des vols violents, des agressions. Je ne suis pas rentré dans la police pour arrêter 4 jeunes qui fument dans un parc, puis passer une heure à faire un procès verbal qui ne sert à rien», nous confie un policier en poste depuis plus de 10 ans. Quel intérêt pour la hiérarchie ? «Au niveau des statistiques, on a 100% de faits élucidés», ajoute le policier.
Pour une présentation plus favorable du travail de la police, parfois, certains policiers s’arrangeraient avec la réalité des plaintes. Sur un procès-verbal que nous avons consulté, une victime raconte : «Je me promenais à Marseille, et je téléphonais à ma fille en même temps. Soudain j’ai senti une main, venant de derrière et on m’a arraché mon téléphone portable». Pour le policier qui reçoit la plainte, il s’agit d’un «vol simple». Mais est-ce vraiment un vol simple ? Vérifions avec Malik Farajallah, avocat pénaliste. « Ce n’est pas un vol simple. On lui a arraché le téléphone. On est donc bien en présence d’un vol avec violence ».
A quoi sert de minimiser les faits ? «Le simple fait de minimiser les infractions, ça permet de dire que la criminalité est moins sévère dans un secteur donné. Ce sont les méfaits de la politique du chiffre», explique l’avocat pénaliste.
«Il faudrait que tu le fasses en vol simple»
Plus grave, un policier qui souhaite rester anonyme nous raconte avoir modifié plusieurs plaintes, à la demande de sa hiérarchie : «Directement, c’est l’officier chef d’arrondissement qui est venu me dire, "ce PV de vol avec violence, il faudrait que tu le fasses en vol simple." Donc qu’est-ce qu’on fait ? Je rentre dans le logiciel de rédaction de procédures de la police nationale, je modifie l’infraction et je la modifie en vol simple. C’était un vol aggravé qui s’est tansformé en vol simple en 4 secondes. Vous savez tous les mois de février, vous avez le préfet qui annonce les statistiques, et il disait que les atteintes aux personnes ont chuté de 40%, bah oui, c’est sûr, on l’aide bien.»
Un syndicat de policier a alerté sur cette pratique qu’il juge illégale et passible d’une peine de prison. Une pratique encouragée selon lui par la hiérarchie : «Certains commissaires font cela pour avoir des primes de fin d’année conséquentes, les directeurs peuvent avoir jusqu’à 100 000 euros. Donc il faut qu’il présente des bons chiffres, il faut montrer qu’ils ont fait leur travail, qu’ils ont agi», s’indigne Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police VIGI. Nous avons contacté le ministère de l’intérieur, voici la réponse du responsable des policiers des Bouches-du-Rhône : «Il n’y a eu aucune instruction de ma part d’intervenir sur la comptabilisation des statistiques.»
Le responsable des policiers des Bouches du Rhône ajoute avoir lancé un audit pour faire la lumière sur cette affaire. On attend les résultats chiffrés de cette enquête avec impatience.
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