Attaque à la préfecture de police en 2019 : les collègues de Mickaël Harpon s'étaient inquiétés de son comportement
Visite dans une mosquée sensible, soutien aux actions des "gilets jaunes", hostilité envers la police… Les conclusions de l'enquête, dont France Télévisions a pu prendre connaissance, montrent que certains agissements de l'assaillant avant l'attaque avaient alarmé ceux qui travaillaient avec lui.
Il y a un an, le 3 octobre 2019, Mickaël Harpon, adjoint administratif de 2e classe en poste à la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), assassinait quatre policiers et blessait gravement une cinquième fonctionnaire, au sein même de la préfecture de police sur l’île de la Cité. Cet informaticien de 45 ans venait d’acheter deux couteaux, dont un de cuisine, dans un magasin du quartier.
L’assaillant a finalement été abattu par un jeune gardien de la paix alors qu’il se dirigeait vers lui, arme à la main, dans la cour d’honneur. Pour la première fois, les services de renseignement français, en charge de la lutte contre le terrorisme, étaient touchés de l’intérieur. Un traumatisme qui ne s’est toujours pas dissipé.
Les conclusions de l’enquête judiciaire, effectuée par trois services de police (brigade criminelle, sous-direction antiterroriste de la police judiciaire et Direction générale de la sécurité intérieure ou DGSI), dont France Télévisions a pu prendre connaissance, montrent que de nombreux signaux avant-coureurs ne sont pas remontés à la hiérarchie ou ont été sous-estimés.
Relations ambiguës vis-à-vis des femmes
Entendus comme témoins, plusieurs collègues de Mickaël Harpon ont en effet indiqué aux enquêteurs s’être inquiétés de la dérive religieuse de cet informaticien converti à l’islam. Au point de mener des investigations personnelles et parallèles sur leur collègue…
Atteint de surdité à la suite d’une méningite survenue durant son enfance, celui que l’on surnommait "Bernardo" se sentait freiné professionnellement par son handicap, mis à l’écart, voire stigmatisé. D’où un fort ressentiment envers l’institution et une franche hostilité envers… la police.
Certains détails ont déjà émergé, notamment ceux portant sur ses relations ambiguës vis-à-vis des femmes. "Son comportement avait également connu une évolution [depuis sa conversion à l’islam] dans ses relations avec ses collègues féminines. Certains témoignages faisaient état du fait qu’il refusait de leur faire la bise, ce que d’autres contestaient", lit-on dans le rapport de transmission adressé par la police au Parquet national antiterroriste.
Par ailleurs, une "violente altercation verbale" avec un collège est évoquée. Elle aurait eu lieu après les cérémonies en hommage aux morts de Charlie Hebdo et des forces de l’ordre, à la suite des attentats djihadistes de janvier 2015.
Repéré dans une mosquée "sensible"
Des agents du renseignement de la préfecture avaient, disent-ils, remarqué d’autres comportements suspects. Comme, selon eux, cette habitude de jouer au football près de la porte de Bagnolet dans une équipe soudée autour de la pratique d’un "islam salafiste" (fondamentaliste) plutôt que du culte du ballon rond.
Il y a aussi cet étrange épisode, survenu moins de quatre mois avant l’attaque. Le 17 juin 2019, deux agents en planque devant une mosquée qualifiée de "sensible", fréquentée par la communauté pakistanaise dans le 10e arrondissement de Paris, ont la surprise de voir entrer Mickaël Harpon. Du fait de ses fonctions d’informaticien, ce dernier n’est pas là en mission. Mais, regrettent les rédacteurs du rapport de transmission, "personne n’allait être avisé de cette observation".
Un membre de la famille Harpon se souvient en outre des propos de l’informaticien après l’attaque contre la communauté musulmane de Christchurch en Nouvelle-Zélande (51 morts). Le 19 mars 2019, il aurait maudit l’assassin, un suprémaciste blanc, en ces termes : "Allah te punira toi et ta descendance !". Le même Mickaël Harpon se serait par ailleurs félicité d’une vidéo dans laquelle on voit des violeurs se faire couper le pénis, châtiment infligé par un tribunal islamique et qu’il aurait présenté comme "bon pour la société".
Les policiers "coupables à ses yeux de l’avoir humilié"
Plus surprenant, les manifestations des "gilets jaunes" auraient mis en évidence "une hostilité foncière envers les forces de l’ordre, voire une sympathie certaine pour les méthodes utilisées par certains émeutiers". On apprend aussi que l’informaticien, bien qu’employé par l’un des principaux services de renseignement, "conservait une rancune tenace à l’encontre des policiers, coupables à ses yeux de l’avoir humilié plus jeune, à l’occasion d’une garde à vue qu’il estimait injustifiée". Un autre collègue évoque un "climat de suspicion de radicalisation au service". L’un d’eux explique même avoir pensé à "le faire virer" pour cette raison.
Bien sûr, ces témoignages ont été recueillis après l’attaque. Les souvenirs des collègues de Mickaël Harpon sont donc forcément conditionnés par le drame. De plus, ils sont parfois relativisés par les proches de l’informaticien, qui mettent l’accent sur sa dérive personnelle, ses délires nocturnes et des tensions récurrentes avec son épouse.
Alerté à l’époque, l’un des chefs de service aurait indiqué que la "radicalisation de Mickaël Harpon n’était pas démontrée". Quant au "conseiller prévention", il se montre "étonné" que "personne ne [lui ait] dit qu’il s’était converti à l’islam".
La préfecture de police a, depuis, pris des mesures pour mieux déceler les cas de radicalisation dans ses rangs et procédé à des retraits d’habilitation secret-défense. L’instruction de ces procédures, indispensables pour travailler dans ce secteur sensible, relève désormais de la DGSI, avec des critères identiques à ceux appliqués à son propre personnel. Mickaël Harpon avait obtenu sans difficulté le renouvellement de ce précieux sésame le 1er août 2013.
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