Après l'attaque à la préfecture de police de Paris, les fonctionnaires inquiets face à la radicalisation de l'un des leurs
Alors que les éléments en faveur de la piste terroriste s'accumulent, la confiance des policiers en leur institution s'amenuise. Surtout, ils redoutent une possible divulgation d'informations sensibles par l'auteur de l'attaque, Mickaël Harpon.
Un "moment particulier", partagé entre "profonde tristesse" et "insécurité grandissante". C'est ce que vivent les policiers depuis l'attaque qui a fait quatre morts à la préfecture de police de Paris, jeudi 3 octobre. Et les derniers éléments connus de l'enquête sur le meurtrier, Mickaël Harpon, ont érodé encore un peu plus leur confiance en l'institution.
Surtout, ils sont plongés dans l'angoisse depuis qu'une clé USB, contenant coordonnées et données personnelles de dizaines de collègues du tueur, a été retrouvée dans son bureau à la préfecture de police.
"Le pire scénario possible"
"Par son poste, au sein du service de renseignement, il avait accès à un nombre de données très important, s'inquiète Philippe Capon, secrétaire général du syndicat Unsa Police. Il intervenait régulièrement sur les postes informatiques des fonctionnaires de police, et, évidemment, ceux-ci ne se méfiaient pas de lui puisqu'ils faisaient confiance à leur collègue." Le syndicaliste dénonce "le pire scénario possible", à la fois pour la sécurité nationale et pour les membres de la police : une attaque par un agent des services de renseignement. "C'est impossible de fouiller tout le monde qui rentre dans un bâtiment de police, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'une personne connue des services, en laquelle on a confiance."
Patrice Ribeiro, du syndicat Synergie-Officiers, se veut plus rassurant et appelle à attendre les résultats de l'enquête, la piste du "coup de folie", sans lien avec une radicalisation, n'ayant pas encore été écartée. Malgré la "sidération" qui a pris tout le corps policier à l'annonce de l'attaque, "le degré d'imputabilité de l'attaque à la conversion de Mickaël Harpon n'est pas encore connu", rappelle-t-il.
Toutefois, "si on découvre qu'il a eu des relations avec gens radicalisés, sachant ce à quoi il pouvait avoir accès, ce serait très dangereux" : habilité au secret-défense, l'assaillant avait accès à des informations très sensibles, telles que les adresses des fonctionnaires et l'identité des sources et agents infiltrés, souligne Patrice Ribeiro. "La pire chose que l'on puisse apprendre, c'est qu'il a diffusé les noms des agents qui risquent leurs vies au quotidien dans des milieux dangereux pour que les citoyens vivent tranquillement." Une hypothèse "catastrophique", selon l'officier.
"On ne peut pas se méfier de nos collègues"
Cette attaque, commise par l'un des leurs, bouleverse profondément les fonctionnaires de l'institution. Et pour cause : "Nous savons gérer les menaces extérieures, c'est notre boulot, témoigne Philippe Capon. Mais on ne peut pas se méfier de nos collègues, qui sont des piliers à notre mission. Sinon, ça devient rapidement ingérable."
D'autant plus que le drame intervient dans un climat particulièrement tendu. La veille, 22 000 fonctionnaires de police participaient à la "marche de la colère" parisienne – une manifestation inédite depuis près de vingt ans. L'intersyndicale avait appelé les policiers à battre le pavé pour dénoncer le malaise régnant dans l'institution. Hausse des suicides, manque de moyens : "On est tous crevés", témoignaient des manifestants auprès de notre journaliste sur place.
Mais cette fois, c'est différent. "On est habitués à se faire insulter lors des manifestations, à ce que les citoyens ne nous fassent pas confiance", déplore Philippe Capon.
Là, on a pris conscience que la menace pouvait venir de nos rangs. La perte de confiance vient de l'intérieur. On ne va plus savoir quoi faire.
Philippe Capon, secrétaire général de l'Unsa Policeà franceinfo
L'Unsa appelle à une "réponse politique globale", "des actes", pour "sortir de cet état d'esprit de malaise profond". Le syndicat dénonce un gouvernement qui peine à prendre ses responsabilités.
Interrogé sur France Inter, Christophe Castaner a déploré qu'aucun signalement formel n'ait été fait pour Mickaël Harpon, malgré la multiplication de "signaux faibles". Un "dysfonctionnement d'Etat", selon lui. "C'est facile de dire qu'il n'y a pas eu de signalement, mais la hiérarchie ne peut pas se reposer sur les personnels, rétorque Philippe Capon. C'est à elle d'enquêter et d'estimer le risque potentiel." Difficultés à dénoncer un collègue avec qui on travaille depuis des années, peur de faire des amalgames, de "pourrir l'ambiance" des services… Les freins aux signalements sont nombreux, d'après le patron de l'Unsa.
Des failles dans la détection de la radicalisation ?
Selon le parquet national antiterroriste (Pnat), saisi dès le lendemain de l'attaque, Mickaël Harpon "aurait adhéré à une vision radicale de l'islam" et était en contact avec des individus de la "mouvance islamiste salafiste". D'après le procureur antiterroriste, sa conversion à l'islam remonte à une dizaine d'années. Or, comme l'a affirmé le ministre de l'Intérieur, la dernière enquête préalable à l'habilitation au secret-défense de Mickaël Harpon remonte à 2013. Un nouvel examen devait se tenir en 2020. L'attaque est intervenue dans "une période d'entre-deux", a souligné Christophe Castaner.
Pourtant, "dans les services de renseignement, la moindre vulnérabilité fait que vous êtes éloigné", rapporte Patrice Ribeiro, de Synergie-Officiers, qui rappelle que "les gens qui travaillaient avec [Mickaël Harpon] n'ont rien détecté, alors que c'était leur métier".
La prise en charge de la radicalisation dans la police s'est pourtant renforcée depuis 2017 : le service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas) croise sept fichiers de police et de renseignement lors du recrutement d'un agent, et la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a ouvert la possibilité d'enquêter sur des personnes déjà en poste. Un plan national, commun à tous les corps de métiers, a également été mis en place en février 2018. Depuis 2015, une vingtaine de personnes ont été mises à l'écart de la police en raison de leur radicalisation, selon un décompte du ministère de l'Intérieur recueilli par franceinfo.
Mais "la radicalisation est une menace endogène, qui peut toucher tout le monde, tout le temps, et l'institution n'en est pas exclue", rappelle Patrice Ribeiro. En juin 2019, une mission d'information parlementaire sur la radicalisation dans les services publics faisait état d'une trentaine d'agents de police pris en charge. Un phénomène "marginal", selon les rapporteurs.
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