Le survivant de Dammartin témoigne : "Une tache sur une page de ma vie"
Un garçon de 27 ans. Un jeune homme grand portant une queue de cheval. Un jeune homme souriant, posé. On avait découvert son visage 72 heures après l'assaut de Dammartin-en-Goële à la télévision. Il avait raconté ses huit heures sous l'évier : ses échanges SMS avec le GIGN depuis cette planque, ces moments où il avait entendu les frères Kouachi discuter ou boire au robinet juste au-dessus de lui, et puis l'assaut des forces de l’ordre vécu de l’intérieur. A la télévision, ce qui avait frappé alors, c'était le calme de Lilian Lepère, la fluidité de son récit.
Aujourd’hui le jeune homme va plutôt bien, compte tenu de cette terrible expérience. Lilian raconte même qu'il savoure plus la vie, qu’il savoure plus intensément les bons moments, en famille notamment. Il va bien même s'il a subi assez logiquement un stress post-traumatique. "J’ai vécu des évènements qui ont transformé ma vie. Juste après les faits, je répétais que ma vie n’allait pas changer. Mais elle a changé. Il y a les flashs qui me parviennent de temps en temps. Les bruits anodins pour les autres mais qui retiennent mon attention régulièrement. Les pensées sombres qui remontent à des moments parfois incongrus comme quand je fais la vaisselle… au-dessus de l’évier forcément" , confie le jeune rescapé.
Face à ces symptômes, Lilian dans un premier temps a cru qu’il était assez fort pour gérer ces troubles seul. Mais assez vite, il en a parlé à ses proches puis à un professionnel. "Voir un psychiatre m’a beaucoup aidé. Je ne pensais pas en avoir besoin, mais en fait, ça n’est pas optionnel , explique-t-il. J’ai appris à mettre des mots sur tous les sentiments qui me traversent. Des sentiments de tristesse, de stress et de peur diffuse." "Ça fait comme une tache sur une page de ma vie" , conclut-il.
Un stress à chaque nouvel attentat
Lilian suit l'actualité, mais pas trop assidument pour éviter d'être bouleversé à chaque nouvel attentat ou menace. Villejuif, Saint-Quentin-Fallavier, le Thalys et puis évidemment le 13 novembre au Stade de France, sur les terrasses parisiennes et au Bataclan. A chaque fois, ces nouvelles attaques terroristes sont compliquées à gérer pour lui. "A chaque fois que j’entends à la radio un nouvel événement de ce genre, je me dis 'Ça recommence déjà ! Ça recommence encore !' Et je me pose cette éternelle question : pourquoi ? Ensuite j’essaie d’absorber. Même si moi, je n’ai pas vu de morts, pas perdu de proches, même si je n’ai pas vu le sang couler, je crois que je peux assez bien imaginer ce que vont traverser les autres rescapés. Il y a forcément une empathie, comme une communauté" , dit Lilian.
Le jeune graphiste a rejoint l’AFVT, l’Association Française des Victimes du Terrorisme. Il apprécie l’accompagnement que cela lui offre. Et même si c’est encore un peu tôt, il se dit qu’il sera un jour plutôt content de croiser dans des réunions d’autres victimes du terrorisme. "Un jour, j’aurai peut-être des échanges bénéfiques avec des rescapés des terrasses ou du Bataclan. J’y songe pour plus tard, quand ma reconstruction sera un peu plus avancée" , explique-t-il.
Quand on demande à Lilian s’il a cherché à savoir qui étaient ces frères Kouachi qu’il avait approchés de si près et qui avaient commis de telles atrocités, sa réponse est directe et très claire : "Absolument pas" . C'est souvent ainsi que répondent les victimes du terrorisme. La plupart rejette complètement leurs bourreaux. Jamais Lilian ne prononce le nom des Kouachi. En revanche, il confie qu'il repense par moments aux hommes du GIGN. Ces hommes avec qui il a échangé des SMS, qu'il a vu les premiers en sortant de sous l'évier après l'assaut. Ils ont - dit-il - "une mission difficile et admirable" .
Lié à son ancien patron pour toujours
Et puis Lilian pense souvent à son patron à l'imprimerie, Michel Catalano. Celui qui voyant arriver les frères Kouachi lui a demandé d'aller se cacher. Celui qui a tremblé ensuite jusqu'à l'assaut de peur que les terroristes ne découvrent le jeune homme. Tous les deux restent proches aujourd'hui. "On se revoit régulièrement. On mange un morceau et on parle ensemble. On parle de ce qui s'est passé ce jour-là. Mais on parle aussi de la vie, d'autre chose. On essaye de rigoler comme on le faisait avant" , confie Lilian. Le garçon a essayé en février et mars dernier de retourner travailler dans l'imprimerie auprès de Michel Catalano, mais il n'a pas réussi. "Trop de cicatrices, trop de souvenirs et aussi trop de peurs" , explique-t-il. Il a donc quitté l'entreprise et a aujourd'hui retrouvé un travail ailleurs. "Cela me permet d'avancer aussi, d'aller de l'avant en faisant de nouvelles rencontres" , commente le garçon.
Dans cette nouvelle vie, ce que Lilian supporte toutefois assez mal c'est parfois le regard des autres. Ces personnes qu'il rencontre qui sans méchanceté ne peuvent s’empêcher de le considérer comme une victime, de le cataloguer "héros". Il veut être un jeune homme simple et refuse d’être réduit à l’image de celui qui a été caché sous l'évier et qui a survécu.
Une plainte contre TF1, France 2 et RMC
Lilian, comme son employeur Michel Catalano, a pris un avocat pour - malgré tout - faire valoir ses droits de victime. Il a également déposé plainte contre plusieurs médias : TF1, France 2 et RMC. Lilian les accuse d'avoir révélé en direct qu'il était caché dans l'imprimerie. Une plainte pour mise en danger de la vie d'autrui.
"Ils [les frères Kouachi] étaient dans la pièce juste à côté de la mienne. Ils pensaient avoir relâché tout le monde. Ils n’avaient plus de moyens de s’enfuir et se retrouvaient dos au mur. Et là, on leur apprend qu’ils ont encore en fait un moyen de pression. Ils avaient accès à des ordinateurs et à la radio. J’ai juste eu la chance qu’ils ne se soient pas branchés sur ces médias qui ont mis ma vie en danger. Tout cela était en direct. Or il n’y avait aucune urgence. La seule urgence, c’était de me sauver la vie, pas de révéler au monde entier que j’étais caché à l’intérieur et forcément très vulnérable. La révélation de cette information aurait pu attendre le soir ou le lendemain. C’est une question de bon sens. Il faut réfléchir 30 secondes dans ce type de situation. La course à l’information ne fera pas avancer le monde. Une bonne information, c’est une information fiable et donnée au bon moment. Là, c’était une information moyennement fiable et donnée au très mauvais moment. Tout ce qu’il ne faut pas" , lance Lilian Lepère avec véhémence, toujours amer un an après.
Cette plainte contre trois médias a peu de chance d'aboutir mais Lilian et son avocat espèrent au moins avec cette démarche soulever des questions, faire réfléchir les journalistes à leur obligation de prudence et de sécurité.
Prochain rendez-vous public pour le jeune graphiste : la remise de la légion d’honneur. Il se dit très honoré de figurer dans la promotion du 31 décembre 2015 aux côtés d’autres survivants des attentats. Il sera élevé au rang de chevalier.
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