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L'affaire Grégory résumée en cinq dates

Le 16 octobre 1984, un enfant de 4 ans était retrouvé mort dans la Vologne (Vosges), pieds et mains liés. Ce meurtre, jusqu'à maintenant non résolu, a passionné les médias et l'opinion.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Christine et Jean-Marie Villemin, devant le portrait de leur fils Grégory, le 23 novembre 1984 à Epinal (Vosges). (ERIC FEFERBERG / AFP)

Les cheveux bouclés et le sourire confiant d'un enfant de 4 ans, devenus emblématiques d'un meurtre imprimé dans les mémoires. Le 16 octobre 1984, le corps du petit Grégory, lié par une cordelette, est retrouvé mort dans les eaux de la Vologne, dans les Vosges. Cette découverte est le point de départ d'un fait divers qui émeut la France entière avant d'engendrer de multiples dérives journalistiques et judiciaires, sous le premier septennat de François Mitterrand.

Trente-deux ans plus tard, le mystère sera-t-il enfin levé après les derniers rebondissements de l'affaire ? Cinq personnes, toutes membres de la famille de l'enfant, ont été interpellées, mercredi 14 juin. En attendant d'en savoir plus sur les derniers développements de l'enquête, franceinfo vous résume cette affaire hors-norme en cinq dates.

Octobre 1984 : le corps du petit Grégory est trouvé dans la Vologne

Il est 17h50 à Lépanges-sur-Vologne (Vosges), ce 16 octobre 1984, lorsque Christine Villemin signale à la gendarmerie la disparition de son fils Grégory, âgé de 4 ans. Selon la mère, l'enfant jouait devant la maison lorsqu'il a disparu. Vers 21h15, il est retrouvé mort dans la Vologne, vêtu d'un anorak, pieds et mains liés par une cordelette, un bonnet enfoncé sur sa tête. Son corps ne porte pas de traces de coups ou de violences apparentes.

Photo non datée du petit Grégory Villemin, retrouvé noyé le 16 octobre 1984 alors qu'il avait 4 ans, pieds et mains liés dans la Vologne (Vosges). (AFP)

Le lendemain, le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, reçoit une lettre anonyme postée à Lépanges, le jour du meurtre. Elle revendique le crime en ces termes, rappelle Paris Match"J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n’est pas ton argent qui te rendra ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con."

La famille Villemin est harcelée depuis le début des années 1980. Un anonyme avait menacé par téléphone Jean-Marie Villemin, joint à son bureau, de s'en prendre à son enfant. L'existence d'un "corbeau" est ainsi révélée à la justice et à la presse, qui va se répandre en hypothèses plus ou moins hasardeuses. Celle de la vengeance est privilégiée : la situation de Jean-Marie Villemin, contremaître dans une usine de pièces automobiles, susciterait des jalousies familiales.

Mars 1985 : suspecté du meurtre, Bernard Laroche est abattu par le père de Grégory

Journaux, radios et télés se jettent sur l'affaire. Dès le début , les envoyés spéciaux affluent en masse sur ce coin des Vosges jusque-là préservé des attentions. A Lépanges-sur-Vologne, le petit millier d'habitants est rapidement débordé par une meute médiatique prête à tout pour décrocher un scoop. Vols de photos, micros cachés dans les armoires, usurpation d'identité... Toutes les méthodes sont bonnes, y compris les pires. Quelques années plus tard, une jeune journaliste qui avait couvert l'événement pour Europe 1, Laurence Lacour, racontera dans Le bûcher des innocents (éd. Plon) ces multiples dérapages.

C'est à un juge de 32 ans, Jean-Michel Lambert, qu'il revient d'instruire l'affaire. Mais pour son premier poste, il maîtrise si mal la procédure que plusieurs erreurs mèneront à "l'annulation de certaines pièces du dossier", souligne Le FigaroLe premier nom de suspect lui est fourni par une adolescente de 15 ans, Muriel Bolle. Elle accuse son beau-frère, Bernard Laroche, du meurtre. Il a, dit-elle, emmené en voiture "un petit garçon coiffé d'un bonnet qu'il a mis à l'arrière (...) puis il est revenu seul", rapporte Libération dans un article intitulé L'affaire Grégory, le mystère imaginaire. Sur la foi de ce témoignage, mais aussi d'autres indices, ce cousin germain de Jean-Marie Villemin sera très vite incarcéré.

Coup de théâtre, la jeune fille, témoin numéro 1, se rétracte très vite et ne changera plus d'avis. Bernard Laroche est donc remis en liberté le 4 février 1985, bien qu'il soit toujours accusé d'"assassinat". Le considérant comme l'assassin de son fils, Jean-Marie Villemin menace de le tuer dès sa sortie de prison. Et il passe à l'acte. Le 29 mars 1985, il abat Bernard Laroche d'un coup de fusil à bout portant, ce qui lui vaudra une condamnation à cinq ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, le 16 décembre 1993. Il sera libéré quelques jours après, ayant purgé l'essentiel de sa peine en détention provisoire.

Juillet 1985 : la mère, Christine Villemin, est mise en examen

La presse se déchaîne plus que jamais. Alors pigiste de 24 ans, le journaliste Denis Robert a raconté à 20 Minutes à quel point le sujet était porteur.

Il faut dire que les ventes de "Libé" étaient très bonnes quand on mettait l’affaire Grégory à la une.

Denis Robert, journaliste

à 20 Minutes

Dans cet incontrôlable maelström d'informations nourri d'abondantes fuites, l'instruction menée par le juge Jean-Michel Lambert opère un spectaculaire revirement au début de l'été 1985. Le magistrat dirige désormais ses soupçons vers la mère de l'enfant, Christine Villemin, qui est incarcérée le 5 juillet.

Elle est remise en liberté provisoire onze jours plus tard, sur décision de la chambre d'accusation de Nancy. Journaux et grand public se divisent entre tenants de la culpabilité de Bernard Laroche et accusateurs de la mère. Un sommet est atteint avec la romancière Marguerite Duras. Le 17 juillet 1985, sous le titre "Sublime, forcément sublime Christine V.", l'auteure publie dans Libération un texte posant Christine Villemin en évidente meurtrière de son fils. "Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé, écrit-elle. L'enfant a dû être tué à l'intérieur de la maison. Ensuite, il a dû être noyé. C'est ce que je vois. C'est au-delà de la raison." A la lecture de cette chronique, rapportait Libération en 2007, "Christine Villemin, ­que Marguerite Duras n'avait pu rencontrer, a eu juste ces mots : 'Mais elle est folle celle là !'".

1993 : Christine Villemin est finalement innocentée

En 1987, l'affaire est finalement confiée à la cour d'appel de Dijon. Christine Villemin ne cesse de clamer son innocence, mais il faudra encore six ans avant qu'elle ne soit définitivement blanchie. Au terme de deux enquêtes instruites successivement par trois juges, la mère de Grégory est totalement innocentée en 1993. Elle bénéficie d'un non-lieu retentissant pour "absence totale de charges", une formule inédite aux accents d'excuses et d'aveu d'erreur judiciaire. 

Dans un arrêt de près de cent pages, le président de la cour livre un constat amer sur les erreurs de la justice, relève Le Figaro : "L'enquête a été rendue difficile par les insuffisances des investigations initiales, les erreurs de procédure, la rivalité police-gendarmerie, les querelles des spécialistes, la médiatisation extrême de ce drame mystérieux." 

Lorsqu'elle est invitée par le Sénat aux côtés de son époux en 1994, Christine Villemin regrette que la presse, loin de chercher la vérité, ait "imaginé un grand feuilleton en réécrivant [s]on histoire, [s]a jeunesse, [leur] vie de couple et même celle de [leur] enfant que l'on disait, entre autres, mal aimé".

1999 et 2008 : l'enquête est rouverte

Fin du feuilleton ? Non, l'affaire est rouverte en 1999, puis en 2008, pour tenter d'identifier d'hypothétiques traces d'ADN sur les scellés. Certains mélanges génétiques ont pu être isolés, comparés avec 280 personnes figurant dans le dossier.

"Tout a été repris, revérifié, assure en 2014 à l'AFP Jean-Jacques Bosc, le procureur général de Dijon en charge du dossier. On a mis beaucoup de moyens pour permettre d'avancer." "Outre les 400 personnes prélevées, une centaine de témoins ont été interrogés, certains pour la première fois, explique-t-il aujourd'hui. Près de 2 000 courriers anonymes, reçus par les protagonistes de l'affaire, mais aussi par les magistrats, ont été analysés en détail."

Ce cold case va-t-il enfin être élucidé, trois décennies plus tard ? Cinq personnes ont été entendues mercredi 14 juin, toutes appartenant à la famille de l'enfant. Quant à Jean-Marie et Christine Villemin, ils sont venus vivre en région parisienne à la fin des années 1980. Ils ont eu trois enfants, et ont réussi, assurait en 2008 Le Figaro, à reconstituer un "cocon familial".

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