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Tournantes : treize ans après, peu de choses ont changé

De 1999 à 2001, Nina a été violée par 18 garçons, à Fontenay-sous-Bois. Alors que leur procès débute aujourd'hui, FTVi fait le point sur ce type d'agressions.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Nina a été violée de 1999 à 2001, alors qu'elle avait entre 16 et 18 ans, par une vingtaine de garçons, notamment dans cette cave d'un immeuble HLM de Fontenay-sous-Bois, photographiée le 17 juin 2006. (MATTHIEU DE MARTIGNAC / MAXPPP)

FAITS DIVERS - Treize ans après le début de son calvaire, Nina, âgée aujourd'hui de 29 ans, assiste enfin au procès de ses agresseurs présumés. Sur les dix-huit hommes accusés de l’avoir violée entre 1999 et 2001 à l’abri des regards, dans une cave d’un immeuble de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), quinze seront jugés mardi 18 septembre aux assises. Deux autres comparaîtront devant un tribunal pour enfants en raison de leur âge à l’époque des faits, un autre s’est suicidé en 2004. Dix-huit hommes, identifiés par Nina, quand certains témoins se souviennent d’"une cinquantaine" de garçons, attendant leur tour pour lui "passer dessus", écrit Libération dans son édition de lundi.

L’histoire douloureuse de Nina remet sur le devant de la scène une forme de violence faite aux femmes soudainement médiatisée au début des années 2000 : celle des tournantes. FTVi dresse l'état des lieux d'un crime tabou jadis à la une. 

Il n'y a ni plus ni moins de tournantes qu'avant 

Difficile de quantifier ces violences. Culpabilisées, menacées et humiliées, de nombreuses victimes ne se manifestent pas. La médiatisation des années 2001-2003 a donné lieu à des études et à de nombreux articles sur le sujet. Mais aucun organisme ne centralise aujourd'hui les données qui émanent des diverses associations de lutte contre les violences faites aux femmes, déplore Asma Guenifi, présidente de l'association Ni putes ni soumises. Cependant, en se fiant "au nombre de témoignages que nous recevons, nous avons l’impression d’une légère baisse du nombre d'appels par rapport au début de l'association, en 2003", constate-t-elle.

L’Observatoire national de la délinquance montre qu’entre 50 000 et 75 000 femmes sont violées en France chaque année. Les viols collectifs représenteraient "10 % du total", estime le docteur Emmanuelle Piet, du Collectif féministe contre le viol. Pour elle, il est inutile, en raison de ce chaos statistique, "de parler d'une hausse ou d'une baisse" de ces agressions en groupe, en attendant que l'Observatoire de la violence faite aux femmes, promis par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, ne vienne confirmer ou infirmer une tendance.

Surtout, la tournante n'est pas un "phénomène" récent. Au Moyen Age, par exemple, "le viol, et surtout le viol collectif, se pratique de façon obsédante", écrit Nicole Gonthier dans une étude de la violence dans les villes françaises à la fin du Moyen Age, citée par le sociologue Laurent Mucchielli. Dans un article paru en 2005 dans la revue Sciences de l’Homme et de la Société, ce dernier rappelle notamment que de tels crimes étaient commis par des "blousons noirs" dans les années 1960 et 1970, telle une pratique criminelle en bande parée des vertus du rite initiatique.

Ce n'est pas seulement un problème de jeunes des cités

L'affaire dite "de la dalle d'Argenteuil", médiatisée en 2002, et le récit de Nina dans son quartier de Fontenay-sous-Bois situent le calvaire des jeunes filles dans les tours HLM d'Ile-de-France. Mais "on retrouve des cas de viols collectifs dans tous les milieux sociaux", insistent les associations, qui citent notamment les soirées d'intégration universitaire.

Dans son étude sur les viols collectifs, le docteur Patrice Huerre, psychiatre auprès de la cour d'appel de Paris, décrit des agresseurs jeunes, issus de milieux défavorisés et en échec scolaire. Pourtant, la situation se révèle bien plus contrastée. "C'est parce que le mécanisme de formation des bandes joue beaucoup plus dans les quartiers pauvres des grandes agglomérations que les viols collectifs y sont plus nombreux", décrypte Laurent Mucchielli.

Sans distinction de milieu ou d'origine,"on est violeur de 10 à 80 ans, que l'on soit adultes, adolescents, étudiants, dans l'armée ou dans un bal populaire à la campagne, etc.", résume pour sa part Emmanuelle Piet. 

 Les mentalités n'ont pas évolué

"La tolérance sociale au viol est encore assez forte", note Emmanuelle Piet. Ainsi, en 2010, Le Parisien s'est fait l'écho d'un mouvement spontané de soutien à des collégiens soupçonnés d'avoir violé une camarade de 14 ans. Des adolescentes s'étaient rendues en cours avec des tee-shirts portant ce message : "On les aime. Sortez-les de prison." 

Tandis que la culpabilité ("J'aurais dû crier, je n'aurais pas dû être là, j'aurais dû me défendre", se reprochent les victimes, explique le docteur Piet) demeure présente chez les agressées, l'idée selon laquelle la victime était consentante reste bien ancrée. "Dans les collèges, nous parlons aux élèves de toutes les violences, précise la présidente de Ni putes ni soumises. On commence par la question de la jupe. Car pour beaucoup, derrière la jupe, il y a la pute, et donc celle qui accepterait d'être violée", poursuit-elle. "On dit d'ailleurs 'elle s'est fait violer' plutôt qu' 'elle a été violée', comme si la victime avait provoqué quelque chose", renchérit Emmanuelle Piet. "Dans beaucoup de plaidoiries, des avocats de violeurs présumés défendent cette thèse", confirme Régis Lemierre, secrétaire général du syndicat UNSA -SPJJ et chef de service éducatif au tribunal pour enfants de Nanterre (Hauts-de-Seine).

Les victimes sont mieux accompagnées 

"C'est important que la justice condamne, estime Asma Guenifi. Ça l'est pour les victimes, mais aussi pour envoyer un message." Sorti du huis clos d'un quartier, d'une tour ou d'une classe, "la justice joue un rôle de régulateur", poursuit-elle. Une condamnation pour viol en réunion peut aller jusqu'à dix à quinze ans d'incarcération, indique Régis Lemierre. Cette peine peut être divisée par deux lorsque, prononcée contre un mineur, "l'excuse de minorité est reconnue".

Les associations réclament donc des peines exemplaires. En 2002, les lourdes condamnations attribuées aux agresseurs de la victime de "la tournante de la dalle d'Argenteuil", âgée de 15 ans, avaient été jugées sévères, puis réduites en appel deux ans plus tard, rappelle Le Parisien. Au-delà de la punition, les associations estiment que la justice peut davantage protéger les victimes, "en élargissant les ordonnances de protection à toutes les victimes de viols" et non plus seulement aux victimes de viols au sein du couple, explique Emmanuelle Piet. Elle déplore par ailleurs que de nombreux cas soient requalifiés en "agression sexuelle", ce qui porte à 1 200 le nombre de condamnations pour "viols" chaque année. 

C'est du côté de l'accompagnement que les plus grands progrès ont été réalisés. Ainsi, Régis Lemierre note que "des policiers ont reçu des formations. Nous avons développé des procédures qui permettent de mieux accompagner les victimes". Aussi, la mobilisation des associations et des pouvoirs publics a permis de rendre "un peu moins difficile" la prise de parole des victimes, constate Emmanuelle Piet.

Surtout, la médiatisation des témoignages de "ces femmes qui ont le courage de raconter permet aux autres de prendre à leur tour la parole", poursuit Asma Guenifi. Pour les deux militantes associatives, l'essentiel est le même en 2002 qu'en 2012 :  "Que la honte change de camp". "Ce n'est pas à moi de me cacher, c'est à eux", a dit Nina dans Libération. Une première victoire. 

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