"Je suis innocent" : les accusés renvoyés pour le meurtre d'Aurélie Fouquet nient leur implication
La loi du silence règne toujours dans ce procès-fleuve. Au cours de leurs interrogatoires, Rabia Hideur et Daouda Baba ont affirmé ne pas avoir participé au projet de braquage qui s'est soldé par la mort de la policière.
"J'ai vraiment, vraiment rien à voir dans cette histoire. Je suis innocent." Invité par le président de la cour d'assises à se lever pour son interrogatoire, jeudi 31 mars, Rabia Hideur affirme ne pas avoir participé à la tentative de braquage d'un fourgon blindé le 20 mai 2010 dans le Val-de-Marne. Encore moins à la fusillade déclenchée ce jour-là, à Villiers-sur-Marne, entre les malfaiteurs et les forces de l'ordre. Des échanges de tirs au cours desquels Aurélie Fouquet, policière municipale, a été tuée.
Pourtant, Rabia Hideur comparaît depuis le 1er mars pour le meurtre de la jeune femme de 26 ans. Il n'est pas seul : deux autres accusés (sur neuf) sont renvoyés pour le même motif. Daouda Baba est dans le box à sa gauche. Olivier Tracoulat, le troisième, blessé par un tir, est introuvable et fait office de coupable tout désigné. "Si mon fils est vivant, je veux que justice soit faite", affirme son père dans une lettre adressée au président de la cour d'assises et lue jeudi après-midi. "Si comme je le pense il est mort, j'ai le droit de savoir la vérité."
"J'ai touché cette arme chez mon cousin"
Mais les accusés ne sont pas du tout prêts à parler. Crâne lisse à la peau rose, rasé de près, des yeux comme deux billes noires, Rabia Hideur se lève dans le box des accusés. Il vend des voitures : c'est comme ça qu'il gagne sa vie. Il travaille au noir, n'a pas de chéquier, ni de compte en banque. "Depuis 1987, j'ai toujours vécu dans la clandestinité, ça me dérange pas." Il a des problèmes de mémoire. "Mais je ne suis pas fou", précise-t-il.
S'il se retrouve devant cette cour d'assises, c'est parce que son ADN a été identifié sur une Kalachnikov. Cette arme se trouvait dans le sac de sport saisi par les enquêteurs au moment de l'interpellation de Malek Khider. Ce dernier, également accusé, n'est autre que le cousin de Rabia Hideur.
Les deux hommes se voient "deux à trois fois par semaine, pour le sport". Leur passion, c'est la boxe. "Et de temps en temps on allait manger une glace au McDonald's", commente Rabia Hideur. Son cousin prend néanmoins soin de préciser : "Rabia n'a rien à voir avec moi, c'est pas son monde."
"J'ai touché cette arme chez mon cousin, deux ou trois jours avant" la fusillade de Villiers-sur-Marne, affirme Rabia Hideur. Une arme qu'il aurait trouvée à son domicile, par hasard. "Vous êtes en opposition avec ce que dit votre cousin", lui fait remarquer le président de la cour d'assises. De fait, Malek Khider assure qu'il n'a jamais rapporté d'armes chez lui, sauf le soir du 20 mai 2010.
"Je sais que je dis la vérité"
Jeudi, Malek Khider se lève et maintient sa version. Et Rabia Hideur la sienne : "Monsieur le président, j'ai pas intérêt à mentir, surtout dans une histoire comme ça. Je sais que je dis la vérité." C'est parole contre parole. Les deux accusés refusent d'en dire davantage. Ils sont mutiques. Une fois de plus, la loi du silence pèse sur ce procès. Chacun s'enferme à double tour dans sa version.
Un autre élément pèse contre Rabia Hideur. Le matin du 20 mai 2010, la course-poursuite contre une camionnette blanche s'engage parce que Benoît, un policier, voit deux trous dans la carrosserie. Il pense à des impacts de balles. Cherche à interroger le conducteur et le passager du véhicule utilitaire... qui démarre en trombe.
Or, Benoît a reconnu Rabia Hideur sur tapissage pendant l'enquête. "Il se trompe", rétorque l'accusé. Son ex-femme, invitée à témoigner, assure qu'il est venu travailler ce jour-là dans son salon de coiffure, comme il le faisait régulièrement. "Mais je ne me rappelle pas s'il était là toute la journée", déclare à la barre cette petite femme élégante. On n'en saura pas davantage : l'interrogatoire s'arrête là.
"On a voulu me mettre un costume qui n'est pas à ma taille"
L'interrogatoire de Daouda Baba a lieu vendredi matin. L'accusé, vêtu d'un pull gris clair, se lève. Lui aussi a le crâne rasé. Daouda Baba est gaucher et a, justement, un bandage autour du poignet gauche. Il tient sa main près de son jean. Il est soupçonné d'avoir été brûlé dans la fusillade de Villiers-sur-Marne, notamment en mettant le feu à la camionnette blanche.
Daouda Baba s'approche du micro. "Je veux lire une lettre que j'ai écrite." Le président de la cour d'assises l'invite à poursuivre : "Bon euh… Bien, bien. Allez-y."
Depuis un mois je suis devant une cour d'assises. J'ai du mal à y croire. Cela ressemble à une pièce de théâtre. Il y a des rires, des questions pièges et stratégiques, des pleurs. Mais je suis à bout de nerfs. On me regarde comme si j'étais un assassin. Durant cinq ans et demi je n’ai jamais pu m'expliquer.
L'accusé tient la feuille de papier dans sa main droite. Sa voix est forte et résonne dans la salle.
Je ne suis pas la personne qui a brûlé. Je ne suis jamais devenu fou pour aller tuer des personnes. On a voulu me mettre un costume qui n'est pas à ma taille. Je suis à bout, je ne dors plus.
Et puis il y a cette phrase : "Il y en a qui savent que j'étais pas là." Simple en apparence, elle ne passe pas inaperçue dans ce procès verrouillé par l'omerta. "Je ne suis pas un assassin", conclut Daouda Baba.
"N'utilisez plus ma souffrance, je ne le supporte plus !"
"D'accord, bien, bien", réagit le président après cette lecture. Au-delà des mots, il a besoin de dates. Car Daouda Baba affirme que ses cicatrices, des tâches brunes sur sa peau noire, sont liées à une voiture qu'il a brûlée en mars ou avril 2010. "Je comprends, mais des vérifications ont été faites et il s'est avéré qu'à l'adresse que vous aviez indiquée, il n'y a pas eu de voiture brûlée pendant cette période", rétorque le président.
Les brûlures ne justifient pas à elles seules le renvoi de Daouda Baba pour meurtre. Son profil génétique a aussi été retrouvé sur la queue de détente d'un pistolet mitrailleur, une autre arme retrouvée dans le sac de sport de Malek Khider. Comment l'accusé explique-t-il cela ? Il l'a touché après avoir trouvé des armes dans une camionnette lors d'une promenade en VTT avec William Mosheh, un autre accusé. La veille, celui-ci a raconté la même histoire.
Mais la mise en scène était telle que l'assistance a été secouée de rires. William Mosheh n'a pas hésité à dire : "Une famille souffre et attend la vérité." La phrase de trop pour Elisabeth Fouquet, la mère de la policière tuée. Jeudi matin, elle avait demandé aux accusés de ne plus la citer, de la respecter.
L'après-midi, elle s'est levée pour crier sur William Mosheh : "N'utilisez plus ma souffrance, je ne le supporte plus !" Vendredi matin, elle a décidé de quitter la salle en pleine audience. "Elle en a assez d'être aussi maltraitée. Je ne sais pas si elle va revenir", commente son avocat, Laurent-Franck Liénard.
"J'ai tué personne, j'ai tiré sur personne !"
Une goutte a fait déborder le vase : le coup de colère de Daouda Baba. Alors que l'avocat de Thierry Moreau, policier coéquipier d'Aurélie Fouquet, lui pose une question sur la voiture brûlée, l'accusé s'écrie : "Je ne peux pas parler avec vous." Il se met à pleurer. "J'suis pas une pourriture." Il s'emporte et parle très vite. "J'ai tué personne, j'ai tiré sur personne !" Une suspension d'audience ne parvient pas vraiment à le calmer.
- "Monsieur Moreau, je ne vous dois rien, regardez-moi dans les yeux.
- Moi non plus je ne vous dois rien.
- Y a pas de mytho ici, jouez pas avec ma vie. Vous voulez me tuer, vous voulez gâcher ma vie."
Laurent-Franck Liénard tente sa chance. En vain.
- "J'attends la vérité, je ne fais que ça, attendre la vérité.
- Je sais très bien qu’il y a des gens dans cette salle qui savent que je n’y étais pas.
- Vous savez, mais vous n'avez rien à me dire…"
Avec sa voix douce, l'avocate générale parvient tant bien que mal à calmer l'accusé. Elle insiste pour poursuivre et finir l'interrogatoire. "Daouda Baba sait qui était sur l'événement. Il l'a laissé passé dans sa lettre. Mais c'est toujours la loi du silence, par peur ou stratégie. Les alibis fantaisistes des accusés montrent qu'ils se pensent supérieurs à ceux qui les écoutent." Et qui devront encore les écouter pendant une dizaine de jours. Le verdict est attendu le 13 avril.
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