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"Magot du gang des postiches" et assassinat crapuleux : pourquoi Michel Fourniret est à nouveau jugé aux assises

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Michel Fourniret, le 27 mai 2008, quitte le palais de justice de Charleville-Mézières, après son procès devant la cour d'assises des Ardennes. (AFP)

Le tueur en série est jugé du mardi 13 au vendredi 16 novembre pour avoir assassiné Farida Hammiche, afin de s'emparer de lingots et de pièces d'or. Franceinfo vous explique le lien supposé avec le magot d'une célèbre bande de braqueurs des années 1980.

C'est le seul crime crapuleux reconnu par Michel Fourniret. Le tueur en série, déjà condamné à la perpétuité en 2008 pour sept meurtres de jeunes filles, est jugé, à partir de mardi 13 novembre, devant la cour d'assises des Yvelines, pour l'assassinat, en avril 1988, de Farida Hammiche, et "recel de bien provenant d'un crime ou d'un délit". Cet assassinat lui aurait permis de faire main basse sur le magot du "gang des postiches". Grâce à cela, il aurait acheté, entre autres, un château dans les Ardennes et un fourgon avec lequel il a enlevé des jeunes femmes et des adolescentes pour les tuer. 

Tout commence en mars 1984, lorsque Michel Fourniret est incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis. Agé de 42 ans, alors dessinateur industriel, il vient d'être interpellé à Mennecy (Essonne). En quête d'adolescentes vierges depuis plusieurs années, il reconnaît quinze agressions sexuelles commises depuis 1977 en région parisienne. Il est placé dans une "cellule triplée". Parmi ses codétenus se trouve Jean-Pierre Hellegouarch, qui a presque le même âge que lui. Ce braqueur breton est issu de la mouvance d'extrême gauche Action directe.

Une rencontre inattendue en prison

Rien ne prédestinait ces deux hommes à se rencontrer. Pourtant, une relation d'amitié se noue entre eux. "Au cours d'une promenade, Michel Fourniret a un problème avec des braqueurs qui connaissaient son pedigree. Auprès de Jean-Pierre Hellegouarch, Michel Fourniret minimise : il lui fait croire qu'il n'a commis qu'une seule agression. Alors Hellegouarch prend la défense du 'pointeur' [le nom donné aux violeurs en prison] contre les braqueurs, raconte à franceinfo Patricia Tourancheau, journaliste aux Jours, qui a enquêté sur cette affaire, et auteure de l'ouvrage Les Postiches, un gang des années 80 (Fayard, 2004). A partir de ce moment-là, Michel Fourniret lui voue une reconnaissance éternelle."

"Je pense que Michel Fourniret avait quelque estime pour Jean-Pierre Hellegouarch", abonde auprès de franceinfo Grégory Vavasseur, l'avocat commis d'office pour défendre le tueur en série dans ce dossier. "Il me semble qu'il avait plus d'affect pour monsieur Hellegouarch et son épouse Farida que pour l'ensemble de ses victimes." Michel Fourniret et Jean-Pierre Hellegouarch évoquent leurs femmes. Le premier est encore marié à Nicole, sa deuxième épouse. Le second est uni à Farida Hammiche, de quinze ans sa cadette. Hellegouarch montre à son codétenu des photos d'elle. Les deux hommes s'engagent à une aide réciproque : le premier libéré donnera un coup de main à la famille de l'autre.

Les Fourniret, "des gens atypiques et inoffensifs"

Michel Fourniret sort le premier. Condamné à cinq ans de prison pour agressions sexuelles, il est libéré après trois ans et demi de détention, pour bonne conduite, le 22 octobre 1987. A sa sortie, il est attendu par Monique Olivier. Cette auxiliaire de vie de 39 ans échange depuis quelques mois des lettres avec Michel Fourniret. Elle scelle même avec lui un pacte criminel, d'après Patricia Tourancheau, qui dévoile des extraits des dizaines de courriers échangés entre juillet et octobre 1987 sur Les Jours.

Aujourd'hui, Monique Olivier se retrouve elle aussi sur le banc des accusés aux assises des Yvelines, jugée pour complicité d'assassinat et recel de bien provenant d'un crime ou d'un délit, aux côtés de Michel Fourniret, dont elle a divorcé en 2010. "Une détestation s'est installée dans cet ancien couple, aussi il n'est pas impossible que, par jeu pour l'un et par vengeance pour l'autre, ils s'accablent de façon exagérée à l'audience", anticipe Grégory Vavasseur.

Mais c'est ensemble, en 1987, que Michel Fourniret et Monique Olivier ont rencontré Farida Hammiche, alors qu'elle attendait avant de rendre visite à son mari au parloir à Fleury-Mérogis. Cette brune, tout juste trentenaire, ne se méfie pas de Michel Fourniret. Son mari, Pierre Hellegouarch, non plus. "Entre eux, ils les appellent 'les Popeye', révèle Patricia Tourancheau. Comme le personnage de BD, Michel Fourniret est musculeux et fort, bien que petit. Jean-Pierre Hellegouarch le voit comme un imbécile heureux. Et Monique Olivier, c'est 'Olive' [la fiancée de Popeye]. Pour eux, ce sont des gens atypiques et inoffensifs. "

Un magot caché dans un cimetière

A la même époque, Jean-Pierre Hellegouarch a un nouveau compagnon de cellule, un Italien. "Il m'a dit qu'il était recherché dans son pays pour une évasion en hélicoptère de la prison de Rebbia (sic), à Rome, et qu'il faisait partie des mouvements d'extrême droite ayant commis un attentat dans une gare", déclare, le 6 juillet 2004, le braqueur, aux policiers qui enquêtent sur le meurtre de sa femme. Il ne se souvient plus de son nom. Mais les enquêteurs parviennent à l'identifier : il s'agit de Gian Luigi Esposito.

Jean-Pierre Hellegouarch ne le sait pas, mais Gian Luigi Esposito ne s'est pas évadé seul. Il s'est échappé en compagnie d'André Bellaïche, l'un des cerveaux du "gang des postiches". Cette bande de braqueurs, que Patricia Tourancheau décrit comme "cosmopolite, rigolarde et hyperpro", doit son surnom à ses déguisements utilisés pour dévaliser les banques des beaux quartiers parisiens dans les années 1980. Après l'évasion, l'Italien suit les "postiches" qui se réfugient en France. Trois semaines plus tard, le 12 décembre 1986, Gian Luigi Esposito est arrêté avec eux, dans leur planque, à Yerres (Essonne).

Mais avant son extradition pour l'Italie, Gian Luigi Esposito s'est confié à Jean-Pierre Hellegouarch : il dispose d'un stock d'or. Celui-ci est enterré dans un cimetière à Fontenay-en-Parisis, dans le Val-d'Oise, à l'arrière d'une tombe. L'Italien demande au Breton s'il connaît quelqu'un pour le récupérer et le mettre à l'abri. Au parloir, Jean-Pierre Hellegouarch parle à sa femme du trésor, qu'ils appellent la "grand-mère", dans leur langage codé. Le couple pense à Michel Fourniret.

Poignardée puis étranglée "à mains nues"

A la mi-mars 1988, "par une nuit sans lune", Farida Hammiche, Michel Fourniret et Monique Olivier partent "en expédition à bord d'une Peugeot 304". Direction le cimetière de Fontenay-en-Parisis. Ils garent la voiture dans un chemin de terre encaissé. Farida Hammiche et Michel Fourniret marchent jusqu'à la tombe. "Popeye" creuse "sur une profondeur d'environ 30 cm", à un endroit précis, situé entre une stèle et le mur d'enceinte. Il rencontre "une résistance" et découvre une caisse à outils en métal rouge. A l'intérieur, des lingots d'or. Et des boîtes en plastique, elles aussi remplies de louis d'or, napoléons et pesos mexicains. Michel Fourniret transfère les boîtes dans un sac à dos. Restée près de la voiture, Monique Olivier attend le signal convenu pour rapprocher la Peugeot 304. Au lever du jour, le trio charge les sacs et quitte les lieux. C'est en tout cas ce que Michel Fourniret a raconté lors d'une audition en avril 2005.

Après avoir extrait l'or de la terre, Michel Fourniret, qui affectionne le travail manuel, aménage une cache "au-dessus de la porte des WC" dans l'appartement de Farida Hammiche. Le trésor y est déposé. Jean-Pierre Hellegouarch a convenu avec sa femme de verser à "Popeye" l'équivalent de 500 000 francs en pièces d'or, en échange du service rendu. Michel Fourniret et Monique Olivier, assurent, eux, ne rien avoir reçu, ou pas assez, selon leurs diverses versions. "L'ogre des Ardennes" décide donc "de se servir lui-même", reconnaît-il face aux enquêteurs. "A l'époque, Monique Olivier vient d'apprendre qu'elle est enceinte. Ils ont besoin d'argent. Ils montent un stratagème pour rafler tout l'or", détaille Patricia Tourancheau.

Le 12 avril 1988, les "Popeye" débarquent à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), chez Farida Hammiche. Michel Fourniret prétend qu'il a besoin d'aide pour déterrer des armes cachées dans la forêt de Rambouillet. Elle accepte. Voilà à nouveau le trio qui roule de nuit. Cette fois dans la Fiat Uno rouge de Farida Hammiche. Aux alentours de Clairefontaine-en-Yvelines, Michel Fourniret lui intime l'ordre de couper le moteur. Ils descendent de voiture. C'est là que le tueur en série la poignarde avec une "ancienne baïonnette", avant de l'étrangler "à mains nues". Puis il place le corps dans le coffre. Farida Hammiche continue de gémir, ce qui est "difficilement soutenable", racontera plus tard Michel Fourniret aux enquêteurs. "Quand on entend ça même un court instant, ça paraît des heures", déclare Monique Olivier de son côté. Son mari finit par l'enterrer, "le long d'une petite route goudronnée", pas trop "profondément puisque son genou dépassait encore". Pourtant le corps de la jeune femme n'a jamais été retrouvé.

"Quinze ans de carrière criminelle sur ce magot"

De retour dans l'appartement de Farida Hammiche, les Fourniret volent la quasi-totalité du magot. "Ils laissent l'équivalent de 200 000 francs en pièces d'or pour faire croire qu'elle a pu faire une mauvaise rencontre, ou partir avec une grande partie de l'argent et un amant", souligne Patricia Tourancheau. Ils garent la Fiat Uno rouge sur le parking de l'aéroport d'Orly. Les pistes ainsi brouillées, ils jouissent du trésor dérobé, jusqu'à leur arrestation en 2003. Durant quinze ans, ils achètent dans les Ardennes une voiture, un fourgon, un studio à Sedan, puis le fameux château du Sautou, où Michel Fourniret emmène plusieurs victimes. Ils acquièrent également une maison à Sart-Custinne (Belgique). Ils enterrent le reste du butin dans le jardin, retrouvé par les enquêteurs au moment de leur arrestation. "Michel Fourniret a fait ses quinze ans de carrière criminelle sur ce magot", résume Patricia Tourancheau

Pourtant, le tueur assure ne pas connaître l'origine du butin. "Les Fourniret pensent que c'est le trésor de guerre d'Action directe, car Jean-Pierre Hellegouarch évolue dans ce milieu. De son côté, le braqueur d'extrême gauche ne reliera jamais Gian Luigi Esposito au 'gang des postiches'. Du moins dans ses déclarations officielles", poursuit la journaliste. D'ailleurs, Michel Fourniret "ne reconnaît pas le recel de vol provenant prétendument du 'gang des postiches', indique son avocat. Non seulement il n'avait aucune idée de l'origine, mais il ne me semble pas que l'enquête ait démontré cette origine." De fait, pour les enquêteurs, "cet or est susceptible de provenir de la vingtaine de vols à main armée avec prise d'otages" commise par le "gang des postiches". Patricia Tourancheau, qui a remonté le fil dès 2004, se dit, elle, "sûre de [son] information".

"Il est temps que justice passe"

Car 2004, c'est l'année où Monique Olivier craque. Elle révèle une liste d'assassinats commis par Michel Fourniret. "Farida Hammiche y figure, avec la mention 'règlement de comptes pour piquer un trésor'". Pourtant, son cas est dissocié du procès des Fourniret en 2008. "La police se justifie en disant qu'elle essaie de retrouver le corps. Mais elle tarde à enquêter parce que Farida Hammiche est une femme de voyou et son mari est encore en prison", estime Patricia Tourancheau.

Michel Fourniret et Monique Olivier sont finalement mis en examen en 2009 dans cette affaire. Ils sont jugés près de dix ans plus tard, et trente ans après les faits. Les deux accusés ont d'ailleurs tenté de faire valoir la prescription, mais elle a été écartée. Leur renvoi devant les assises a été confirmé le 2 octobre 2017, la date du procès connue le 3 mai dernier. "Il est temps que ça se termine", "que justice passe", déclare ce jour-là Yolaine Bancarel, qui représente les proches de Farida Hammiche. "C'est un soulagement pour la famille", ajoute l'avocate, qui travaille sur le dossier depuis treize ans. A l'approche du procès, elle ne veut plus faire de déclarations. "Mes clients souhaitent avant tout que le procès se déroule sereinement", se contente-t-elle de dire à franceinfo. Les accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Verdict attendu le 16 novembre.

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