Le système de racket de dealers au cœur du procès des policiers de la BAC du 18e arrondissement de Paris
Six policiers comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris. Ils sont accusés d'avoir mis en place un système de protection policière en lien avec des dealers de drogue, contre de l'argent.
Au cinquième jour de leur procès, six policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) de Paris poursuivis pour corruption, trafic de drogue ou encore blanchiment, se sont expliqués mercredi 10 février sur le concept "d'assurance". Une notion au cœur de ce procès, puisqu'il s'agit d'un système qui consiste à assurer la protection de dealers par des policiers, en échange d'argent. Karim M., le principal prévenu (surnommé "Bylka", "kabyle", en verlan), est soupçonné d'avoir mis en place ce procédé de racket des trafiquants, dans le quartier de la Goutte d'Or, dans le 18e arrondissement de Paris.
"Le terme d'assurance, tous les délinquants l'emploient", explique à la barre l'ancien policier de la BAC. "C'est un fantasme des dealers", assure-t-il devant le tribunal correctionnel de Paris.
"Quand ils se font arrêter et que d'autres ne se font pas prendre, ils pensent que leurs rivaux ont acheté une protection policière."
Karim M. alias "Bylka", un ancien policier de la BAC du 18edevant le tribunal correctionnel de Paris
Bylka s'explique avec aplomb, les mains jointes devant son ventre, face à la présidente du tribunal. Isabelle Prévost-Desprez diffuse alors l'enregistrement d'une sonorisation d'une voiture de la BAC du 18e arrondissement, effectuée en avril 2019. On y entend le policier s'adresser à un jeune homme par la fenêtre du véhicule : "Ça va, ça travaille ? T'auras ton rôle de guetteur, pas de problème… mais on ne travaille jamais sans assurance." Face au tribunal qui s'interroge, Bylka ne perd pourtant pas confiance. "C'est du bluff !", répète-t-il, "je me sers de ce fantasme pour les déstabiliser". Pour le policier, ce système "d'assurance" n'existe pas, c'est juste une notion utilisée pour récolter des infos auprès des trafiquants de drogue.
À la barre, ses cinq collègues, également poursuivis, racontent tous avoir entendu à plusieurs reprises Karim M. parler de "l'assurance", mais aucun ne semble vraiment savoir de quoi il s'agit. "Ça faisait partie de son jargon", rapporte l'un d'eux. "Les anciens ne disaient rien, donc je n'ai pas posé de question", déclare un autre. Ou encore : "Je n'y ai jamais assisté, mais j'imagine que ça sous-entend une protection policière contre des informations."
"Bylka" est pourtant soupçonné d'avoir reçu de larges enveloppes de billets en échange de la protection des dealers. Son "but", affirme-t-il, était de récolter "des infos, pas de l'argent". Dans un autre enregistrement, lui aussi daté d'avril 2019, on l'entend avec des collègues prendre à bord d'une voiture de police un dealer surnommé "La Boule" : "Pourquoi tu ne prends pas un terrain tout seul ? Ma parole, on sera là pour toi, tu vas faire de l'oseille. Change de camp !" Devant le tribunal, "Bylka" s'explique : "C'est une pièce de théâtre. J'essayais d'en tirer un maximum d'informations pour faire cesser le trafic." Sceptique, la présidente du tribunal lui demande : "Faire cesser le trafic, quand on est policier, ce n'est pas procéder à des interpellations ?" L'ancien policier hausse les épaules.
De la drogue saisie, conservée, puis réutilisée
Le tribunal correctionnel de Paris s'est par ailleurs intéressé à une autre pratique de ce groupe de policiers : "l'habillage" de procédure. Il s'agit d'attribuer à un dealer un paquet de drogue, récupéré sur quelqu'un d'autre, pour "charger" sa culpabilité.
Ainsi, le tribunal écoute un autre enregistrement diffusé dans la salle d'audience. On entend Alexandre C. se réjouir auprès de ses collègues d'avoir confisqué deux "galettes" de crack à un consommateur, que l'équipage laisse libre. Nous sommes toujours en avril 2019 : "On va les garder, elles sont propres", se félicite-t-il. Deux jours plus tard, Alexandre "habille" avec ces galettes un homme qu'il vient d'interpeller pour soupçon de trafic sur la colline du crack, située porte de La Chapelle à Paris. "J'étais frustré de ne pas avoir réussi à l'interpeller avec la drogue", explique-t-il. Il va donc glisser la drogue récupérée quelques jours plus tôt dans les affaires de cet homme.
Dans ce procès, Alexandre C. est notamment mis en examen pour faux en écriture publique et pour violences par personne dépositaire de l'autorité publique. Des violences à l'encontre du dealer qu'il a "habillé". "C'est salissant pour la police", lui reproche la présidente. "C'est salissant pour les citoyens, pour nous tous, pour le pays", poursuit-elle. Le procès de ces six policiers de la brigade anti-criminalité du 18e arrondissement de Paris et de deux de leurs informateurs se poursuit jusqu'à vendredi 12 février.
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