"Fais-moi une pipe" : le calvaire d'une nouvelle recrue de la gendarmerie de Joigny harcelée par ses supérieurs
Deux sous-officiers d'une brigade de l'Yonne ont comparu, mardi au tribunal correctionnel de Paris, pour harcèlement sexuel sur une jeune gendarme.
"Fais-moi une pipe", "les Réunionnaises sont chaudes du cul"... Bienvenue dans l'intimité des OPJ (officier de police judiciaire) de la brigade de Joigny (Yonne). Cette litanie de vulgarités, de propositions salaces et de gestes obscènes a rythmé le procès d'un adjudant et d'un maréchal des logis chef de cette brigade, jugés mardi 2 février au tribunal correctionnel de Paris, pour harcèlement sexuel aggravé.
Pantalon bleu et veste polaire, Marie*, jeune femme de 26 ans, est venue en uniforme. Comme pour être prise encore un peu plus au sérieux. Elle a même décidé de porter une cravate quelques minutes avant l'audience. De l'autre côté de l'allée, ses bourreaux. Pas d'uniforme pour eux, ils sont suspendus depuis la fin 2013. Manteau en cuir pour le maréchal des logis, simple pull pour l'adjudant. Seuls leurs cheveux rasés de frais sur les côtés rappellent leur statut de militaire.
Tout a commencé "dès que j'ai téléphoné pour me présenter", en octobre 2012 (elle restera dans cette brigade jusqu'en novembre 2013), avec une allusion sexuelle sur ses origines réunionnaises, se rappelle la jeune femme à la barre. Puis, une fois arrivée sur place, les propos humiliants et gestes crus n'ont fait que se multiplier. Sans oublier des "gémissements", soufflés derrière elle dans les couloirs de la brigade, ou encore un geste obscène, mimé avec une matraque.
"Un comportement similaire à celui d'une femme battue"
Principale cible des obsessions du maréchal des logis chef : ses seins, "ses rustines", comme il les appelle. La gendarme finit par porter des brassières, pour dissimuler ses formes. "Un comportement similaire à celui d'une femme battue", précise, dans un procès-verbal, le lieutenant-commandant qui a recueilli ses confidences.
C'est le maréchal des logis chef qui est appelé à la barre en premier. Sous le feu des questions de la présidente, l'homme de 37 ans peine à répondre. Il est décrit dans les PV comme "paresseux", "sûr de lui", avec une "obsession pour le sexe". Il reconnaît ses propos sur la taille des seins, mais les qualifie d'"échanges". "Une femme jeune, jolie de surcroît, arrive dans une brigade et tombe sur un supérieur hiérarchique qui, constamment, lui parle de ses 'rustines', de ses seins, et vous nous dites que c'est un échange ?", s'exclame, désabusée, la présidente avant de citer d'autres sorties salaces : "Il paraît que les Noires, c'est rose à l'intérieur. Je te niquerais bien pour le savoir."
Pour le sous-officier, il s'agit de "plaisanteries, ça arrive souvent entre collègues". La présidente s'emporte de nouveau : "Mais enfin, monsieur, c'est la gendarmerie, c'est pas 'Secret Story'. Votre colonel aussi, vous lui parlez de son cul ?" Il finira par reconnaître avoir harcelé sexuellement Marie, mais "sans intention de lui nuire". C'est ensuite au tour de l'adjudant de s'expliquer. A l'époque des faits, il est non seulement le supérieur de la jeune gendarme, mais aussi son tuteur. A la différence de son collègue, ses appréciations sont exemplaires. Il est même qualifié de "dieu de l'OPJ". Il connaît les dépositions de la jeune femme et les siennes sur le bout des doigts.
"Un dérapage"
"Comment en arrive-t-on à proposer une pipe à une gendarme sous ses ordres ?", lui demande la présidente. "Un dérapage", souffle-t-il. Une patrouille de 2013 retient particulièrement l'attention de la présidente. Une scène qu'elle qualifie de "surréaliste". A bord, la jeune gendarme, l'adjudant et une autre collègue. Dans l'espace confiné, la conversation dérape. Son supérieur propose à la jeune femme un "plan à trois". Stupéfaction de Marie, qui refuse, choquée.
Les débats ont également plongé les auditeurs dans le huis clos d'une brigade de province, avec ses codes et ses "clans", comme les qualifie la présidente. Avec un groupe de leaders qui regarde d'un mauvais œil ceux qui préfèrent s'isoler pour prendre le café. Avec aussi une promiscuité qui empêche toute intimité, comme lorsqu'un des prévenus raconte avoir entendu Marie faire l'amour avec son petit ami bruyamment. "Je t’ai entendue baiser avec ton copain ; il faut que tu me montres", lance-t-il.
Prise de poids, eczéma, ulcère
Des persécutions qui pèsent sur la santé de la jeune femme, aujourd'hui affectée dans une brigade de la région parisienne : prise de poids, eczéma, ulcère, perte de cheveux... Elle enchaîne les soucis de santé. Dernier en date : un problème de thyroïde, "certainement dû à cette épreuve", estime son avocate, qui rappelle également lors sa plaidoirie "le parcours du combattant" de la jeune gendarme pour porter plainte face à une hiérarchie qui a fermé les yeux sur sa situation. "Comment, lorsque l'on est 'monogalon' [expression pour qualifier les recrues], peut-on s'opposer seule à ses supérieurs ?", a-t-elle martelé. Elle a demandé 55 000 euros de dommages et intérêts.
L'avocat de l'adjudant a demandé la relaxe pour son client, assurant craindre un "procès pour l'exemple". Il a aussi remis en cause le témoignage de la plaignante, souffrant de "failles narcissiques" et "prête à tout", dès son arrivée à Joigny, pour être mutée auprès de son compagnon, en région parisienne. L'avocate du maréchal des logis a assuré, elle, que les propos de son client n'étaient "pas ciblés" contre la plaignante et parlé d'erreurs "grossières" et "sans malice".
Le parquet a requis un an de prison avec sursis à l'encontre des deux gendarmes, assorti d'une interdiction d'exercice de cinq ans pour l'adjudant et définitive pour le maréchal des logis. Le délibéré est attendu pour le 5 avril.
*Le prénom a été modifié.
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