Crash du Rio-Paris : on vous résume le procès avant le jugement d'Airbus et d'Air France
Une décision très attendue, quatorze ans après la catastrophe aérienne. La justice rend son jugement, lundi 17 avril, dans le procès du crash du vol Rio-Paris, qui s'est achevé en fin d'année dernière. Après neuf semaines de procès, la 31e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a eu quatre mois pour trancher sur l'éventuelle responsabilité d'Airbus et d'Air France, jugés pour "homicides involontaires" dans ce drame qui a coûté la vie à 228 personnes, de 33 nationalités différentes, le 1er juin 2009.
Lors de son réquisitoire, le parquet n'a demandé aucune peine pour les deux groupes, au grand regret des parties civiles, après cette procédure judiciaire de plus d'une décennie, marquée par un non-lieu en 2019 et un procès finalement ordonné par la cour d'appel de Paris en 2021. Franceinfo reprend les principaux chapitres de cet imposant dossier judiciaire.
Le directeur de l'enquête raconte le repêchage des corps "dans des conditions très difficiles"
Dès le deuxième jour de l'audience, le 11 octobre 2022, l'émotion gagne la salle avec l'audition du directeur de l'enquête. Au moment d'évoquer ces 228 corps au fond de l'Atlantique, la voix de Xavier Mulot, colonel de gendarmerie à la retraite, se brise. "Il a fallu faire des choix. Certaines familles voulaient que leurs proches reposent en paix dans l'océan. D'autres voulaient leur offrir une sépulture, ça n'a pas toujours été possible, explique-t-il, en pleurs. Nous n'avons pu remonter que les personnes encore attachées à leur siège. Les autres, nous avons dû les laisser." Les larmes coulent aussi sur les bancs des parties civiles. Chacun se souvient du choix qu'il a dû faire il y a treize ans, lorsque les premiers corps ont été repérés.
Les experts pointent la responsabilité des pilotes et des sondes Pitot
Au troisième jour, des experts aéronautiques viennent apporter à la barre leurs hypothèses sur les causes de l'accident. Pour l'ingénieur Hubert Arnould, les sondes Pitot sont bien l'élément déclencheur, mais la faute de l'accident revient aux pilotes. "Il a suffi d'une seule petite minute pendant laquelle les sondes ont givré pour que tout bascule. L'équipage a paniqué", avance Hubert Arnould. "De mon avis d'ingénieur, l'accident aurait pu être évité si l'équipage avait contourné l'orage, comme l'ont fait tous les autres avions cette nuit-là", "si le pilote le plus expérimenté n'était pas allé dormir" et si l'un des deux copilotes "n'avait pas touché aux commandes de l’avion". Et d'ajouter : "Une sonde qui givre, c'est un événement qui arrive au moins une fois dans une carrière de pilote, ce n'est pas un événement catastrophique."
D'autres experts entendus ce jour-là n'ont pas la même lecture de l'accident et de ses causes. Leurs conclusions interrogent le rôle d'Air France et d'Airbus vis-à-vis du givrage des sondes Pitot.
L'audition des boîtes noires de l'appareil a lieu à huis clos
La question de la diffusion des enregistrements contenus dans les boîtes noires est débattue au troisième jour du procès. Ils font vivre les derniers instants dans le cockpit. Ces deux enregistreurs de vol de l'Airbus A330 avaient été récupérés au milieu de l'Atlantique par 3 900 mètres de fond en mai 2011, 23 mois après la catastrophe. L'analyse du CVR (cockpit voice recorder) a permis de mettre en évidence l'incompréhension de l'équipage face à une situation de décrochage, juste avant l'accident.
"Les mots sont une chose, entendre la voix en est une autre", rappelle Alain Jakubowicz, un des avocats des parties civiles, qui estime néanmoins qu'il "est absolument indispensable" de les diffuser à l'audience. Finalement, le tribunal tranche en faveur d'une diffusion à huis clos.
Airbus et Air France rejettent toute responsabilité
Après un mois d'audience, c'est l'heure des interrogatoires, début novembre. A la barre pendant plusieurs heures, le représentant d'Air France se montre à l'aise face aux questions de la présidente et de ses assesseurs. Pourquoi ne pas avoir formé les pilotes sur le givrage des sondes Pitot ? La formation initiale n'est "pas du ressort de la compagnie", assure Pascal Weil, ancien pilote, instructeur d'Air France. "Et de toute façon, on ne forme pas à toutes les pannes, c'est impossible", ajoute cet homme de 63 ans, à la retraite depuis deux ans. Pourquoi, avant le crash, ne pas avoir changé de modèle de sonde de vitesse, pour d'autres qui ne givrent pas en haute altitude ? Pascal Weil botte en touche, répondant que si cela n'a pas été fait, ce n'était pas "une question de moyens".
Mi-novembre, c'est au tour du représentant d'Airbus de répondre aux questions du tribunal. Droit comme un i dans son costume impeccable, Christophe Cail, 61 ans, assure avoir mis la sécurité au premier plan de sa carrière. Cet ancien pilote de chasse ultra-expérimenté veut montrer comment l'équipage du vol Rio-Paris a enchaîné les erreurs avant le crash. Mais face aux proches de victimes et au feu roulant des questions de la présidente, le représentant d'Airbus perd pied : "Je ne suis pas un spécialiste", "je ne sais pas vous dire". Le lendemain, Christophe Cail renvoie clairement la responsabilité sur les pilotes : "Je pense que j'aurais fait mieux."
Les proches des victimes déposent leur douleur à la barre
Les auditions des proches de victimes démarrent le 23 novembre, pour une semaine. Un moment très attendu, tant le procès a été jusque-là technique, parsemé de jargon aéronautique. Entre quarante et cinquante témoignages sont prévus, sur les 500 personnes constituées parties civiles.
Ce sont des destins brisés que viennent raconter à la barre les proches des femmes, des hommes, des enfants morts dans la carlingue du vol AF447. Philippe Linguet confie tout le vide laissé par son frère aîné, Pascal. "Pour trois sondes Pitot non changées, 228 vies ont été sacrifiées. Pour trois sondes Pitot non changées, mes parents ont connu le pire, perdre un enfant. Pour trois sondes Pitot non changées, mes neveux, Florian et Thibault, ont dû grandir sans leur guide, leur pilier, leur père", lance-t-il devant le tribunal, la voix étreinte par l'émotion.
Les familles de l'équipage, et notamment des pilotes, viennent aussi déposer leur chagrin à la barre et prendre la défense de leurs disparus. "Il n'y avait pas trois pilotes et 225 passagers, il y avait 228 victimes et trois sondes Pitot qui ont givré", lance Teddy, le frère de David Robert, l'un des deux copilotes aux commandes de l'avion. "Pour sauver votre image, vous avez volé l'image que je me faisais de mon frère, mais vous n'avez pas réussi", ajoute-t-il à l'adresse d'Airbus. Pour sa sœur Sarah, "on nous a expliqué que l'équipage était composé de trois idiots, mais mon frère n'était pas un idiot".
Le parquet ne demande aucune condamnation pour Airbus et Air France, sous les huées des parties civiles
Le 7 décembre, lors de son réquisitoire, le parquet estime n'être "pas en mesure de requérir la condamnation" d'Airbus et Air France et requiert en creux leur relaxe. La culpabilité des entreprises lui "paraît impossible à démontrer". "Nous savons que cette position sera très probablement inaudible pour les parties civiles", conclut le procureur, sous les huées des familles des victimes. Dans la salle d'audience, certains se lèvent en criant "mensonge !" ou "honte !".
"Ce procureur était le porte-voix d'Airbus et Air France à l'audience", réagit à la sortie l'avocat de parties civiles Alain Jakubowicz. "Le parquet s'est déshonoré aujourd'hui." "C'est totalement incompréhensible. On ne peut pas l'accepter", commente le lendemain, sur franceinfo, Sébastien Busy, un des avocats de l’association Entraide et Solidarité AF447.
Lors de leurs plaidoiries, les avocats de la défense d'Airbus et d'Air France s'excusent que des mots, une attitude, aient "pu blesser". Mais ils plaident la relaxe pour les deux entreprises. "La vérité peut parfois ne pas apaiser. Il vous appartiendra d'appliquer le droit et seulement le droit", déclare Simon Ndiaye, le conseil d'Airbus. L'avocat termine sa plaidoirie en s'adressant aux juges : "Si, demain, vous relaxez Airbus, je ne dirai pas que vous avez rendu un jugement excellent. Si la relaxe est prononcée, ce ne sera pas une victoire d'Airbus contre les parties civiles. Il ne peut y avoir de victoire quand il y a 228 morts."
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