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"Cela va prendre une quarantaine d’années" : après les incendies en Gironde, la longue et coûteuse étape du reboisement

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Des pompiers interviennent pour éteindre les braises encore fumantes sur une parcelle située à Saint-Symphorien, dans le sud du département de la Gironde, le 19 juillet 2022. (THOMAS GIRAUDEAU / RADIO FRANCE)

Après la lutte contre les incendies, le monde forestier va s'activer pour replanter le plus efficacement la forêt. Une opération qui représente un coût important.

La reconstruction va prendre du temps et de l'argent. Emmanuel Macron, en déplacement mercredi 20 juillet à La Teste-de-Buch, a promis un "grand chantier national pour pouvoir replanter" et "rebâtir" les forêts après les incendies qui ont frappé la Gironde, détruisant plus de 20 000 hectares de végétation. 

Après un feu de forêt, "il va falloir au minimum une trentaine à une quarantaine d’années pour reconstituer le paysage que l’on connaissait", explique Stéphane Viéban, directeur général d’Alliance Forêts Bois, une coopérative forestière. Les coûts, eux, peuvent varier selon les dégâts causés par l'incendie.

Des forêts peu assurées

Derrière ces incendies se joue d'abord "un drame humain pour notamment les propriétaires forestiers qui, en quelques heures, ont perdu le travail d'une vie", insiste Stéphane Viéban. Une vie à constituer et transmettre "un lieu dans lequel ces propriétaires aimaient être et vivre""Une vraie passion" et un patrimoine qui n’est pas toujours assuré, souligne le directeur général d’Alliance Forêts Bois : "Par exemple, il n’y a que 20 à 30% de la forêt des Landes qui est assuré." Ces assurances "sont souvent à des prix exorbitants", explique Antoine d’Amécourt, président de Fransylva, la Fédération des syndicats de forestiers privés de France. Quand elles sont souscrites, elles ne prennent souvent qu’une partie des frais liés aux incendies.
 
Après un feu de forêt vient une phase d’évaluation des dégâts. Pour financer la reconstitution, les exploitants peuvent espérer tirer un revenu de certaines parcelles brulées. "Si ce sont des arbres adultes, en les récoltant rapidement, le bois peut être utilisé et revendu", explique Antoine d’Amécourt. Le marché de la filière aujourd'hui est "assez porteur" pour pouvoir écouler une partie du bois, souligne ce professionnel mais il prévient ce sera du "du cas par cas".
 
Cette vente du bois peut parfois représenter une large partie de la somme nécessaire pour financer l'après-incendie. La commune d'Anglet, dans le sud-ouest de la France, a vu sa forêt de Pignada partir en fumée fin juillet 2020. Antoine de Boutray, directeur de l'Office national des forêts (ONF) des Pyrénées-Atlantiques, gère la reconstruction de cette "forêt urbaine". Il a fallu nettoyer complètement la zone pour éviter de voir un insecte, le scolyte, attaquer les arbres calcinés. Une opération "pour éviter que l'ensemble du massif ne soit attaqué". Il y a une opération de veille sanitaire à ne pas négliger après un incendie, prévient Antoine de Boutray. La vente du bois "doit représenter à peu près la moitié des coûts", explique le directeur de l'ONF Pyrénées-Atlantique. Une somme d'environ 250 000 euros sur les 500 000 que coûtera, environ, la reconstitution des 80 hectares de massif forestier à la charge de la collectivité d'Anglet.

Entre 3 000 et 8 000 euros l’hectare

Mais ces arbres, s’ils sont trop jeunes, et donc trop petits, seront souvent inexploitables. "Quand les arbres ont moins de quinze ans, on ne peut pas du tout les valoriser", explique Antoine d’Amécourt de Fransylva. Ces arbres seront broyés pendant la phase de nettoyage qui survient quelques semaines après. "Il va y avoir entre 800 et 1 500 euros de nettoyage, donc de broyage des bois calcinés", explique le directeur général d’Alliance Forêts Bois Stéphane Viéban. La phase de replantage arrive ensuite. "Il va falloir travailler le sol pour replanter", explique le directeur de la coopérative forestière.

En tout le nettoyage et le replantage sont évalués entre 3 000 et 8 000 euros l’hectare, selon les professionnels. La facture pourra vite s’élever autour de plusieurs millions d’euros dans le cas des incendies en Gironde où plus de 20 000 hectares sont partis en fumée. Mais ce ne sera pas la première opération d’envergure dans la région. "Dans le Sud-Ouest en 2009, après la tempête Klaus, on a reconstitué les 200 000 hectares de forêt en moins de dix ans, explique optimiste Stéphane Viéban. Donc il s'agit d'un chantier important mais qu'on saura traiter avec nos organisations."
 

Des essences replantées plus résistantes

Dans le cas des massifs de Gironde, l’exploitation forestière est devenue experte pour reboiser depuis un demi-siècle. Les coopératives forestières se sont développés après l’incendie de 1949 qui avait fait plus de 80 morts et ravagé plus de 50 000 hectares. "On a la chance d'avoir une essence qui est le pin maritime et qui est adaptée aux sols sableux très acides et qui pousse très bien, développe Stéphan Viéban. Depuis plus de 50 ans avec les techniques qui ont été mises en œuvre pour faciliter le travail, on a une bonne croissance. Il y a aujourd’hui des pins qui sont améliorés pour pousser de façon plus droite et faire du bois de meilleure qualité."

>> Comment reconstituer une forêt après un incendie ? L'exemple de Banne, en Ardèche
 
Dans la forêt de Pignada à Anglet, l'ONF va reboiser à partir de l'hiver 2023 aussi avec du pin maritime. Mais pendant les discussions sur l'avenir de la forêt, les élus et l’Office sont vite tombés d'accord sur une prise en compte du changement climatique et du risque incendie. "On a choisi de mélanger davantage la forêt que ce qu'elle a connu auparavant, indique Antoine de Boutray de l'ONF Pyrénées-Atlantique. On va compter deux tiers de pins, en l'occurrence du pin maritime et du pin pignon. Ce dernier est réputé très résistant contre les incendies. L'autre tiers, ce sont des feuillus dont la très grande majorité sont des chênes-lièges." Une espèce qui résiste aussi mieux aux incendies grâce à son épaisseur d'écorce, explique le directeur de l’ONF.

Un manque d'informations précises

Mais ces précautions seront-elles suffisantes si un nouveau feu d’envergure se déclare comme ceux que la Gironde connaît ? Jean Pierre Vogel, sénateur Les Républicains, a remis un rapport en 2019 sur la lutte contre les feux de forêts. Il soulignait à cette époque que "la connaissance des coûts des dommages causés par les feux de forêt est loin d'être acquise". "C'est extrêmement compliqué, explique à franceinfo le sénateur. L'idée serait d'avoir une information précise pour évaluer et savoir si les départements ont les moyens suffisants de lutter contre les incendies."

En matière de lutte contre les feux de forêt, Antoine d’Amécourt de Fransylva est pragmatique : "Cela peut paraître idiot mais ce qu'il faudrait, c'est éviter d'allumer les feux." Il cite l’exemple de l'incendie du massif de la Montagnette dans les Bouches-du-Rhône provoqué par un train et qui a détruit plus de 1 200 hectares. La question de l’entretien des forêts s’est aussi posé en Gironde notamment pour celui de La Teste-de-Buch et son statut datant du Moyen-Âge. Ce mode de gestion est qualifié de chaotique et a compliqué énormément la tâche des pompiers.

Mais pour Antoine d’Amécourt, "le problème ce n’est pas seulement l’entretien puisque l’autre incendie concerne une forêt bien entretenue mais qu’il faut éteindre le feu rapidement". L’intervention dans les premières minutes est primordiale pour lutter contre un incendie notamment s’il y a du vent et qu’il fait chaud. Une stratégie d'intervention rapide que la France ne peut tenir sans les moyens aériens, explique le sénateur Jean Pierre Vogel. Une polémique est née pendant les incendies en Gironde : le président du département s’est plaint du manque de Canadair dans la région. Emmanuel Macron a reconnu qu’il "faut acheter plus d’avions" et "plus de Canadair". Un achat de nouveaux engins qui n'est possible qu’avec d’autres pays européens, selon Jean Pierre Vogel, le constructeur ne lançant la production de nouveaux appareils qu’au-dessus d’un certain nombre, une vingtaine, d’avions commandés. Une stratégie européenne que prône également le chef de l'État mais qui, elle aussi, risque de prendre du temps.

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