"On n'a pas le droit à l'erreur" : à Martigues, des soldats du feu toujours sur le qui-vive
Dans cette commune des Bouches-du-Rhône, plusieurs incendies ont ravagé plus de 150 hectares entre le 26 et le 27 juillet. Franceinfo a passé les deux jours suivants auprès de ceux qui ont lutté — et luttent encore — contre ces feux.
Les appels s'enchaînent dans la voiture de Fabrice Carboni, vendredi 28 juillet. Le pompier, chef de groupe, apprend le départ d'un feu à Miramas (Bouches-du-Rhône), à 25 kilomètres de là. Quelques minutes plus tard, on lui signale une nouvelle fumée sur la colline de la Gacharelle. C'est à Martigues, dans son secteur d'intervention. Il doit s'y rendre au plus vite. Le chef de groupe enclenche la sirène et accélère brusquement. Le stress monte, comme l'adrénaline. "Fumée de moyenne importance. Sur les lieux dans trois minutes", prévient-il au micro, la voix nerveuse. Sur la départementale, les voitures s'écartent pour le laisser passer. Il est 15 heures, l'incendie a repris.
Le pompier de 46 ans repart à la Gacharelle, sur un feu qu'il a déjà combattu deux jours plus tôt. Comme ses collègues du centre de secours de Martigues, l'homme travaille sans relâche cette semaine. Il y a eu l'incendie de La Gacharelle, mais aussi celui de Carro, à dix kilomètres de là. Sans compter les reprises et nouveaux départs de feux. A Martigues et ses alentours, les 170 soldats du feu, dont 110 volontaires, ne cessent de se relayer pour éteindre les flammes. Ils ont 70 000 habitants à protéger et sont en alerte permanente.
"Il n'y a plus d'eau !"
Fabrice Carboni ne freine pas. L'homme reste calme et souriant, mais une certaine tension est palpable. En empruntant le pont qui le mène à la colline de La Gacharelle, le pompier aperçoit au loin un panache qui s'élève entre les arbres. Le chef de groupe traverse des chemins abîmés, en montée ou en descente, au milieu de la végétation. La voiture saute à plusieurs reprises. Il arrive sur les lieux du feu en quelques minutes. Sur place, la fumée est blanche et épaisse.
Plusieurs engins d'intervention sont déjà sur place. Les pompiers tentent de contenir les flammes avec des lances à incendie. Pendant ce temps, Fabrice Carboni contrôle les opérations et cherche des renforts. Il va très vite. Le pompier demande deux camions-citernes feux de forêt (CCF) supplémentaires, chacun contenant 13 000 litres d'eau. Un troisième CCF de 4 000 litres est appelé. Au téléphone, le chef de groupe guide une équipe en route vers les lieux de l'incendie. "J'ai deux CCF qui n'ont presque plus d'eau", leur explique-t-il d'un ton anxieux.
Les camions-citernes se succèdent sur le chemin érodé qui longe le front de l'incendie. La zone qui brûle est en pente. Il faut grimper pour atteindre les flammes et éviter que le feu ne passe de l'autre côté. "Il n'y a plus d'eau !", crie à un moment Fabrice Carboni. Les CCF se relaient sans cesse pour arroser les lieux. Au total, 13 engins et 40 pompiers ont dû intervenir.
Les pompiers des Bouches-du-Rhône, surmenés par les incendies des derniers jours, ont reçu des renforts d'environ vingt départements. Jusqu'à 250 pompiers en simultané. Vendredi 28 juillet, un groupe de Haute-Savoie accompagne les pompiers de Martigues et de la commune voisine de Châteauneuf-les-Martigues, pour endiguer le feu de la Gacharelle.
"Il faut être très vigilant"
L'incendie est fixé après environ deux heures, mais il faut bien "noyer" la zone pour éviter tout retour du feu. Fabrice Carboni accompagne des équipes chargées des jets d'eau manuels. Pendant deux heures, les pompiers arrosent abondamment. La terre imbibée d'eau devient de plus en plus noire. "Il faut être très vigilant", insiste le chef de groupe, inquiet d'une reprise rapide des feux. Le risque est particulièrement fort au niveau des lisières, qui démarquent les zones brûlées de la végétation encore verte. Sur la colline de la Gacharelle, il faut surveiller les frontières des feux. Avec la chaleur et le vent, la végétation qui les entoure peut s'enflammer à tout moment.
L'homme a de bonnes raisons d'être vigilant. Le matin même, le chef de groupe avait repéré une légère fumerolle et alerté ses collègues. Trente minutes avant l'incendie, l'équipe en surveillance à la Gacharelle n'avait "rien à signaler". Le feu est reparti en un instant, sans que personne ne puisse l'anticiper. En un mois, Martigues a connu quinze départs de flammes. Les soldats du feu sont sur le qui-vive.
Toute la région est en alerte. Depuis son véhicule de chef de groupe, Fabrice Carboni entend toutes les annonces de départs de feu. "On a une fumée suspecte entre Toulon et Marseille", entend-il. "Ça va, ce n'est pas nous", sourit le sapeur-pompier, l'accent chantant. Peu après, le réseau radio des sapeurs-pompiers alerte sur "une fumée importante" à La Ciotat, près de Cassis et du parc des Calanques. Les appels ne s'arrêtent pas.
Le pompier a travaillé près de 70 heures en quatre jours. Il ne se plaint pas et montre un entrain sans faille. "Là ça va, on a bien dormi hier soir", sourit le pompier. Mais "c'est sur la durée" qu'il va falloir tenir. L'été n'est pas terminé. Ce jour-là, le chef de groupe est de garde pendant 24 heures. "On n'a pas le choix", poursuit-il. "On donne, c'est normal." Le feu n'est jamais très loin.
Toujours mobilisé après 26 heures de travail sans pause
Quand le chef de groupe quitte les lieux du sinistre, vendredi 28 juillet vers 18 heures, le travail est loin d'être fini. Il faut désormais surveiller pendant de longues heures la forêt brûlée, et se tenir prêt pour la moindre reprise. Avec son collègue Yvan Sabatier, Mathieu Deveza reste en dispositif préventif sur les lieux. Ce jeune pompier de Martigues devait être de repos après 26 heures de travail sans pause. Urgence oblige, il a été mobilisé sur l'incendie de La Gacharelle. Les pompiers de Haute-Savoie, venus en renfort, restent aussi.
De retour à la caserne, Fabrice Carboni souffle un peu. Il discute et plaisante avec ses collègues. Le groupe est soudé, les rires vont bon train malgré la fatigue. A 21 heures, tout le monde se dirige vers le réfectoire pour dîner. L'un des pompiers de garde a cuisiné pour ses collègues — c'est une tradition dans la caserne. Le chef de groupe se détend et profite d'un rapide temps de repos. Après une trentaine de minutes, il reçoit un appel. Le Centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (Codis) lui demande de repartir à la colline de la Gacharelle. Il faut contrôler les lieux avec une caméra thermique.
A la tombée de la nuit, le chef de groupe repart inspecter la colline. Dans le noir le plus complet, il grimpe sur les terres brûlées et relève rapidement pas moins de six points chauds. Chacun peut à tout moment entraîner une reprise de feu. Rapidement, un pompier portant un gilet-pompe noie les zones en question. Il est presque 23 heures. Les pompiers de Haute-Savoie quittent La Gacharelle, mais partent en surveillance à Carro. Le travail se poursuit pendant la nuit.
Le lendemain, Fabrice Carboni est enfin de repos. David Tisserand, un grand homme brun et tatoué, a pris sa relève au poste de chef de groupe. Le pompier doit repartir à la Gacharelle. Il y retrouve Vincent*, chargé de faire voler des drones au-dessus des terrains brûlés. La densité des arbres et les pentes rendent le repérage des fumerolles, des panaches de fumée qui alertent d'un départ de feu, très difficile. Les deux drones vont permettre de repérer les points chauds restants. L'un, doté d'un système d'imagerie thermique, fait apparaître un point blanc sur l'écran de Vincent dès qu'il localise un point chaud. Le second, avec l'imagerie couleur, montrera des points orange et rouge pour les sources de chaleur. "Il va y en avoir", prévient David Tisserand d'une voix calme. Quelques instants plus tard, Vincent repère une source de chaleur dans les arbres.
Mathieu Deveza est de garde ce jour-là. Il les rejoint pour noyer ce qui risque de se transformer en nouveau feu. Le pompier, 30 ans, arrive sur les lieux avec un camion-citerne. Il doit emprunter une descente abrupte pour atteindre le point chaud. La manœuvre est risquée. Une fois sur le lieu, le jeune pompier arrose la terre pendant 30 longues minutes, guidé par David Tisserand.
Des interventions qui ne se limitent pas aux incendies
Après l'opération, les deux hommes rentrent au centre de secours. Mathieu Deveza s'apprête à partir déjeuner au réfectoire. Mais au moment de passer à table, le téléphone sonne au standard. Des tuiles menacent de tomber sur la voie publique dans une rue de Martigues. Le pompier part dans la minute.
Car, même en période estivale et de feux de forêt, les pompiers interviennent sur tous les fronts, les opérations courantes doivent continuer. Les incendies sévissent, mais les opérations courantes doivent continuer. Après avoir lutté pendant six heures sur le feu de Carro, mercredi 26 juillet, Mathieu Deveza est vite reparti sur des missions communes : des interventions sanitaires ou de secours aux personnes.
"On est à la merci d'une activité accrue, imprévue", raconte Mathieu Deveza de retour d'intervention, alors qu'il déjeune. Le jeune homme blond évoque sa fatigue d'un ton posé. Lui non plus ne se plaint pas, mais reconnaît le poids des longues heures de présence. "On essaie de profiter des moindres instants de repos", explique-t-il avec le sourire. Car lutter contre les feux, en parallèle de tout le reste, demande un effort physique et psychologique intense. "On n'a pas le droit à l'erreur, on doit tout le temps être sur le qui-vive, martèle Mathieu Deveza. Et se retrouver au milieu d'un feu, ce n'est pas forcément naturel pour un être humain."
À 15 heures, le pompier repart. Il est appelé pour un transport interhospitalier, mais revient vite. "Je vais me reposer !", lance-t-il d'un ton rieur à ses collègues, dans l'attente du prochain appel. Pendant ce temps, les contrôles se poursuivent. A Carro, quatre pompiers de Martigues surveillent et arrosent les lisières, à l'affût de la moindre fumée. Le groupe restera jour et nuit. Prêt à intervenir à tout moment.
* Vincent n'a pas souhaité que franceinfo communique son nom de famille.
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