Incendie de l'usine Lubrizol : "Ce n'est pas parce que ça sent mauvais qu'il faut avoir peur", assure un toxico-chimiste
Près d'une semaine après l'incendie du site classé Seveso, les habitants continuent de se poser des questions sur ce qu'ils respirent. Franceinfo a interrogé un spécialiste pour faire la lumière, point par point.
Une odeur âcre, "comme des œufs pourris", qui "pique la gorge quand il se met à pleuvoir." Cinq jours après l'incendie du site Seveso de Lubrizol à Rouen, jeudi 26 septembre, les habitants s'interrogent sur ce qu'ils respirent. Certains disent encore sentir cette odeur entêtante et nous ont directement interrogés dans notre live ou via notre opération #AlertePollution. Pourquoi cette odeur persiste-t-elle ? Faut-il prendre des précautions ? Franceinfo a interrogé le professeur André Picot, chimiste spécialiste de la toxicologie et ancien directeur de l'unité Prévention du risque chimique au CNRS.
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Franceinfo : Cinq jours après le sinistre, des habitants affirment toujours ressentir une odeur d'œufs pourris. Est-ce normal ?
André Picot : Cette odeur très particulière est liée aux hydrocarbures soufrés présents sur le site. Pour être plus précis, il s'agit des composés organiques soufrés que l'usine utilise pour fabriquer des lubrifiants de haute technicité. C'est clairement désagréable, ça prend le nez. L'odeur peut évoluer en fonction de la météo. Les vents et la pluie jouent un rôle. Le vent peut déplacer l'odeur, et la pluie qui tombe la ramène vers le bas. Elle devient ultérieurement aussi plus acide. C'est lié à l'oxydation de l'hydrogène sulfuré (H2S) en anhydride sulfureux ou dioxyde de soufre (SO2). D'où cette sensation de picotements.
Les internautes qui ont contacté franceinfo se demandent quand cette odeur disparaîtra pour de bon. Avez-vous une idée ?
Là aussi, tout dépend de la météo. En fonction des vents, l'odeur va plus ou moins se dissiper. Ce qu'il faut en revanche comprendre, c'est que ces composés, même à très faible concentration, sentent encore. Ils ont aussi tendance à s'imprégner sur les vêtements, notamment ceux en laine. C'est tenace. Donc c'est une question de quelques jours encore.
L'odeur varie en fonction de là où on se trouve et du moment de la journée. A 300 mètres d'écart, elle peut être plus ou moins supportable.
André Picot, toxico-chimisteà franceinfo
En déplacement à Rouen lundi soir, le Premier ministre a parlé d'odeurs "gênantes", mais "pas nocives". Dit-il vrai ?
Oui, il dit vrai. C'est vraiment important de rappeler qu'il n'y a strictement aucune relation entre odeur et toxicité. Il y a des produits soufrés qui sentent à très faible concentration et qui sont totalement inoffensifs. A l'inverse, prenons l'exemple du monoxyde de carbone (CO) : ce gaz inodore et sans saveur tue à très faible dose. Donc non, je le répète, odeur n'égale pas toxicité !
Donc l'air que les habitants rouennais respirent est sans conséquence sur la santé ?
Oui, il l'est, d'après les données actuellement disponibles. On ne peut négliger les effets retardés, tout particulièrement pour les personnes qui connaissent déjà des troubles respiratoires. Je pense notamment aux asthmatiques, mais aussi aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux personnes immuno-déprimées et aux nouveaux-nés. Pour eux, cette odeur, même si elle est inoffensive, n'est pas anodine. Il faut éviter de trop s'y exposer.
En 2013, lors d'un précédent incident, une odeur de gaz s'était répandue jusqu'aux portes de Paris et même jusque dans le Sud de Londres. Est-ce possible que cela recommence cette fois ?
Impossible de le dire. Mais surtout, ça n'a rien à voir. A l'époque, c'était du mercaptan, un gaz très toxique qui entraînait immédiatement des nausées, voire des vomissements, puis des maux de tête, à grande échelle. J'étais déjà intervenu à l'époque. Dans l'angoisse, les habitants peuvent confondre un peu tout. La psychologie joue un rôle important dans ce type de stress.
Ce n'est pas pour cela qu'il faut tenir un discours anxiogène, ce n'est pas parce que ça sent qu'il faut avoir peur.
André Picotà franceinfo
On le voit très bien en ce moment à Rouen. C'est la réalité des grandes catastrophes chimiques. Bhopal en Inde, Seveso en Italie, sans compter les accidents nucléaires comme Tchernobyl en Ukraine ou Fukushima au Japon. A chaque fois, cet effet se produit.
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