: Reportage Disparition du petit Emile : après le branle-bas de combat des premiers jours, les habitants du Vernet se réfugient dans le silence
La vitre du panneau d'affichage planté au cœur de la commune du Vernet (Alpes-de-Haute-Provence) s'ouvre dans un crissement. Une femme vient d'y accrocher un nouveau document, juste à côté des horaires des transports scolaires pour la rentrée. "Je ne veux pas être filmée", assène-t-elle, sans dévier de sa mission. Il est 10 heures, mardi 18 juillet. Les cloches de l'église Saint-Marthe résonnent dans toute la vallée et l'arrêté municipal s'affiche à présent noir sur blanc : jusqu'au 31 juillet, minuit, toute personne extra-muros ne pourra plus accéder au Haut-Vernet. Emile, 2 ans et demi, a été aperçu dans ce hameau d'une vingtaine d'habitations pour la dernière fois le samedi 8 juillet, avant de se volatiliser dans l'épaisse nature provençale. "La peine est tellement forte pour les habitants et la famille, ils ont besoin de calme et de repos", justifie le maire, François Balique. Dans cette même journée de mardi, le parquet de Digne-les-Bains a annoncé l'ouverture d'une information judiciaire, confiée à deux juges d'instruction du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.
"Maintenant, il y a eux, et puis il y a nous : on est coupés en deux", déplore une habitante du Vernet, où résident l'essentiel de la centaine d'habitants de la commune englobant le hameau. Après quelques hésitations, et malgré l'interdiction, Gérald franchit la barrière de ferraille installée au commencement d'une route en pente, juste avant un petit ruisseau. A l'arrière de sa voiture, un bouquet de fleurs blanches. Venu de Martigues (Bouches-du-Rhône), cet ancien gendarme à la retraite a fait près de 180 kilomètres, et enduré quelques virages corsés dont le département a le secret, pour le remettre en main propre aux grands-parents d'Emile, qu'il ne connaît ni d'Eve, ni d'Adam, "en signe de soutien". Sans succès. Les fleurs finissent leur périple entre les mains des gendarmes chargés de veiller à la bonne application de l'arrêté municipal, dans ce hameau aux allures de forteresse.
"Je ne veux plus parler"
A intervalles réguliers, de larges voitures, pensées pour encaisser les vallonnements des environs et l'épaisse neige qui recouvre les routes en hiver, descendent du Haut-Vernet et traversent le bourg. Leurs moteurs interrompent alors, un instant, le silence qui règne depuis le départ des équipes d'enquêteurs et des volontaires venus prêter main-forte. Les hélicoptères et les drones, intervenus après la disparition d'Emile, ont cessé leurs opérations. Les discussions frénétiques ont perdu en intensité au fur et à mesure que l'espoir de retrouver l'enfant en bonne santé s'est amenuisé. Alors, chacun s'est muré dans le silence.
"Quand je vois des journalistes, je les évite. Je ne veux plus parler."
Jean*, habitant du Vernetà franceinfo
Jean réside dans l'une des rares habitations aux volets ouverts à la mi-juillet : la majorité des maisons sont devenues, au fil des années, des résidences secondaires pour citadins en manque de nature. Comme la quasi-totalité des Vernetois, le retraité s'est mobilisé dès le premier jour de la disparition "du p'tit" pour participer aux battues, dans une grande effervescence. Au quatrième jour, les volontaires ont été priés d'arrêter toute activité et de retourner vaquer à leurs occupations : l'enquête se concentre à présent sur l'analyse des données récoltées. "J'ai encouragé tout le monde à reprendre une activité normale", confirme le maire. Il a alors fallu patienter et remplir ces longues journées d'été, alourdies par une chaleur inhabituelle à 1 200 mètres d'altitude. "On joue aux boules [de pétanque], on fait des travaux à la maison... On se sort de l'histoire tant bien que mal et on essaie d'oublier, en attendant d'en savoir plus", lâche-t-il.
Un climat "oppressant"
Cette quiétude nouvelle et à marche forcée est une bénédiction pour Jeanne*, qui passe des nuits agitées depuis la disparition du petit garçon. "Il y avait des journalistes espagnols, des Allemands de partout (...) mais ça commence à redevenir normal, à se calmer", salue cette amie de longue date de la famille du petit Emile, propriétaire depuis une vingtaine d'années de la maison de vacances autour de laquelle s'est jouée la disparition. Elle décrit l'enfant comme "dynamique" et "très mignon". "Il parle très bien. Il faut dire qu'il est constamment au contact des grands, alors, il veut faire pareil", sourit-elle, en arrachant les pétales séchés de ses roses à la robe pourpre. Soudain, cette main qui semblait assurée se pose fébrilement sur sa bouche pour étouffer un sanglot :"Je suis désolée, je ne peux plus en parler, ça me secoue trop."
Charlotte*, quant à elle, voudrait mettre un terme au silence qui s'est progressivement installé dans la commune. Cette quinquagénaire qui connaît "un peu" la famille d'Emile, croisée à l'occasion d'événements dans le village et qualifiée par tous de "très discrète" et "pieuse", ne demande qu'à renouer avec la parole. "Ce sont les petits secrets qui conduisent aux gros" déroule-t-elle. Elle témoigne d'un climat "oppressant" et d'une "tension" dans le huis clos qui se joue dans le village depuis le drame du 8 juillet. "Peut-être qu'il y a des gens qui savent des choses et qui ne disent rien", se prend-elle à imaginer.
Une commune meurtrie
Un silence d'autant plus pesant qu'il se mêle aux résurgences traumatiques de précédents drames dans la région. En 2008, Jeannette Grosos, gérante du café des Moulins, sur la départementale qui longe le Vernet, est tuée par un déséquilibré. Plus de sept ans plus tard, le 24 mars 2015, à quelques kilomètres de là, l'Airbus A320 de la Germanwings percute un flanc de falaise, faisant 149 morts ainsi que le pilote, à l'origine du crash. A l'époque, plusieurs habitants avaient prêté main-forte aux autorités. Bernard, 69 ans, a conduit des familles des victimes à proximité du lieu du drame pour leur permettre de se recueillir. En remerciement, la compagnie aérienne a offert, à une partie du village, dont lui, des billets pour le match de football France-Allemagne. Nous sommes le 13 novembre 2015 et les Vernetois sont dans les gradins lorsqu'un jihadiste se faire exploser aux abords du Stade de France. "Pour avoir peur, j'ai eu peur", confirme pudiquement Bernard. Aucun habitant du village n'a été blessé durant les attentats dans la capitale cette-nuit-là.
"Les avions tombent chez nous, les tueurs tuent chez nous, et maintenant les enfants disparaissent : qu'est-ce que les gens vont dire de nous ?"
Bernard, habitant du Vernetà franceinfo
Au bistrot du centre du village, les interrogations fusent. Rapt ? Accident de voiture ? Chacun a sa théorie sur la disparition de l'enfant. "Mais la vérité, c'est qu'on ne sait rien, on n'a aucune information. On ne sait même pas si, nous aussi, on va être interrogés", souffle un habitant du Vernet, alors que les investigations se sont essentiellement cantonnées au hameau plus haut. Des investigations qui n'ont pas permis "de déterminer les causes" de la disparition d'Emile, selon le communiqué du procureur de Digne-les-Bains diffusé mardi. Dans le flou, les habitants sont condamnés aux supputations formulées à la terrasse du bar. Soudain un murmure grandit : une voiture grise traverse la place, sans s'arrêter. Habitués et journalistes attablés dévissent leur cou et basculent leurs chaises pour tenter d'en distinguer l'habitacle. A l'intérieur, les proches d'Emile. Vitres fermées et regard fixé sur la route, la famille, plus que n'importe qui d'autre dans le village, a fait vœu de silence depuis la disparition du petit garçon.
* Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.