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Disparition d’Estelle Mouzin : comment expliquer le revirement de Monique Olivier, qui a détruit l'alibi de Michel Fourniret ?

La septuagénaire a livré jeudi dernier des informations décisives, liant possiblement la mort de la fillette au parcours criminel de son ex-mari. Ses déclarations ont relancé l'enquête et ont conduit à la mise en examen de Michel Fourniret.

Article rédigé par franceinfo
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Monique Olivier, l'ex-épouse de Michel Fourniret, devant la cour d'assises de Charleville-Mézières (Ardennes), le 29 mai 2008.  (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Par son témoignage, elle a relancé une énigme criminelle qui dure depuis le 9 janvier 2003, le soir de la disparition d'Estelle Mouzin à Guermantes (Seine-et-Marne) et entrainé la mise en examen de Michel Fourniret. Entendue par la juge d’instruction chargée de l'affaire, Monique Olivier, l'ex-compagne du tueur en série, a contredit l'alibi de "l'ogre des Ardennes", jeudi 21 novembre. Le tueur en série avait expliqué avoir appelé son fils depuis son domicile de Sart-Custinne, en Belgique, au moment de la disparition de la petite fille. Alors qu'elle avait toujours soutenu cette version, Monique Olivier a d'affirmé avoir elle-même passé cet appel à la demande de son mari, précisant qu'il n'était pas chez lui à ce moment-là. Entendue pendant près de trois heures, elle a ajouté que la fillette de 9 ans "était tout à fait le genre de jeune fille qui pouvait satisfaire" son ex-mari. 

Depuis sa rencontre en 1986 avec le tueur, Monique Olivier a tenu une place centrale dans le parcours du criminel qui, à la lumière de ces nouveaux éléments, va rapidement être entendu par la juge d'instruction Sabine Khéris. Franceinfo vous explique comment celle qui fut sa plus grande complice s'est peu à peu muée en sa dénonciatrice. 

Une première faille en 2004

"Prisonnier aimerait correspondre avec une personne de tout âge pour oublier solitude". C'est par sa petite annonce publiée dans Le Pèlerin, sur laquelle tombe en 1986 Monique Olivier, alors âgée de 38 ans, que débute sa correspondance avec un père de quatre enfants, deux fois divorcé et incarcéré pour agressions sexuelles. Michel Fourniret la surnomme "sa mésange", sa "princesse aux pieds nus", sa "Natouchka". Débute entre eux une correspondance enflammée, où il lui parle de ses projets morbides d'enlèvements de jeunes vierges. Elle lui répond que "[le] seconder [lui] ferait plaisir". "Quand je lui écris, c'est pas pour faire ma vie avec, dira-t-elle aux psychiatres. C'est pour recevoir du courrier, pour exister pour quelqu'un", cite L'Express. Michel Fourniret est libéré en octobre 1987 et l'épouse deux ans plus tard. En seize ans de vie commune, Michel Fourniret et Monique Olivier ont tué au moins sept jeunes filles, avant d'être arrêtés en 2003. 

Cette femme fluette, qui a joué un rôle actif dans la série meurtrière de son époux, est également celle qui en signera l'arrêt définitif. Le 29 juin 2004, après un an d'interrogatoires infructueux, Michel Fourniret est sur le point d'être relâché quand Monique Olivier craque et révèle la liste des victimes de son mari. "Il a fallu lui arracher chaque mot, elle tremblait comme si elle allait s'évanouir, son rôle préféré", raconte l'enquêteur belge Jacques Fagnart à L'Express.

Je ne l'ai jamais vue pleurer, même quand elle a donné les détails les plus scabreux.

L'enquêteur belge Jacques Fagnart

à "L'Express"

Elle commence par avouer les meurtres de Céline Saison, 18 ans, enlevée en mai 2000 à Charleville-Mézières et retrouvée morte en juillet dans un bois à Sugny (Belgique), et de Mananya Thumpong, 13 ans, disparue en mai 2001 à Sedan (Ardennes). Puis avoue neuf autres crimes. Michel Fourniret n'en reconnaîtra que huit et sera condamné à la prison à perpétuité pour sept victimes, lors de leur procès commun en 2008.  

"Elle est complètement libérée de Michel Fourniret"

Cette année-là, face à la cour d'assises des Ardennes, Monique Olivier affiche une ligne de conduite précise, qu'elle a tenue tout au long du procès : se faire passer pour une victime de son mari, à qui elle obéissait aveuglément. "Je fais ce que l'on demande, ma faiblesse c'est de ne pas savoir dire non, je suis incapable de me défendre", déclare-t-elle alors, assurant qu'elle était en permanence "sous l'emprise" des hommes. Des affirmations contredites par plusieurs témoignages.

Aujourd'hui âgée de 71 ans, Monique Olivier n'est plus la femme soumise aux fantasmes de son époux. Tous deux ont divorcé par consentement mutuel en 2010, après plus de vingt ans de mariage. En quinze ans d'incarcération, elle s'est progressivement détachée de lui. "Le fait d'être éloignée de Michel Fourniret a détricoté les relations entre les deux. Et je pense qu'après quinze ou seize ans d'incarcération, Monique Olivier est complètement libérée de Michel Fourniret", analyse sur France 2 son avocat, Richard Delgenes. 

Elle a gagné en indépendance mais surtout en assurance. A tel point que lors de la récente reconstitution des meurtres de Joanna Parrish et de Marie-Angèle Domèce, elle s'est énervée contre Michel Fourniret. "Bon ! Tu vas dire ce que tu sais maintenant ! Que l'on puisse passer à autre chose...", lui a-t-elle lancé, raconte 20 Minutes. Un regain d'aplomb facilité par l'état de santé du tueur de 77 ans, qui s'est affaibli ces dernières années, présentant des troubles de la mémoire, avec des difficultés à articuler. "Si elle n'a pas peur de lui, de quoi aurait-elle peur, puisqu'elle n'a pas peur de la prison ? Tout cela va peut-être favoriser des révélations", estime Richard Delgenes. 

Une relation de confiance avec la juge

Les révélations de Monique Olivier ont aussi été favorisées par la juge d'instruction parisienne Sabine Khéris, qui a récupéré en juillet l'enquête sur la disparition d'Estelle Mouzin, initialement conduite à Meaux. 

Elle a su nouer une relation avec elle, échanger avec elle et la respecter en tant que personne.

Corinne Herrmann, avocate d’Eric Mouzin, père d'Estelle Mouzin

à franceinfo

"Et d'ailleurs, elle a demandé à lui parler, en février", relève Corinne Herrmann, avocate d'Eric Mouzin, père d'Estelle Mouzin, sur franceinfo.

Le 5 février 2018, c'est à cette magistrate parisienne que Monique Olivier souhaite parler à propos de l'affaire Mouzin. Alors que leur entrevue touche à sa fin, la magistrate lui demande si elle a "quelque chose à ajouter" sur les disparitions de Joanna Parrish et de Marie-Angèle Domèce. La septuagénaire lâche alors en substance : "Si je dois être entendue dans le dossier Mouzin, je préfère que ce soit par vous", relate Le Parisien. Et c'est face à elle que Monique Olivier a détruit le précieux alibi de son ex-mari. 

Ses déclarations sont toutefois "à prendre avec précaution", a mis en garde sur franceinfo Jean-Marc Bloch, ancien directeur du service régional de la PJ de Versailles. "Parce qu'il ne suffit pas de dire 'Ce n'est pas lui qui a passé ce coup de fil' pour dire 'C'est lui qui est l'auteur de la disparition d'Estelle Mouzin'. Il faut encore prouver qu'il était en Seine-et-Marne, à Guermantes, à 18h15 ce jeudi-là. On n'en est pas là pour l'instant", a -t-il souligné. Lors du procès pour le meurtre de Farida Hammiche, l'une des victimes du couple, les experts ont assuré que Monique Olivier restait dangereuse "sur le plan criminel", avec une "tendance à banaliser sa propre responsabilité", éprouvant une "absence de culpabilité" mais un "sentiment de honte", détaille L'Express.

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