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Récit Mort de Leslie et Kevin : des suspicions d'enlèvement à la découverte des corps, comment l'enquête s'est organisée

Le couple avait disparu dans la nuit du 25 au 26 novembre 2022 dans les Deux-Sèvres. D'importants moyens d'investigation ont permis l'arrestation de trois suspects et leurs auditions ont conduit à la mise au jour des corps. Mais leur mobile reste flou.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les gendarmes et des membres de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) lors des fouilles au hameau des Haies, près de Virson, en Charente-Maritime, où le corps de Leslie Hoorelbeke a été découvert, le 4 mars 2023. (MEHDI FEDOUACH / AFP)

Sur les clichés des photographes de presse, on voit des petites silhouettes s'activer sous un soleil hivernal, dans une zone boisée, en pleine campagne de l'arrière-pays de La Rochelle (Charente-Maritime). C'est là que le corps de Leslie Hoorelbeke a été retrouvé, le 4 mars. Celui de son compagnon, Kevin Trompat, a été découvert la veille, à cinq kilomètres, dans un champ de la commune de Puyravault (Charente-Maritime), a annoncé, mardi 7 mars, le procureur de la République de Poitiers, Cyril Lacombe, lors d'une conférence de presse organisée pour retracer l'enquête.

En combinaison blanche, quatre membres de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) ont exhumé les corps : un coordinateur de scène de crime, un archéologue anthropologue, un expert chargé de l'imagerie numérique et enfin un médecin légiste. Ils orientent les analyses en fonction de l'état des corps. Comme l'a souligné Cyril Lacombe, les autopsies ont permis de compléter leurs premières constatations. "La mort a été probablement provoquée par des coups portés au moyen d'un objet contondant" (qui écrase sans percer ni couper), a-t-il déclaré. Jeudi, il a confirmé l'identité des deux corps exhumés, à la suite de l'exploitation de l'ADN prélevé.

Ces fouilles n'étaient pas été organisées par hasard : les enquêteurs ont identifié les lieux au préalable. Ils ont été guidés par les indications livrées, pendant leur garde à vue, par les trois suspects interpellés entre le 28 février et le 2 mars. Leurs arrestations, suivies de leurs mises en examen et de la découverte des corps du jeune couple, constituent un tournant dans l'enquête sur cette disparition. Kevin, Leslie et son chien Onyx étaient introuvables depuis le 26 novembre 2022, date à laquelle, aux environs de 3 heures du matin, ils ont quitté le domicile de leur ami Nicolas R., à Prahecq, un bourg près de Niort (Deux-Sèvres), où ils avaient passé la soirée. Ils devaient dormir à moins de 50 mètres de là, dans la maison de Tom T., l'un des suspects.

Un groupe d'enquêteurs dédié

Sans nouvelles de sa fille depuis plusieurs jours, Patrick Hoorelbeke donne l'alerte aux autorités le 3 décembre. Le jour même a lieu la première audition de Tom T. C'est également à cette date que Leslie est inscrite au fichier des personnes recherchées et que la belle-mère de Kevin Trompat est auditionnée. Ni cette dernière, ni les parents de Leslie ne croient à "un départ volontaire" ou à une fugue. Ils évoquent rapidement, dans une interview accordée au Courrier de l'Ouest, puis à franceinfo, l'hypothèse d'un enlèvement et d'une séquestration. Le 5 décembre, une procédure pour disparition inquiétante est ouverte à la Brigade de recherches de Niort et deux jours plus tard, un appel à témoins est lancé.

L'enquête progresse peu à peu. Le 8 décembre, des papiers d'identité et des photos de Kevin, ainsi que des affaires du couple et quatre cartouches de chasse de calibre 12 non percutées sont retrouvés dans un container de recyclage de vêtements à Puyravault (Charente-Maritime). Quatre jours plus tard, le parquet de Niort ouvre une information judiciaire pour disparition inquiétante, afin que tous les moyens d'enquête puissent être utilisés. Les investigations sont confiées à la Section de recherches (SR) de Poitiers (Vienne).

Un juge d'instruction est désigné et un groupe dédié, avec six enquêteurs détachés à temps plein, est mis sur pied. Il est "actif à compter du jour même, soit le 12 décembre 2022", a précisé, mardi, le procureur de la République de Poitiers. Cette cellule nationale d'enquête permet à la gendarmerie de s'appuyer sur l'ensemble des unités locales afin de vérifier tous les éléments parvenant aux enquêteurs et, si nécessaire, d'engager des moyens nationaux spécifiques.

Plusieurs semaines de vérifications et d'observations

"Enquête de voisinage", "investigations subaquatiques", "recherches dynamiques par un équipage cynophile"... Les investigations redoublent d'intensité dans le courant du mois de décembre. Douze unités de gendarmerie sont mises à contribution. Deux ratissages sont effectués et trois points d'eau, sondés par des plongeurs de la gendarmerie, dont certains dans le Marais poitevin. Comme l'a rappelé le procureur de Poitiers, des dizaines de vérifications sont alors effectuées "dans des gares, des restaurants, des magasins en tous points du territoire national". Et même au-delà : des contrôles sont menés jusqu'au Portugal, a appris franceinfo de source proche du dossier.

Les recherches restent vaines, mais plus le temps passe, plus les enquêteurs s'orientent vers une "disparition à l'issue funeste". Au vu de ces éléments, le parquet de Niort se dessaisit au profit du pôle de l'instruction criminelle de Poitiers. Une nouvelle information judiciaire est ouverte, le 27 décembre, cette fois pour "enlèvement et séquestration sans libération volontaire". Les auditions se poursuivent : au total, près de 120 ont eu lieu dans cette affaire. Jusqu'à ce que "le fruit des investigations" oriente "les pistes de travail sur l'entourage du couple", selon le procureur de Poitiers.

Lorsqu'une battue est organisée à l'initiative de la belle-mère de Kevin Trompat, le 5 janvier, les enquêteurs restent en retrait. Mais ils observent les comportements des uns et des autres, puis notent les incohérences.

"Des changements de comportement avaient été remarqués, des contradictions dans certains emplois du temps, des modifications de lieux, une participation active à des recherches tout en marquant une certaine distance."

Cyril Lacombe, procureur de la République de Poitiers

en conférence de presse, le 7 mars 2023

A travers ces propos, le magistrat vise, selon toute vraisemblance, Tom T.. Car le jeune homme de 22 ans, proche du couple et désormais suspecté d'avoir participé à leur disparition, a participé à la battue du 5 janvier. Ce jour-là, il avait même assuré à France Bleu Poitou n'avoir plus vu ses deux amis après 17h30, le jour de leur disparition.

Des zones d'ombre sur les "motivations"

Mis en examen pour "enlèvement et séquestration non suivis d'une libération volontaire", Tom T. est en détention provisoire. Tout comme les deux autres suspects, Nathan B. et Enzo C., qui ont été mis en examen du même chef et, en plus, pour "assassinats" et "modification de l'état des lieux d'un crime pour faire obstacle à la manifestation de la vérité". Mais il reste encore de nombreuses zones d'ombre sur le mobile. "Les motivations du passage à l'acte restent à confirmer : déception sentimentale et/ou dette financière", a déclaré le procureur Cyril Lacombe, soulignant que "les faits sembl[ai]ent s'être déroulés dans une temporalité réduite". Les résultats des analyses et les interrogatoires des suspects devraient permettre d'en savoir plus.

Mais d'abord, les corps vont être restitués aux familles et les obsèques du jeune couple vont pouvoir être organisées. "Lorsque le père et la belle-mère de Leslie ont lu le mot 'assassinats', il a résonné dans leur tête une bonne partie de la nuit", explique à franceinfo Laurent Mercier, un ancien gendarme membre de l'association Assistance et recherche de personnes disparues (ARPD) en Nouvelle-Aquitaine, qui leur a proposé ses services peu de temps après la disparition de la jeune femme.

Depuis, Laurent Mercier affirme les avoir tous les jours au téléphone, pour leur apporter "un soutien moral et technique" car ils "n'ont jamais eu affaire à la justice". "Le procureur n'a jamais pris contact avec les familles !", se désole-t-il. Les proches ont toutefois pu apprendre la découverte du corps de Leslie Hoorelbeke par leur nouvel avocat, Mourad Battikh, juste avant que l'information n'apparaisse dans la presse. Constitués partie civile, ils auront accès au dossier par son intermédiaire. Laurent Mercier va également tenter de les accompagner : "Je leur ai dit : 'Vous avez un escalier face à vous'. Ils le savent. Ils s'engagent dans un combat pour le procès."

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