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Procès de Nordahl Lelandais : qu'est devenue la cellule Ariane censée chercher un lien avec d'autres affaires non élucidées ?

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La cellule a agi comme un "radar qui détecte un écho positif", déclarait en février 2019 le général Jean-Philippe Lecouffe, superviseur des recherches.  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Début 2018, sept enquêteurs du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale ont été mobilisés pour examiner le passé de l'ancien militaire, jugé pour le meurtre d'Arthur Noyer, et déterminer si le meurtrier présumé de la petite Maëlys a pu être un tueur en série.

Nordahl Lelandais a-t-il le profil d'un tueur en série ? C'est à cette question que devait tenter de répondre la cellule Ariane, mise en place en janvier 2018 afin d'effectuer des recoupements entre le parcours de l'ancien-maître chien et 900 affaires de disparitions ou morts suspectes. Sept enquêteurs du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale avaient été mobilisés pour examiner son passé au peigne fin, depuis le début des années 2000. 

Après sa mise en examen en novembre 2017 pour le meurtre de la jeune Maëlys, puis, le mois suivant, pour celui du caporal Arthur Noyer, l'hypothèse selon laquelle Nordahl Lelandais pourrait être un "serial killer" semblait crédible, tant les deux victimes présentent des profils radicalement différents, avec des mobiles qui, dans les deux cas, ne sont toujours pas clarifiés. 

De nombreuses familles de disparus avaient alors vu émerger une nouvelle piste pour expliquer ce qui était arrivé à leurs proches, notamment lorsque les disparitions se sont produites dans des régions fréquentées par Nordahl Lelandais. 

L'itinéraire de Nordahl Lelandais retracé

Tout début 2018, les gendarmes ont donc commencé à éplucher minutieusement la vie de l'ex-militaire. Toutes les pistes ont été explorées "autour de ses cartes bancaires, ses relevés téléphoniques et des fichiers de la sécurité sociale", explique Bernard Valézy, vice-président de l'association Assistance et recherche de personnes disparues (ARPD). Laquelle comptabilisait alors 19 cas de disparitions mystérieuses qui pouvaient avoir un lien avec Nordahl Lelandais. La cellule a dû étudier chacun des nombreux déplacements du tueur présumé depuis le début des années 2000.

"Comme Michel Fourniret, Nordahl Lelandais est un individu qui circule beaucoup."

Bernard Valézy, vice-président de l'ARPD

à franceinfo

L'objectif était de retracer le chemin de vie de Nordahl Lelandais, en procédant par "la méthode de l'entonnoir, traditionnelle de la police". A savoir : balayer large et "filtrer", en éliminant chaque affaire où sa culpabilité est jugée impossible. Les données recueillies ont ensuite été intégrées au logiciel AnaCrim, une plateforme d'analyse criminelle qui permet de croiser toutes les informations récoltées.

Des recherches désormais terminées

La piste Nordahl Lelandais a ainsi été écartée dans l'affaire de la disparition de Lucas Tronche, 16 ans, qui n'a plus donné signe de vie depuis le 18 mars 2015. Les données de son téléphone portable ont montré que Nordahl Lelandais était resté en Isère ce jour-là et qu'il ne se trouvait pas dans le Gard. Son nom a également été exclu de la disparition d'Antoine Zoia, qui s'était lui aussi volatilisé dans le Gard un an plus tard, ainsi que de la mort d'un jeune cuisinier belge, Adrien Mourialmé, disparu en juillet 2017 en Haute-Savoie. Les gendarmes ont également conclu que Nordahl Lelandais ne pouvait pas être à l'origine de la tuerie de Chevaline et de la disparition d'Estelle Mouzin. Et dans cette affaire, Michel Fourniret est devenu le suspect numéro un.

La cellule Ariane a agi comme un "radar qui détecte un écho positif", déclarait en février 2019 le général Jean-Philippe Lecouffe, superviseur des recherches, lors d'une conférence de presse en forme de bilan du travail des enquêteurs. Il annonçait alors qu'une "quarantaine" de dossiers avaient été sélectionnés dans lesquels un lien avec Nordahl Lelandais pouvait être envisagé. Selon Le Parisien, qui affirmait avoir reconstitué la liste en interrogeant de multiples sources, il s'agissait plus précisément de 35 affaires de disparitions inquiétantes et de 5 morts suspectes, survenues principalement dans six départements : la Savoie, l'Isère, la Drôme, le Rhône, la Loire et l'Ain.

Dans ces dossiers, "rien ne dit qu'il était sur les lieux, mais rien ne dit qu'il n'y était pas", confiait alors un haut fonctionnaire dans les colonnes du quotidien francilien. Parmi eux, quatorze ont été classés comme "prioritaires", selon les informations de Bernard Valézy, "dont 13 disparitions et une mort suspecte", sans que l'on sache desquels il s'agit. L'ensemble de ces dossiers ont été transmis aux procureurs et juges d'instruction afin d'approfondir les recherches, car la cellule Ariane n'avait pas vocation à enquêter sur les différentes pistes qui se sont ouvertes à elle. Sollicitée par franceinfo, la gendarmerie nationale a refusé toutes nos demandes d'interview et répondu que la cellule Ariane avait été dissoute, sans plus de précisions.

L'espoir d'élucider un "cold case"

Les méthodes de travail ont toutefois été reprises dans un dispositif plus pérenne : la "division cold case", depuis rebaptisée "division des affaires non-élucidées", créée début 2020, au sein de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Elle réunit des experts pluridisciplinaires, issus de différents départements : celui des atteintes aux personnes, des empreintes digitales, de biologie, des incendies et explosifs ainsi que celui des sciences du comportement. Elles est composée de "seize enquêteurs du service central du renseignement criminel, de onze analystes criminels et six criminologues formés aux sciences du comportement", détaille le colonel Fabrice Bouillié, qui commande le service central de renseignement criminel de la gendarmerie, dans Ouest-France

L'équipe s'occupe d'étudier trois types de dossiers criminels hors norme : "les affaires d'une complexité particulière", "les affaires non prescrites" et les "affaires présentant un caractère sériel". Ce dernier type d'affaires regroupe les dossiers pouvant être mis en relation avec une affaire résolue, impliquant un auteur identifié, comme Nordahl Lelandais. Elle a d'ailleurs déjà résolu une affaire : celle de la disparition de Chantal de Chillou de Saint-Albert, dont le corps avait été découvert sur un chemin en bordure de l'Isère en 2001. Un homme a été confondu dix-neuf ans après, grâce à un mégot de cigarette.

Les familles des disparus déçues

Reste que les familles de disparus dont les dossiers avaient été étudiés par la cellule Ariane regrettent amèrement le manque de communication concernant leurs affaires. "Quand la cellule a récupéré le dossier de mon frère, je me suis dit : 'Il va enfin y avoir une vraie enquête avec des moyens mis en œuvre'", se souvient Dalila Boutvillain, la sœur aînée de Malik Boutvillain, disparu le 6 mai 2012 à Echirolles (Isère), alors qu'il était parti faire son footing. Mais elle n'a jamais eu de nouvelles.

"J'ai appris dans la presse que la cellule avait terminé son travail. On n'a pas eu une seule information, rien, zéro. Même pas une petite réunion pour nous tenir informés."

Dalila Boutvillain, sœur de Malik Boutvillain

à franceinfo

Le père de Thomas Rauschkolb, 18 ans, disparu le 28 décembre 2015, et dont le dossier figurait en haut de la pile des enquêteurs, se montre lui aussi atterré. "Officiellement, je ne sais même pas si le dossier de mon fils a été retenu ou pas. Il a certainement été transféré à la juge d'instruction, mais je n'en sais rien", déplore-t-il. A chaque communication médiatique du général Jean-Philippe Lecouffe, à la tête de la cellule, "les familles se demandaient : est-ce qu'on est dedans ?" raconte Bernard Boulloud, avocat de plusieurs familles de disparus, dont les Boutvillain et les Rauschkolb.

"Pour elles, la cellule a davantage été une source de douleur supplémentaire que d'espoir."

Bernard Boulloud, avocat de familles de disparus

à franceinfo

Selon une source policière interrogée par franceinfo, "la cellule Ariane n'a pas été composée dans le but d'informer les gens car elle n'a pas vocation à enquêter sur les affaires, mais à appuyer les magistrats dans leur travail". Selon elle, c'est aux juges d'instruction d'enquêter et "d'informer les familles" pour leur exposer les éventuelles avancées de leurs dossiers.

L'avocat Bernard Boulloud, qui assure avoir découvert par notre appel que la cellule Ariane avait été clôturée, constate qu'il faut souvent "médiatiser" les affaires pour avoir des nouvelles des juges qui en ont la charge. C'est seulement après un article du Parisien datant de février dernier, que trois familles de disparus laissées sans nouvelles depuis 2018 ont fini par être reçues il y a quelques semaines par les juges d'instruction compétents. "Après trois ans sans nouvelles", la juge d'instruction a ainsi assuré à Dalila Boutvillain que le dossier de son frère continuait à être étudié. "Quelque part, on espère qu'un lien sera fait avec Lelandais. Et en même temps, si on découvre que c'est lui, ça voudra dire que Malik est mort..."

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