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Procès de Nordahl Lelandais : comment l'affaire Maëlys a accéléré l'enquête sur la disparition du caporal Noyer

Le jeune homme de 23 ans a disparu en avril 2017, quatre mois avant l'enlèvement et le meurtre de la fillette lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin. Nordahl Lelandais, qui a reconnu avoir tué le militaire, est jugé pour ces faits devant la cour d'assises de Chambéry à partir de lundi. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Les obsèques d'Arthur Noyer (à gauche), à Bourges (Cher), le 7 septembre 2018, et celles de Maëlys de Araujo, le 2 juin 2018, à La Tour-du-Pin (Isère). (AFP / FRANCE INFO / JESSICA KOMGUEN)

Il va comparaître devant une cour d'assises pour la première fois. Nordahl Lelandais est jugé, à partir du lundi 3 mai à Chambéry (Savoie), pour le meurtre du caporal Arthur Noyer, commis quatre ans plus tôt. Si l'affaire est enfin portée devant la justice, c'est en partie parce qu'elle est intimement liée à une autre, plus médiatique : l'enlèvement et le meurtre de la petite Maëlys de Araujo, le 27 août 2017. L'ancien maître-chien de 38 ans doit être renvoyé prochainement devant la cour d'assises de l'Isère pour ces faits, qui occuperont inévitablement les débats à Chambéry, prévus pour durer dix jours. 

Avant d'être associé à celui de la fillette, le dossier du caporal de 23 ans a d'abord fait partie des quelques centaines de disparitions non élucidées chaque année en France, selon une estimation donnée par Le Monde (article pour les abonnés). Son absence au 13e bataillon de chasseurs alpins le matin du 12 avril 2017, à Barby (Savoie), est pourtant tout de suite prise au sérieux. Impossible d'envisager une désertion. Bien dans ses rangers, le caporal s'épanouit dans l'armée depuis trois ans et ne connaît pas de problème particulier. Fêtard, il a passé la soirée de la veille dans des bars et une discothèque de Chambéry avec des collègues de régiment, avant de regagner seul sa caserne, éméché.

Des recherches tous azimuts

D'importants moyens de recherche sont déployés, une centaine de gendarmes ratissent la zone. Le parquet ouvre une enquête pour "disparition inquiétante" et un appel à témoins est lancé. Le visage juvénile de ce garçon aux cheveux châtains et aux yeux noisette est placardé partout par sa famille, descendue de Bourges (Cher) en urgence. Parents, amis et collègues arpentent les lieux pour retrouver sa trace, en vain. Une information judiciaire pour "enlèvement, séquestration ou détention arbitraire" est confiée à un juge d'instruction le 20 avril.

Pour retracer le parcours d'Arthur Noyer le soir du 11 avril, les enquêteurs de la section de recherche de Chambéry exploitent les données de la téléphonie et de la vidéosurveillance à la minute près. "Le procureur a fait un super travail : il a saisi tout ce qu'il pouvait saisir", estime Bernard Boulloud, l'avocat de Didier et Cécile Noyer.

"On a reconstitué les quasi derniers instants d'Arthur grâce à des vidéos locales."

Bernard Boulloud, avocat des parents d'Arthur Noyer

à franceinfo

Sur les images, les gendarmes voient le jeune homme sortir de la boîte de nuit RDC, un peu après 2h30. Il titube dans la rue, tombe, se relève, se fait voler son portable par deux individus, place du Théâtre, sans réagir, puis le récupère avec l'aide d'une passante. Il est ensuite filmé par une caméra en train de faire du stop, rue de la République, vers 3 heures. Les enquêteurs perdent sa trace au rond-point de la place Paul-Chevallier. A partir de là, son téléphone active des relais de plus en plus éloignés de la ville, signe qu'il se déplace en voiture : à 3h05 à Saint-Baldoph, à 6 km, puis alternativement à Saint-Jeoire-Prieuré et à Allevard jusqu'à 4 heures, où son téléphone cesse définitivement d'émettre.

Trente lignes téléphoniques activées sur un trajet similaire et dans les mêmes créneaux horaires sont repérées. Onze numéros de téléphone sont isolés, mais l'identification des propriétaires ne donne rien. L'enquête le dira plus tard : cette nuit-là, les deux portables de Nordahl Lelandais bornent pourtant aux mêmes endroits. Pourquoi le lien n'est-il pas fait dès le départ ? Le trentenaire apparaît-il dans le radar des enquêteurs ? Ce sera l'une des questions centrales lors du procès. D'autant qu'un autre élément aurait pu pointer vers le suspect : la présence d'une Audi A3.

Retrouver la voiture, une tâche dantesque

Sur la vidéosurveillance, ce véhicule de couleur grise, aux phares bleutés, emprunte la rue de La République alors qu'Arthur Noyer s'y trouve, puis roule en direction de la place Paul-Chevallier. Il réapparaît à un rond-point de Saint-Baldoph à 3h08. La plaque d'immatriculation est illisible, mais les enquêteurs parviennent à identifier un modèle trois portes, produit entre 2003 et 2012. Il y a plus de 2 900 voitures de ce type en Savoie. Faute de lien avec les lignes téléphoniques, la tâche pour retrouver la voiture est dantesque. Une liste resserrée au bassin chambérien est constituée et des vérifications commencent. Mais sans corps et sans mobile, les investigations patinent.

"On savait qu’il y avait une aiguille dans une botte de foin."

Une source proche de l'enquête

à franceinfo

La découverte d'un crâne humain par un promeneur le 7 septembre dans la forêt de Cruet est une piste supplémentaire. Mais elle prend du temps, en raison des analyses ADN. Les gendarmes de Chambéry ignorent encore que leurs collègues de Grenoble ont eux aussi une Audi A3 dans le viseur : celle de Nordahl Lelandais, suspect numéro 1 dans la disparition de la petite Maëlys, survenue fin août. Les 60 kilomètres qui séparent les deux instructions font perdre un temps précieux aux enquêteurs, de l'avis de Bernard Boulloud. Pour l'avocat, d'une manière générale, "il faut croiser davantage les informations" dans les enquêtes.

Une certaine amertume chez les proches

Avec le retentissement de l'affaire Maëlys, le lien finit par être fait et l'aiguille dans la botte de foin devient visible : les deux voitures, semblables en tout point, présentent le même défaut, un éclairage arrière droit défectueux. Les analyses des téléphones de Nordahl Lelandais confirment sa présence à Chambéry et Saint-Baldoph, la nuit du 11 au 12 avril, et révèlent une recherche inquiétante sur l'un des appareils, dix jours plus tard : "Décomposition d'un corps humain". Du côté des parties civiles pointe une certaine amertume : "Même si on fait la différence entre les enquêteurs et la justice, on a le sentiment qu'on ne s'est préoccupé de la disparition d'Arthur que lorsque Lelandais est entré dans le tableau", regrette sa mère, Cécile Noyer, interrogée par Le Parisien (article pour les abonnés). 

"C'est un peu facile après coup. Ce sont justement la qualité et l'exhaustivité de l'enquête Noyer qui permettent de faire le lien avec l'affaire Maëlys. Les deux affaires se nourrissent."

Une source proche du dossier

à franceinfo

Tout s'accélère en décembre. Le 18, les résultats des prélèvements effectués sur le crâne humain tombent : il s'agit bien de celui d'Arthur Noyer. Le même jour, Nordahl Lelandais, déjà mis en examen dans l'affaire Maëlys, est extrait de sa cellule et placé en garde à vue. Il nie l'intégralité des faits. A-t-il fait monter le caporal dans sa voiture ? "Je ne peux pas répondre à cette question, je n'en sais rien", balaie-t-il. Ses recherches sur la décomposition du corps humain ? Une démarche en rapport avec une émission de télé sur le sujet, assure-t-il. Les profileurs de la gendarmerie relèvent "sa froideur émotionnelle et son détachement". Malgré les preuves matérielles et les témoignages qui l'accablent, Nordahl Lelandais ne reconnaît sa responsabilité qu'après six auditions de garde à vue et deux interrogatoires devant le juge.

Des similitudes frappantes

Dans sa dernière version, livrée le 16 juillet 2019, l'ex-militaire reconnaît avoir pris le jeune homme en stop, l'avoir déposé à sa demande sur un parking à Saint-Baldoph puis s'être battu avec lui, provoqué par Arthur Noyer qui l'aurait accusé du vol de son portable. Pris de panique en constatant la mort de son passager, il l'aurait mis dans le coffre avant de déposer le corps au col du Marocaz, à une vingtaine de kilomètres de la boîte de nuit, et d'éteindre ses deux téléphones. Des aveux partiels obtenus de haute lutte, grâce aux éléments récoltés dans les deux enquêtes.

Depuis son implication dans l'affaire Maëlys, le profil de Nordahl Lelandais a pris une tout autre dimension pour les gendarmes et magistrats chargés du dossier Noyer. Celui-ci s'inscrit désormais dans un parcours criminel dont la justice française cherche encore à déterminer l'étendue. Les similitudes entre les deux affaires sont d'ailleurs frappantes, malgré les différences entre les deux victimes. Nordahl Lelandais les a fait monter dans sa voiture, de gré ou de force, leur a asséné des coups violents, involontairement dit-il, puis a dissimulé leur dépouille dans une zone difficile d'accès. Dans les deux cas, il a coupé ses portables et nie toute agression sexuelle. Quand il a fini par conduire les enquêteurs aux corps de la fillette et du caporal, les ossements retrouvés n'ont pas permis à l'autopsie de déterminer les causes exactes de la mort ni d'éventuels sévices subis. 

Les familles ne se croiseront pas au procès

Nordahl Lelandais aurait lui-même relié ces deux passages à l'acte, lors de confidences faites à un codétenu à la prison de Saint-Quentin-Fallavier. Selon ce voisin de cellule, interrogé par le juge, il aurait expliqué avoir pris de la cocaïne chez lui alors que Maëlys l'attendait dans la voiture. Il aurait ensuite eu des flashs, revoyant "la tête d'Arthur Noyer". Les expertises des psychologues et psychiatres dessinent un même scénario lors de ces nuits funestes : cet individu impulsif, intolérant à la frustration, aurait cherché à satisfaire une pulsion sexuelle. La résistance de ses victimes aurait déclenché un déchaînement de violence. Sollicitée par franceinfo, la défense de Nordahl Lelandais n'a pas souhaité s'exprimer. 

Estimant manquer d'éléments pour aller dans ce sens, la justice n'a pas retenu la qualification de viol dans l'affaire Maëlys ni celle d'assassinat dans l'affaire Noyer, au grand dam des parties civiles. Malgré leur cause commune, et leur chagrin d'avoir perdu un enfant, les deux familles ne se croiseront pas au procès. Le père de Maëlys s'en explique dans les colonnes du Progrès (article pour les abonnés) : "C'est important que chacune de nos familles ait un procès qui lui soit spécifiquement dédié."

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