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Meurtre d'Arthur Noyer : Nordahl Lelandais s'en tient à sa version des faits

Au cinquième jour des débats, l'accusé de 38 ans a continué d'évoquer une rixe qui a mal tourné, malgré des incohérences avec les constatations de l'enquête exposées au procès.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Nordahl Lelandais à la cour d'assises de la Savoie à Chambéry, le 4 mai 2021. (MARIE WILLIAMS / AFP)

La salle d'audience l'avait quitté prostré dans sa chemise noire, un mouchoir sous le nez, acquiesçant timidement aux suppliques de la grand-mère d'Arthur Noyer, qui lui a demandé de "dire la vérité". Elle l'a retrouvé les traits reposés, une chemise blanche bien repassée et prêt à répondre aux questions du président François-Xavier Manteaux. Après quatre jours de débats et de témoignages éprouvants, y compris pour l'accusé, l'interrogatoire de Nordahl Lelandais par la cour d'assises de la Savoie, vendredi 7 mai, était plus qu'attendu. "La vérité, oui, je la donnerai", avait-il promis à l'une de ses anciennes amies, entendue à la barre plus tôt dans la semaine.

Cette "vérité", il l'a donc exposée sous le feu roulant des questions du président, point par point. Au préalable, le magistrat avait pris soin de le rappeler : "L'aveu n'est qu'une preuve parmi d'autres. Aujourd'hui, mon but n'est pas de vous faire avouer, c'est d'essayer de faire en sorte qu'on comprenne si tout cela est cohérent, s'il y a des éléments d'incohérence." Faute de témoin du meurtre et d'un corps suffisamment bien conservé pour déterminer les causes de la mort du caporal de 23 ans, il faut bien faire avec la version de l'homme dans le box. Ou plutôt les versions, car il y en a eu plusieurs pendant l'instruction.

Une capacité "d'adaptation"

Lors des premiers interrogatoires, en garde à vue puis devant la juge, Nordahl Lelandas avait tout nié. Par la suite, il avait fini par reconnaître avoir pris en stop le jeune militaire durant cette nuit du 11 au 12 avril 2017 à Chambéry, puis l'avoir tué involontairement au cours d'une bagarre. Pourquoi avoir tant tardé avant de reconnaître son implication ? L'homme de 38 ans met en cause "les médias". "Beaucoup de membres de ma famille et de mes amis ont été importunés. C'était très compliqué d'exprimer quelque chose, je sortais d'une garde à vue, tout était déjà dans la presse, ça m'a bloqué." Quand le président lui objecte qu'avant l'affaire Maëlys (qui a débuté en août 2017), "aucune de [ses] déclarations n'était dans la presse", son interlocuteur en convient : "C'est compliqué de parler de choses aussi graves, c'est de la lâcheté, un manque de courage."

N'est-ce pas surtout une capacité d'"adaptation"? Dans les deux affaires, Nordahl Lelandais a nié les faits "jusqu'à ce que des éléments soient apportés par les enquêteurs qui mettent à mal [ses] dénégations", dit le président. C'est le cas, par exemple, de cette blessure à l'arcade sourcilière qu'Arthur Noyer lui aurait causée en lui assénant les premiers coups de poing. Trois de ses anciens amis ont assuré devant la cour qu'il ne présentait aucune marque au visage les jours suivant les faits. "L'arcade sourcilière, ce n'est pas vrai, confirme aujourd'hui Nordahl Lelandais. Comme j'avais tué un homme, j'ai gonflé cette attaque envers moi." 

"C'est ma réponse"

Pour le reste, il s'en tient à sa dernière version livrée pendant l'instruction et lors de la reconstitution. François-Xavier Manteaux lui rappelle alors qu'Arthur Noyer "s'est exprimé auprès de sept ou huit personnes" cette nuit-là, dont certaines entendues cette semaine, "pour dire qu'il voulait rentrer à la caserne", à Barby. "Où êtes-vous allés ?", lui demande le président. "A Saint-Baldoph." "Pourquoi êtes-vous allés à Saint-Baldoph ?", "Il me demande d'aller à Saint-Baldoph." Selon l'ancien maître-chien, le caporal voulait rejoindre dans cette commune un ami qui devait l'aider à aller régler ses comptes au sujet du vol d'un de ses deux téléphones qui lui avait été volé dans la soirée. C'est un "militaire sérieux, professionnel, il a la volonté de rentrer se coucher dans sa chambre. Comment se retrouve-t-il à Saint-Baldoph ?", insiste François-Xavier Manteaux. "Parce qu'il me l'a demandé", affirme l'accusé. "C'est votre réponse ?" "Oui, c'est ma réponse." L'agacement se fait sentir sur les bancs des parties civiles. Nordahl Lelandais n'en démord pas, malgré la logique hasardeuse de son récit : obsédé par cette histoire de téléphone, Arthur Noyer l'aurait accusé d’être à l’origine de ce vol.

"Arthur Noyer sort de la voiture, oublie son téléphone sur le siège du passager. Je sors de la voiture pour le lui rendre et il pense que je suis à l'origine du vol de son portable."

Nordahl Lelandais

devant la cour d'assises de la Savoie

D'après lui, une rixe qui tourne mal s'ensuit. Toutefois, outre le fait que le militaire n'avait aucune connaissance proche dans ce village, comme cela a été démontré à l'audience, ce jeune "jovial" et "sociable" n'avait pas l'alcool "agressif" et "n'était quasiment jamais sur son téléphone", ont répété les siens.

"Je ne savais plus quoi faire"

Malgré la fragilité de ce mobile, l'accusé s'y cramponne. La diffusion des images de vidéosurveillance montrant Arthur Noyer alcoolisé dans les rues de Chambéry ne le fait pas non plus varier. La vidéo du jeune homme avachi pendant sept à huit minutes sur des attaches à vélo était pourtant éloquente. "Cette personne, elle était vigoureuse pour porter un coup de poing ?", interroge le président. Peut-être pas à ce moment-là, mais une heure plus tard oui, répond en substance Nordahl Lelandais, reprenant la rhétorique de ses avocats.

S'il a semblé vaciller face aux témoignages d'affection de ses anciens proches et à la douleur des parties civiles, l'accusé a retrouvé l'équilibre et l'aisance du premier jour d'audience. "Laissez-moi terminer, monsieur le président", interrompt-il, réitérant, presque mot pour mot, la description de la scène qui aurait suivi la mort d'Arthur Noyer. Les "massages cardiaques", la "panique", le dépôt du corps dans le coffre, les tours en voiture pendant deux heures et demie pour savoir où le déposer. "J'aurais aimé qu'il y ait un manuel d'émotions, mais je ne savais plus quoi faire", argue-t-il.

"Vous avez quand même la présence d'esprit d'éteindre vos téléphones portables, on est là dans l'état d'esprit de quelqu'un qui panique ?"

François-Xavier Manteaux, président de la cour d'assises de la Savoie

à Nordahl Lelandais

S'agissant de la dissimulation du corps, qui a passé plusieurs mois à l'air libre, Nordahl Lelandais finit par reconnaître ses intentions. "Votre but, c'était qu'on ne le retrouve pas ?" "Oui, parce que j'avais tué un homme." "Vous vouliez échapper à vos responsabilités ?" "Oui, monsieur le président."

"Le mobile sexuel"

Bernard Boulloud, l'avocat de la famille d'Arthur Noyer, n'obtiendra pas plus. L'avocate générale non plus. Thérèse Brunisso tente pourtant, avec habileté, de recentrer l'interrogatoire sur la thèse de l'accusation : un meurtre commis dans un contexte de frustration sexuelle. La magistrate attire l'attention de l'accusé sur la coexistence, dans "un même laps de temps", de "relations hétérosexuelles, homosexuelles et d'un intérêt sexuel pour les enfants" – Nordahl Lelandais est aussi poursuivi pour des agressions sexuelles sur trois jeunes cousines. "A ce moment-là, j'étais perdu", élude-t-il. Pourquoi arpenter les rues de Chambéry peu de temps avant la disparition d'Arthur Noyer, à pied puis à bord de son Audi A3 ? "Vous cherchez quoi, vous cherchez qui ?" 

"Je ne l'ai pas contraint à monter dans mon véhicule, à l'emmener à un endroit où il ne voulait pas comme on cherche à me le faire dire."

Nordahl Lelandais

devant la cour d'assises de la Savoie

Pour l'avocate générale, c'est justement "la vraie question". "Qu'est-ce qu'il se passe quand il s'aperçoit que vous ne l'emmenez pas à la caserne ? Je n'attends pas une réponse, sinon vous l'auriez déjà donnée." Alain Jakubowicz se saisit à son tour de ce "mobile sexuel". L'avocat de la défense commence par le déconstruire, expliquant que son client, éconduit ce soir-là par deux partenaires sexuels, avait d'autres "solutions que de chercher une proie". Le pénaliste demande ensuite à Nordahl Lelandais d'éclairer les jurés sur ce "qui l'a fait passer d'un type banal à quasi-ennemi public numéro 1""Contrairement à mes amis, je n'avance pas dans ma vie", propose l'intéressé. "Expliquer aux parents d'Arthur Noyer que tu l'as tué parce que tu n'avances pas dans ta vie, c'est un peu léger", oppose son conseil.

Obtenir ses explications sur la "rupture" et "le cataclysme" de l'année 2017 tout en lui rappelant que sa version est "parfaitement cohérente" a tout d'un effet de manche. "S'il y a un mobile sexuel, ça ne change rien, c'est sans conséquence [sur la qualification pénale]", souligne malgré tout Alain Jakubowicz auprès de l'homme qu'il représente depuis près de quatre ans. "Je te repose la question : est-ce que tu as autre chose à dire ? A toi." La salle n'y croit plus. "Ce que j'ai dit, c'est ce qui s'est passé, il n'y a rien de sexuel, rien du tout." Le verdict sera rendu mercredi. Nordahl Lelandais encourt trente ans de réclusion.

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