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Violences à Marseille, l'état des lieux

Un comité interministériel se réunit à Matignon, jeudi 6 septembre, pour tenter d'endiguer les violences qui agitent la ville depuis le début de l'année.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Vingt-trois personnes ont été tuées dans des règlements de comptes depuis le début de l'année 2012 à Marseille (Bouches-du-Rhône). (THOMAS COEX / AFP)

SECURITE - Un plan Marshall ? Plus d'effectifs de police ? Plus de social ? Un comité interministériel se réunit à Matignon, jeudi 6 septembre, pour évoquer le sort de Marseille (Bouches-du-Rhône), confrontée à une forte criminalité qui alarme élus et habitants.

En cause, le trafic de stupéfiants qui envahit certains quartiers défavorisés de la ville et conduit à une montée de la violence. Depuis le début de l'année, une longue série de règlements de compte, parfois commis en pleine rue, ont frappé l'opinion. Jeudi 30 août, la sénatrice socialiste Samia Ghali en a même appelé à l'armée, sans être entendue par François Hollande. 

Quelle est la réalité de la situation à Marseille ? Et que disent les chiffres de la délinquance ? FTVi fait le point sur ce dossier qui inquiète les autorités et les habitants.

Les règlements de compte sont-ils plus nombreux ?

Chaque année, une quinzaine de règlements de compte frappent la cité phocéenne. On en compte déjà quatorze en 2012, et vingt dans le département des Bouches-du-Rhône. "Le nombre de règlements de compte s'est stabilisé depuis un demi-siècle, il n'y en a pas plus que les autres années", explique le criminologue Alain Bauer, contacté par FTVi. "Marseille est une ville qui a internationalisé, globalisé, professionnalisé les crimes liés au trafics d'hommes et de stupéfiants."

Marseille, une plaque tournante du trafic de stupéfiants ?

244 opérations de police ont été menées depuis le début de l'année, avec à la clé l'interpellation de 384 trafiquants et la saisie de 794 kg de cannabis et 12,2 kg de cocaïne. Par définition, il est difficile de mesure l'ampleur de l'économie souterraine. Nicolas Luiset et Benoît Jourdan, du bureau de France 2 à Marseille, sont allés dans ces quartiers où les habitants vivent dans une angoisse permanente, liée à ces trafics.

Auteur d'un rapport sur le trafic de drogues à Marseille, paru en mai, la sociologue Claire Duport se souvient de sa première étude de terrain : "C'était un samedi de printemps, et ce soir-là il y avait match de l'OM au stade. Après à peine deux heures d'observation, j'étais déjà perdue dans mes notes, et abasourdie : j'avais recensé plus de 200 acheteurs, une dizaine venus seuls ou par deux à pied, les autres en voiture."

Patrick Mennucci, député socialiste et maire des 1er et 7e arrondissements de Marseille, a quant à lui proposé de pénaliser les clients, au micro de France Inter, jeudi. Il souhaite éviter que ceux "qui viennent les vendredis et samedis dans ces cités comme dans un supermarché chercher leur drogue du week-end, souvent de la drogue festive, puissent le faire avec une bonne conscience".

Le visage du banditisme marseillais a-t-il changé ?

Oui, selon Alain Bauer. "A partir des années 2000, la branche corso-marseillaise est entrée en guerre de succession. Elle est peu à peu éliminée par de nouvelles figures, comme Farid Berrhama, tué en 2006, qui incarne le caïd de cité".

La préfecture des Bouches-du-Rhône, dans son bilan semestriel des sécurités dans les Bouches-du-Rhône (pdf), paru en juillet, ajoute que "dans le domaine des règlements de comptes, les auteurs de ces crimes ne sont plus systématiquement liés au grand banditisme traditionnel, mais sont plutôt issus de cités sensibles se livrant généralement des guerres sur fond de trafic de stupéfiants".

Les armes utilisées par ces groupes frappent l'opinion publique. "Aujourd'hui, les kalachnikov, plus abordables, ont remplacé la Thompson camembert (un pistolet mitrailleur). Elles proviennent pour la plupart des arsenaux albanais, mais bientôt, elles arriveront de Libye", précise Alain Bauer.

Barbara Laval, responsable du syndicat de police Synergie officiers pour les Bouches-du-Rhône, explique que "le rapport de force s'est inversé" avec la police, sur le site du Figaro, jeudi 6 septembre. "Récemment, on a dû mobiliser seize fonctionnaires de la PJ et des renforts de la BAC pour aller chercher un seul suspect dans une cité."

Les chiffres de la délinquance sont-ils mauvais ?

Oui, mais les choses vont de mieux en mieux, à en croire les chiffres officiels. La préfecture de police signale, dans son bilan semestriel, que la délinquance générale a baissé de 6,4% sur les premiers mois de l'année et la délinquance de voie publique de 2,9% à Marseille.

Dans les faits, les atteintes volontaires à l'intégrité physique ont baissé de 5% dans la ville,"soit 518 faits de moins" que sur les six premiers mois de l'année 2011. Et la préfecture se félicite d'exemples concrets. "Aucun vol à main armée n'est à déplorer dans les galeries marchandes des centres commerciaux marseillais depuis septembre 2011."

En janvier 2012, le préfet de police Alain Gardère défendait son action : "Sur les homicides et règlements de comptes, la PJ a élucidé 67% des affaires dans les Bouches-du-Rhône et 74% sur Marseille". Tous ces chiffres, pourtant, ont peu de valeur aux yeux des Marseillais. Difficile à chiffrer, le sentiment d'insécurité semble bien progresser dans la ville.

La violence, un problème limité aux quartiers nord ?

Les quartiers nord de Marseille sont réputés difficiles. Le chômage peut y atteindre 40%. Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, leur a réservé son dispositif de "Zone de sécurité prioritaire" (ZSP). Mais le député-maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, réclame que toute la ville en bénéficie. 

Car la délinquance n'est pas exclusive à ces arrondissements des quartiers nord. "Marseille est la seule grande ville en France qui a ses banlieues dans la ville. Il y a bien des quartiers nord qui concentrent d'importantes cités, mais, même dans le centre, aux abords du Vieux-Port ou dans les quartiers huppés du Prado, les lieux de pauvreté sont nombreux", explique le sociologue Laurent Mucchielli, dans un entretien accordé au quotidien Les Echos, jeudi.

De son côté, la CGT entend peser sur la réunion du comité interministériel. "Marseille est malade de son chômage, de sa précarité de masse, des bas salaires, de sa pauvreté de masse, de ses logements inadaptés et de l'insuffisance de logements sociaux."

Y a-t-il assez de policiers à Marseille ?

La question des effectifs de police fait débat. Le syndicat Unité SGP Police réclame "un renfort exceptionnel d'au moins 100 policiers" uniquement pour la ZSP et de "300 au total pour le département." Un commissaire précise à l'AFP cette insuffisance. "En Seine-Saint-Denis, qui fait 236 km2, il y en a 4 500. Marseille, pour une superficie équivalente (240 km2), n'en compte que 3 000." Jean-Claude Gaudin a lui aussi réclamé ces renforts.

Contacté par FTVi, Bruno Beschizza, secrétaire national UMP chargé de la sécurité, pense au contraire "que les effectifs de sécurité publique en général sont suffisants". Et puisque les règlements de compte sont liés à l'économie souterraine, "multiplier par deux le nombre de policiers en tenue, même dans les quartiers difficiles, ne sert à rien". Ce sont les enquêtes qu'il convient de multiplier selon lui, en renforçant la police judiciaire et le renseignement criminel.

A ce titre, Bruno Beschizza signale qu'il existe "des réserves nationales en terme d'investigation dans les offices centraux de la police judiciaire, qui dépendent de la Direction centrale de la police". Le préfet de police Alain Gardère pense également qu'il faut "redéployer de manière différente" les policiers, comme il l'affirmait le 31 août, au micro de RTL.

La vidéosurveillance peut-elle sauver la ville ?

C'est ce que semblent croire les ministres de l'Intérieur successifs. Manuel Valls a repris le dossier de la vidéosurveillance, déjà décidée sous Nicolas Sarkozy, comme le rappelle le blog BugBrother sur le site du Monde. Marseille compte actuellement 108 caméras, explique la ville sur son site.

  (MAIRIE DE MARSEILLE/DR)

Un dispositif qui devrait rapidement s'étoffer : 250 sont prévues d'ici novembre et jusqu'à 1 800 caméras à l'horizon 2014, pour un budget de 9,8 millions d'euros et 3 millions de frais de fonctionnement annuels. Au total, 40 policiers municipaux se relaieront pour surveiller les images. Mais pour les opposants au projet, cette mesure sert à combattre le sentiment d'insécurité, plutôt que l'insécurité elle-même.

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