"Abdelhakim Dekhar relève plus du traitement psychologique que de la réflexion politique"
Dans les lettres laissées par le tireur de BFMTV et "Libération", des revendications rappellent la mouvance autonome. A-t-il agi dans un but politique ? Francetv info a interrogé Christophe Bourseiller, spécialiste de l'extrême gauche.
Abdelhakim Dekhar, suspecté d'avoir grièvement blessé un photographe au siège du journal Libération, lundi, quelques jours après avoir menacé les journalistes de BFMTV, a été interpellé mercredi 20 novembre. Le tireur présumé a laissé des lettres dans lesquelles il exprime sa haine des médias, du grand capital et du système qui déshumanise les banlieues. Un discours confus, qui n'est pas sans rappeler le fond idéologique de l'affaire Rey-Maupin, pour laquelle il a été condamné en 1998 : celui du "mouvement autonome".
Christophe Bourseiller, qui connaît bien les franges de l’extrême gauche, raconte l'histoire de cette mouvance et donne son point de vue sur l'état d'esprit de cet homme.
Francetv info : Abdelhakim Dekhar a-t-il agi dans un but politique ?
Christophe Bourseiller : Très franchement, j’ai le sentiment que cet homme relève plus du traitement psychologique que de la réflexion politique. On ne connaît encore que par bribes les lettres retrouvées par les enquêteurs. Il y parle de "complot fasciste", de médias qui voudraient "faire avaler aux citoyens des mensonges à la petite cuillère"… Selon moi, tout cela relève davantage d’une référence au discours de "l'autonomie" que d'une mise en œuvre des préceptes de cette idéologie de l’ultragauche.
D'ou vient cette mouvance autonome ?
Elle est née dans l’Italie des années 70, l'un des ses principaux théoriciens s'appelait Toni Negri. C’est un mouvement issu du communisme ouvrier, et qui est déjà à l'époque très divers, tant dans ses stratégies que dans ses composantes. Disons, pour faire simple, qu’il s'agit d’aller à la rencontre des masses sans intermédiaire, d’inventer de nouvelles formes d'action en-dehors des organisations classiques ; bref, d’être autonome. C’est le refus global du système, avec le choix de la lutte armée et son lot de braquages, attentats ou sabotages.
Ce mouvement s’est ensuite développé en France et en Allemagne. Il existe encore, même s'il est ultraminoritaire aujourd’hui. On se souvient de l’affaire de Tarnac, avec le sabotage d’une caténaire de ligne TGV, ou encore de la mort de Clément Méric, où l’on a vu des manifestants reprendre des slogans autonomes.
S'il n'est pas un militant autonome, qui est Abdelhakim Dekhar ?
Tout montre qu'il s'agit d'un solitaire égaré dans la plus grande confusion. Dans l’autonomie, il y a les intellos et les cogneurs. Je dirais que nous sommes face à un cogneur, mais là s’arrête la référence. Ainsi, plutôt que d’agir dans la clandestinité, comme le feraient les acteurs connus de ce type de lutte, lui fait tout pour être vu.
A BFMTV, à Libération ou dans la rue, il se laisse tirer le portrait par des dizaines de caméras de vidéosurveillance. Autrement dit, il a tout fait pour être repéré, comme il avait déjà tout fait pour que l’on suive sa trace en 1994, en achetant un fusil à pompe à la Samaritaine avec sa carte d’identité. Abdelhakim Dekhar est un désespéré qui est passé à l’acte pour la deuxième fois. Rien de beaucoup plus.
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