Ce que l'on sait de la tentative d'assassinat du bâtonnier au tribunal de Melun
Le pronostic vital du bâtonnier des avocats de Melun, blessé par balles jeudi matin par un avocat qui a ensuite retourné l'arme contre lui, "n'est plus engagé". Francetv info revient sur la personnalité du tireur et sur les circonstances du drame.
Le tribunal de Melun (Seine-et-Marne) a été, dans la matinée du jeudi 29 octobre, le théâtre d'un drame qui a suscité l'effroi : avant de retourner l'arme contre lui, un avocat a tiré à plusieurs reprises sur le bâtonnier, qui a été grièvement blessé.
Touché alors qu'il était dans un bureau du tribunal, Henrique Vannier, 43 ans, a été transféré à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne). Après avoir subi une première intervention, son pronostic vital "n'est plus engagé", a annoncé jeudi après-midi le procureur adjoint du tribunal de grande instance de Melun, Daniel Atzenhoffer. Voici ce que l'on sait de ce drame.
Quelles sont les circonstances du drame ?
Les faits se sont déroulés aux alentours de 9h30. Le tireur, l'avocat Joseph Scipilliti, avait rendez-vous avec le bâtonnier. "On le connaît tous. Il est arrivé comme tous les matins, les yeux perdus dans le vague. C'est quelqu'un de poli, qui dit bonjour, comme ce matin encore", raconte un des agents de sécurité du tribunal.
Arrivé dans le bureau du bâtonnier, Joseph Scipilliti a "aussitôt sorti une arme de poing" et tiré à trois reprises sur lui, "au thorax, à l'épaule et à la hanche", précise le procureur adjoint du tribunal de grande instance de Melun. Il a ensuite retourné l'arme contre lui pour se suicider. Il est mort sur le coup.
Les coups de feu n'ont pas été entendus depuis la salle d'audience, les bureaux étant situés à l'opposé du bâtiment. Mais la présidente de la cour d'assises a suspendu l'audience vers 10 heures en évoquant des "événements graves". Après la stupeur, le calme est revenu au tribunal à la mi-journée. Certaines parties du bâtiment ont été bouclées pendant que des enquêteurs recueillaient des témoignages.
Qui est l'avocat qui a tiré sur le bâtonnier ?
Joseph Scipilliti, 64 ans, était inscrit au barreau de Melun, où il avait prêté serment en 1981. Selon Le Parisien, l'homme était décrit comme dépressif. Son cabinet avait été mis en liquidation récemment et il était personnellement endetté. L'avocat faisait l'objet de poursuites disciplinaires depuis octobre 2014 pour "différents manquements déontologiques", selon le procureur adjoint, qui a évoqué "des injures et des menaces à la fois verbales et écrites à l'encontre du bâtonnier". En mai dernier, le conseil régional de discipline avait prononcé à son encontre une interdiction d'exercer la profession d'avocat pendant trois ans. Le bâtonnier devait lui notifier sa suspension.
Joint par francetv info, le cabinet d'Henrique Vannier a confirmé qu'il y avait un contentieux entre le bâtonnier de Melun et l'auteur des tirs. "Une procédure disciplinaire était en cours, pour des cotisations et des charges non réglées", contre Joseph Scipilliti. Il "considérait que monsieur Vannier en faisait une affaire personnelle", ce que le cabinet de ce dernier dément.
L'avocat était proche de l'extrême droite. Il "représentait notamment des associations islamophobes, Riposte laïque et Résistance républicaine", précise Libération. L'avocat avait également publié des tribunes sur Boulevard Voltaire, site proche de l'extrême droite, fondé par Robert Ménard, le maire de Béziers.
Comment l'avocat a-t-il pu entrer dans le tribunal de Melun avec une arme ?
Comment expliquer que Joseph Scipilliti ait pu entrer dans l'enceinte du tribunal de grande instance de Melun avec une arme alors que tous les tribunaux de France sont équipés d'un dispositif de contrôle ? L'explication est simple : contrairement aux prévenus, au public ou aux journalistes, les avocats affiliés à un tribunal n'ont pas à se soumettre à un contrôle dans ce tribunal. "Les autres ont obligation de passer sous un portique de détecteur de métaux gardé en permanence par au moins un agent de sécurité, qui peut décider d'une fouille. Certains tribunaux sont également équipés d'un détecteur à rayons X, où le visiteur est invité à déposer son sac. Mais l'avocat, lui, échappe à cette règle", précise Metronews.
"Les dispositions de sécurité physique ont été prises. Maintenant, il nous faut réfléchir ensemble [sur le] fait que les avocats identifiés ne sont pas fouillés" à l'entrée des tribunaux, a expliqué Christiane Taubira, à la mi-journée. "C'est avec les instances nationales de cette profession libérale que nous allons réfléchir. Il leur revient de dire s'ils considèrent qu'en toutes circonstances, tout avocat, même identifié, doit faire l'objet d'un contrôle", a-t-elle poursuivi, en précisant qu'il s'agissait d'une "question forcément sensible".
Le tireur a-t-il justifié son acte ?
Plus de trois heures avant de commettre son geste, Joseph Scipilliti a envoyé à Pierre Cassen, le fondateur de Riposte laïque, et à Christine Tasin, la présidente de Résistance républicaine, un manifeste de 240 pages, intitulé "Journal indélicat". Une sorte de testament qui confirme son hostilité envers Henrique Vannier.
Dans ce document aux airs de pamphlet, Me Scipilliti juge sur un ton véhément que l'état de droit en France est "une imposture". Ce "système s'est incarné en l'occurrence par le nouveau bâtonnier H.V. qui, dès avant sa prise de fonction pour les années 2014-2015, avait fait connaître son intention d'en finir avec moi", écrit-il. "Il incarnait à lui seul tout ce que je combattais depuis le début de ma carrière. (...) Il était le candidat idéal", affirme-t-il encore. "Le suicide seul ne sert à rien (...). Pour susciter une prise de conscience, il faut faire un grand bruit", poursuit-il.
Dans son récit, Joseph Scipilliti évoque "ses problèmes financiers, liés à son métier, et ses soucis de santé..." précise Buzzfeed. L'homme termine l'introduction de son propos par une phrase glaçante : "Me voilà donc sur le point de satisfaire ceux qui pour justifier leur domination ou leur soumission m'ont fait une réputation de cosaque. Pour une fois, je vais vraiment manquer de délicatesse."
"Il était arrivé qu'il nous fasse part de son mal-être, de sa révolte, devant la hiérarchie judiciaire, devant l'instrumentalisation politicienne de plus en plus grave de la justice (…), de son impression d'être le vilain petit canard dans son milieu", confie le fondateur de Riposte laïque à Metronews, refusant de condamner l'acte de Joseph Scipilliti.
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