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Procès des attentats de janvier 2015 : "Je plaiderai sous le regard de ceux qui ne sont plus là", confie l'avocat de "Charlie Hebdo"

Plus de cinq ans après les faits, débute mercredi et pour un mois le procès aux assises des attentats de janvier 2015 qui ont fait 17 morts, dont douze victimes le 7 janvier lors de l'attaque contre la rédaction de "Charlie Hebdo". Maître Richard Malka, avocat du journal depuis 1992, confie ses impressions à franceinfo avant la première audience.    

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Richard Malka le 24 août 2016 à Bordeaux (GEORGES GOBET / AFP)

C'est un procès hors norme qui s'ouvre au tribunal de Paris à partir de mercredi 2 septembre. La France va se replonger dans l'horreur des attentats de janvier 2015 qui ont fait 17 morts à Paris lors des attaques contre la rédaction de Charlie Hebdo, une policière municipale à Montrouge et l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Quarante-neuf jours de débats qui s'annoncent très lourd pour les 200 parties civiles. Les chiffres donnent le vertige : 94 avocats, 90 médias accrédités, 114 témoins cités à l'audience, 14 accusés. Maître Richard Malka est l'avocat de Charlie Hebdo

franceinfo : Depuis 1992, vous êtes l'avocat de Charlie Hebdo, le journal. Comment les survivants de l'attaque meurtrière de janvier 2015 abordent-ils ce procès ?

Maître Richard Malka : Chacun le fait à sa manière, différemment. Certains ne veulent plus en entendre parler, d'autres, au contraire, vivent, revivent constamment dans cette douleur. Mais je crois qu'en tout cas, tout le monde attend ce procès avec un peu d'appréhension. Pour ma part, beaucoup de peur. Et puis, on espère aussi, en tout cas j'espère, que le bénéfice de ce procès sera que les victimes pourront s'exprimer, dire leurs émotions, leurs réflexions, laisseront un tout petit bout de leur souffrance peut-être dans la salle d'audience, et en ressortiront un tout petit peu allégés. C'est ce qu'on peut attendre de ce procès pour les victimes.

Moi je suis dans une espèce de terreur de ne pas être à la hauteur de ce moment de l'Histoire, parce que Charlie Hebdo, c'est aussi une histoire de France. L'histoire de ce journal est incroyable, de "Bal tragique à Colombey" à la publication des caricatures et évidemment le 7 janvier 2015. Un tout petit journal qui a fait cette histoire-là parce qu'il était composé d'hommes libres, et donc il faut aussi être à la hauteur de ces hommes libres. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que je ne crois pas beaucoup à l'au-delà, mais quand même, je plaiderai sous le regard virtuel, sous le regard que j'imaginerai, de ceux qui ne sont plus là et qui nous étaient si proches.

C'est un procès unique selon vous ?

Oui, c'est vraiment un procès unique. Ne serait-ce que par sa configuration. Il y a quatre salles d'audience, une centaine d'avocats, énormément de victimes, l'attention mondiale. C'est un procès qui va être filmé par ailleurs, ça aussi c'est extrêmement rare. C'est le premier procès des grands attentats terroristes de cette vague-là. Et puis c'est un procès qui est fort en symbole : la liberté d'expression, les juifs, les policiers. Donc évidemment c'est un procès historique et j'espère qu'il sera digne et qu'on sera tous à la hauteur de ce moment-là. Pour moi, c'est compliqué parce que je ne serai pas vraiment avocat, je serai autre chose aussi.

Votre plaidoirie est-elle écrite ?

Non, elle n’est pas du tout écrite. Elle tourne dans ma tête depuis quelques mois. Peut-être depuis quelques années, sans m'en rendre compte. C'est toujours comme ça que se font les plaidoiries, mais je n'en ai pas écrit le premier mot, non.

Ce procès va aussi être l'occasion de dire certaines choses. Vous dites que "la peur a gagné dans la société française". C'est là-dessus que vous allez partir ?

Moi je suis l'avocat de Charlie Hebdo et pas des victimes. On a pris cette décision dès les premiers jours, parce que ce n'est pas la même défense. Je défends Charlie Hebdo, donc le symbole que les frères Kouachi ont voulu abattre. Et ce symbole, au-delà de Charlie Hebdo, c'est la liberté de critiquer Dieu, donc la liberté d'expression, donc votre liberté à vous et la mienne et celle de tous les Français. C'est ça que je défends et donc évidemment j'ai envie de porter une fois de plus cette cause-là. Mais je la porte et j'irai évidemment au combat, comment ne pas y aller ? Ça voudrait dire que je ne vais pas au bout de l'histoire, même si j'y réfléchis et que si je veux me protéger moi-même je n'y vais pas.

Ça va évidemment remuer beaucoup de souffrance et beaucoup de douleur, mais c'est impossible de ne pas aller au bout de cette histoire-là. Et aller au bout de cette histoire-là, c'est continuer à porter la liberté de ces hommes qui, pendant des décennies, que ce soit Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, ont interrogé la société là où ça faisait mal. Et ce n'était pas facile. Quand Cabu croque l'armée et caricature l'armée à l'époque où il le fait, ce n’est pas facile. Quand Charb parle de l'islam, ce n’est pas facile. Tous les sujets qui font mal, ils s'en sont emparé et ils étaient toujours là où on ne les attendait pas. Et c'était des hommes libres. Et je veux continuer à porter ce combat parce que c'est notre combat à tous, de pouvoir rester libres.

Est-ce que cette peur l’a emporté aussi au sein de ce nouveau Charlie ? Est-ce que l’ancien Charlie est mort ? Finalement, est-ce que les terroristes ont gagné ?

Non, ils n’ont pas gagné. La meilleure preuve qu’ils n’ont pas gagné, c’est que Charlie existe, cinq ans plus tard. Et quand on sait les difficultés qui ont été les nôtres, d’une rédaction décimée, d’une organisation décimée, avec 1 000 choses à régler, et on existe encore aujourd’hui et on fait encore polémique. Je dis "on", c’est le "on" de l’avocat, mais c’est eux. Non, les terroristes n’ont pas gagné et ce journal continue à exister, à bien exister, et rien que ça c’est un motif d’espoir. Alors évidemment, on ne reconstitue pas une équipe de dessinateurs comme celle qui existait, il faut bien longtemps, mais il y a de nouveaux dessinateurs de grand talent et ils sont aussi irrévérencieux que les précédents. Et ce journal continue d’être dans l’Histoire, n’en déplaise à certains.

Est-ce que vous espérez une prise de conscience ?

Non, je n’espère pas ça du tout. Le 7 janvier n’a pas provoqué ça, le 11 janvier non plus. Je suis lucide, ce sont des mouvements de fond. Mais si on peut lancer quelques petits cailloux, changer l’état d’esprit de quelques personnes, qui elles-mêmes parleront à d’autres et passer le flambeau, ce sera déjà beaucoup. Et puis, je veux raconter une histoire, je veux raconter l’histoire de Charlie aussi. Et je veux rendre hommage à ces combattants de la liberté parce que c’en était vraiment. Libres dans leur tête, d’aucune posture, d’aucune association, d’aucun parti, d’aucune institution. Et ce n’est pas si fréquent.

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