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"J'ai rencontré Amedy Coulibaly, alias Hugo la Masse"

En 2009, l'auteur de la prise d'otages de la porte de Vincennes sort de la prison de Fleury-Mérogis. Il avait filmé ses conditions de détention. Un document diffusé par "Envoyé Spécial", sur France 2. La journaliste Agnès Vahramian l'avait rencontré.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Capture d'écran du magazine "Envoyé spécial", diffusé sur France 2 en 2009, avec Amedy Coulibaly et un de ses amis, à Grigny (Essonne).  ( CAPTURE ECRAN FRANCE 2)

Au fil des jours, les contours de la  personnalité d’Amedy Coulibaly se précisent. On découvre en particulier son vif intérêt pour les médias, la vidéo, l’image, "son" image. Il y a six ans, le magazine de France 2 Envoyé spécial est parvenu à se procurer des séquences tournées par Coulibaly lui-même. Il souhaitait alors "dénoncer ses conditions de détention" dans la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), où il a notamment été détenu de 2007 à 2009.

À l’époque, la journaliste Agnès Vahramian  avait souhaité rencontrer l’auteur des séquences. Coulibaly venait de sortir de prison. La rencontre a eu lieu à Grigny (Essonne), dans la cité de la Grande Borne. 

Francetv info : Comment vous êtes-vous procuré les images où l'on voit Amedy Coulibaly ?

Agnès Vahramian : Il y a six ans, nous sommes mis en relation avec deux jeunes de Grigny, qui sont de tout jeunes producteurs. Parce qu'ils ont un réseau de connaissances important dans la cité, ils avaient en leur possession des images tournées par des détenus de la prison de Fleury-Mérogis. Des détenus qui étaient parvenus à introduire des caméras, des téléphones portables à l'intérieur de la prison. Et tout simplement, si j'ose dire, ils se sont filmés entre eux. 

À l'époque, quand on a pris contact avec eux, ces images étaient en la possession de la maison de production depuis à peu près six mois.

Je regarde ce matériel, bien sûr, des images non floutées. Ma première impression est que ces détenus sont plutôt malins, même malicieux. Au départ, ils ont eu une démarche un peu improvisée de se filmer. Puis ils ont compris qu'ils pouvaient aller plus loin. Au fil du temps, ils ont continué à passer leur petite caméra de cellule en cellule.  

Très précisément, dans une des cellules, il y a donc celui que l'on connaît aujourd'hui sous le nom d'Amedy Coulibaly. Son codétenu, dans le film, on l'appelle "Ficelle". En fait, nous leur avons donné des surnoms. Amedy Coulibaly sera "Hugo la Masse", parce qu'il est très baraqué, massif. "Ficelle" s'appelle Ficelle parce que c'est déjà son surnom. Au total, ils filment dans trois cellules. 

Mais comment ont-ils obtenu cette caméra ?

Tout a commencé parce que Amedy Coulibaly a regardé la télé en détention. Il est tombé sur une émission de téléachat. Et il a vu la présentation de "la plus petite caméra du monde". Elle était minuscule. Il a dit à son codétenu : "Voilà, c'est ça qu'il nous faut, faut qu'on trouve ce matériel, il faut qu'on le fasse rentrer !"

Et comme Amedy Coulibaly est quelqu'un qui a déjà fait beaucoup de détention, il connaît toutes les règles de la prison, et toutes les failles possibles. Il est plutôt du côté des forts, pas des faibles. Donc il sait comment faire entrer tout ce matériel. C'est lui qui est à l'initiative de cette opération. Lui et Ficelle dominent leur quartier de détenus, ils sont à la manœuvre. 

A.Coulibaly dans la cour de Fleury-Merogis (Envoyé Spécial /France 2)

Et que montrent ces séquences vidéo ?

Ils se filment entre eux dans leur quotidien. On voit beaucoup Amedy Coulibaly jouer à la PlayStation, cela avait l'air d'être l'un de ses passe-temps en prison. On les voit "faire du yoyo", c'est-à-dire installer des systèmes de cordes bricolées pour faire passer des vivres, des caméras, des téléphones, des cigarettes, de cellule en cellule. À l'époque, et encore aujourd'hui, il y avait tout un débat sur les conditions de détention. Par exemple sur les toilettes complètement dégradées, les douches dans lesquelles il faut coincer des fourchettes pour pouvoir avoir de l'eau... Ils nous montrent aussi la violence dans les cours et les préaux de promenade. 

En particulier, il y a une scène où Coulibaly fait des tractions, suspendu au toit du préau. Je pense qu'il le fait pour impressionner les autres, évidemment, en prison, ça compte ! Ils filment aussi une autre scène, d'une extrême violence. Des détenus en attirent un autre, qui est présenté comme un pointeur (un coupable d'agressions sexuelles). Ils le font venir sous le préau et le tabassent. On n'aura plus jamais de nouvelles de lui.

Ils filment tout leur quotidien. La façon dont ils se construisent des petits réchauds pour faire leur popotte, leur stock de nourriture. Ils filment aussi la porte entrebâillée et les échanges avec les gardiens. Ils montrent comment ces derniers leur allument des joints. Ils sont extrêmement culottés de faire ça. À l'époque, c'est un document inédit, complètement surréaliste dans ce qu'il révèle des conditions de détention et de la vétusté de Fleury-Mérogis. 

Mais vous avez rencontré les auteurs de ces images, et donc Coulibaly lui-même ? 

Quand nous récupérons ces images, elles ont été tournées sur plusieurs mois, voire sur un an. Et elles sont sorties progressivement. Les auteurs des prises de vues sont eux aussi déjà sortis de prison. Je demande à les rencontrer, d'abord pour être sûre que j'ai bien affaire aux vrais détenus qui ont filmé tout ça. Et j'ai aussi besoin de les interviewer plus longuement, de leur poser des questions de journaliste puisque là, on est face à un document brut. Je dois en savoir davantage pour, justement, faire du décryptage et prendre du recul par rapport à ces images.

Donc on me donne rendez-vous à Grigny, à la cité de la Grande Borne. C'était un après-midi et, là, je rencontre celui dont, à l'époque, je ne sais pas qu'il s'appelle Coulibaly. Pour moi, il est "Hugo la Masse". D'ailleurs, on ne veut pas me donner son identité exacte. 

 

A. Coulibaly à la Grande Borne à Grigny. (Envoyé Spécial / France 2.)

Et comment se passe l'entretien ?

On est en avril 2009. Je lui pose beaucoup de questions. Je le reconnais, bien sûr. Je fais le rapprochement avec la vidéo. Je rencontre aussi son codétenu. L'interview dure une heure et demie. Coulibaly m'apparaît comme un garçon très accro à la PlayStation, mais aussi comme quelqu'un qui a beaucoup de colère en lui. Il est dans le combat, très revendicatif. D'ailleurs, dans les vidéos, il dit : "C'est normal, ne soyez pas étonnés si, quand on sort, on n'est pas réinsérables." 

À l'époque, j'ai en face de moi un petit braqueur qui a fait beaucoup de prison. Quand je le rencontre, on me dit qu'il a trouvé un job, qu'il travaille, qu'il cherche à s'en sortir. 

Je suis restée impressionnée physiquement. Il donnait le sentiment d'avoir le dessus, la maîtrise des choses et de l'équipe de la prison. 

Parle-t-il d'une dimension religieuse ? Est-ce qu'il évoque l'islam ?

Jamais. Il n'en parle pas et nous n'en parlons pas. Ce n'était pas vraiment le sujet d'alors. Je suis restée en contact avec les producteurs de Grigny. On en a reparlé. Ensuite, ils ont rendu les rushes aux détenus. Les images ne leur ont appartenu que le temps de la fabrication du reportage. Les vidéos ont été rendues à Coulibaly, puisque c'est à lui qu'elles appartenaient. 

Mais que savaient les proches du devenir des détenus et donc de Coulibaly ?

En fait, ils avaient un projet. Ficelle, lui, voulait montrer ce film et ces images dans les mairies, dans les écoles, dans les communes. Pour dire : "Voilà les petits gars, pas la peine d'aller en prison, regardez comment vous allez y vivre !" C'était une sorte d'opération de prévention. J'étais un peu étonnée que ces détenus-là se lancent dans cette aventure, mais je me suis dit : "Pourquoi pas ?" En revanche, Coulibaly a pris un autre chemin.

Mais dernièrement, avant les attaques, avez-vous eu des nouvelles?

Les échos que j'ai eus sont extrêmement formels : tous ceux qui ont connu Amedy Coulibaly n'avaient aucune idée de sa radicalisation. Il ne leur a jamais dit, en tout cas pas à ceux de Grigny. Certains l'ont vu il y a quinze jours, et il ne leur a jamais parlé d'islam radical, il ne leur a jamais parlé des juifs. Ils n'ont d'ailleurs même pas vu sa femme. A l'évidence, il "cloisonnait".

Et pourtant, ceux-là l'ont croisé, recroisé, vu plusieurs fois ces dernières années, et ils ne soupçonnaient rien. On a aussi le sentiment que Coulibaly n'était pas en contact régulier avec sa famille, ses proches à Grigny en témoignent. Ils disent qu'il était assez fâché avec sa famille, qu'il leur donnait des nouvelles de façon épisodique. Quand il passait à Grigny, il ne témoignait d'aucune velléité de violence, si ce n'est qu'il était resté en colère, m'ont dit ses amis. À leurs yeux, il n'avait pas trouvé son combat, si ce n'est qu'il avait un passé de braqueur et que cela l'avait acclimaté à la violence. En tout cas, devant eux, il n'a jamais témoigné des signes évidents de radicalisation islamique.

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