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Cybersécurité : "Il faut surveiller plus intelligemment"

Loin de prôner une surenchère de la surveillance, comme David Cameron, l'Observatoire des libertés et du numérique invite à plus de discernement. Entretien avec Maryse Artiguelong, qui coordonne cet organisme. 

Article rédigé par Gaël Cogné - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Après les attentats de Paris, début janvier 2015, la communauté internationale se mobilise pour surveiller plus efficacement l'activité des jihadistes sur internet. (BARISONAL / E+ / GETTYIMAGES)

Comment empêcher de futurs attentats ? Après les attaques de Paris, l'Europe est inquiète. Au centre des préoccupations, le contrôle d'internet, outil de communication des terroristes. Jeudi 15 et vendredi 16 janvier, le Premier ministre britannique David Cameron rencontrait le président américain Barack Obama pour parler de la lutte contre le terrorisme. Sur la table, la question de la cybersécurité.

Mais cette volonté de contrôle ne menace-t-elle pas nos libertés publiques ? Francetv info a interrogé Maryse Artiguelong, qui coordonne l'Observatoire des libertés et du numérique (OLN*).

Francetv info : Après les attentats de Paris, Barack Obama et David Cameron s'apprêtent à faire des annonces sur la cybersécurité. Le Premier ministre britannique a déjà fait savoir qu'il souhaitait que le président américain fasse pression sur les deux grands réseaux sociaux, Facebook et Twitter, pour qu'ils coopèrent davantage avec les services de renseignement. Qu'en pensez-vous ?

Maryse Artiguelong : J'en pense du mal. Les révélations d'Edward Snowden [sur la campagne d'espionnage massif conduite par la NSA] nous ont montré que les Etats-Unis ont déjà fait assez de dégâts comme cela. Washington était en train de corriger le tir. Ce n'est pas le moment de renforcer les moyens de surveillance.

David Cameron souhaite que ses services de renseignement puissent obtenir les données de leurs utilisateurs. En d'autres termes, sur de simples soupçons, ils pourraient connaître tout ce qu'un utilisateur a posté sur Facebook ou Twitter et ses usages. Nous qui dénonçons déjà une surveillance généralisée...

Pensez-vous qu'ils vont plier ?

Les dirigeants de Facebook et de Twitter sont loin de l'Europe. Ils n'étaient pas invités à la manifestation du 11 janvier à Paris et leurs intérêts sont commerciaux. Ils sont moins sensibles à la pression des menaces terroristes. Il faut aussi se souvenir que Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, avait vivement critiqué le gouvernement des Etats-Unis lors de l'affaire Snowden. Reste à voir quelle attitude aura Barack Obama. Mais je crois que les géants d'internet auront des arguments.

Cette surveillance d'internet n'est-elle pas nécessaire ?

J'ai entendu Alain Bauer [professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers] sur France Inter parler des attentats d'Amedy Coulibaly et des frères Kouachi. Il expliquait qu'au niveau de la surveillance, en France, il y avait suffisamment d'outils et que la répression dans ce dossier avait été efficace. En clair, les terroristes ont été rapidement repérés et mis hors d'état de nuire. La police a fait ce qu'elle devait faire.

Mais, entre les deux, entre le repérage et l'arrestation, il y a une faille. Après l'affaire Merah, comment la police a-t-elle pu lever sa surveillance sur Amedy Coulibaly ? On voit des gens qui sont prêts à faire le jihad se ranger subitement et on arrête de les suivre ? C'est un problème de renseignement humain, un problème d'interprétation des services de renseignement. Cela ne sert à rien de tout surveiller si on n'est pas capable d'interpréter. Nous prônons une surveillance plus ciblée. Il y a manifestement eu un problème de ciblage. Il faut surveiller plus intelligemment. Faire plus de suivi.

De manière plus générale, redoutez-vous que l'émotion suscitée par ces attentats entraîne une réduction des libertés publiques ?

Oui je le crains. Il y a notamment de gros risques d'atteinte à la liberté d'expression sur internet. Les condamnations lors des comparutions immédiates pour apologie du terrorisme sont aberrantes.

Quand on voit que quelqu'un qui écrit sur Facebook ou déclare "Je suis Kouachi", alors qu'il a une déficience mentale ou est sous l'emprise de l'alcool, se retrouve condamné à six mois de prison ferme ! Ce n'est pas parce qu'il va passer six mois en prison qu'il va devenir plus intelligent. Nous nous inquiétons que les juges ne comprennent pas que la prison fabrique des délinquants ou des terroristes.

De plus, on voit que la pression s'est accentuée sur le Parlement européen pour qu'il vote les accords qui obligent les compagnies à transmettre aux autorités le PNR (Passenger name record, ou fichier des passagers aériens).Nous y sommes opposés. C'est un fichage généralisé sans le consentement des voyageurs. Personne n'explique qu'on va conserver des données comme le moyen de paiement, les voyageurs accompagnants, le repas ou un handicap (ce qui peut permettre de connaître la religion ou l'état de santé d'un voyageur).

* L'ONL regroupe le Cecil, Creis-Terminal, la Ligue des droits de l'homme, la Quadrature du net, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature.

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