Attentat contre "Charlie Hebdo" : la menace jihadiste est-elle plus importante qu'avant ?
Plusieurs experts estiment que l'attaque qui a visé l'hebdomadaire satirique risque de faire des émules, dans un contexte où la menace terroriste qui plane sur la France est déjà très élevée.
"Il faut être lucide (...). Nous faisons face à une menace terroriste sans précédent. Elle est à la fois extérieure et intérieure, a expliqué le Premier ministre, Manuel Valls, sur RTL, jeudi 8 janvier, au lendemain de l'attentat qui a frappé Charlie Hebdo. Les services de police et de justice ont démantelé de nombreux groupes, ont contrarié des projets d'attentats, a poursuivi le chef du gouvernement (...). La difficulté devant laquelle sont placés nos services, c'est le nombre d'individus qui représentent un danger."
La menace terroriste qui pèse sur la France est connue, notamment en raison de ses engagements contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Mali ou contre l'organisation Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie. Mais l'attaque sanglante contre l'hebdomadaire satirique, à Paris, fait redouter une multiplication de ce type d'attentats.
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Jeudi matin, une policière municipale a été tuée et un agent de voirie grièvement blessé dans une fusillade qui a éclaté au sud de Paris, à Montrouge (Hauts-de-Seine). Même s'il n'y a, à ce stade, pas de lien établi avec l'attentat commis la veille, la section antiterroriste du parquet de Paris s'est saisie de l'enquête, "au vu du contexte actuel".
"Les terroristes les plus durs mettent la pression sur la France"
Depuis la montée en puissance de l'Etat islamique, les services de renseignements occidentaux ont mis en garde contre le retour en Europe des milliers de jihadistes ayant rejoint les rangs de l'EI. La France est particulièrement touchée, puisque plus de 1 000 Français seraient partis faire le jihad. "Plusieurs attentats terroristes [ont] été déjoués ces dernières semaines, nous savions que nous étions menacés, comme d'ailleurs d'autres pays dans le monde", a expliqué François Hollande, mercredi, après l'attentat contre Charlie Hebdo.
Mohamed Merah à Toulouse et à Montauban en mars 2012, Mehdi Nemmouche arrêté à Marseille en mai 2014 à Marseille après l'attaque du musée juif de Bruxelles, l'attaque contre le commissariat de Joué-lès-Tours fin décembre 2014, l'attentat contre Charlie Hebdo et peut-être la fusillade de Montrouge en janvier 2015... Même si on ne peut pas faire le lien entre ces différents actes, ils n'étonnent pas un expert antiterroriste du ministère de l'Intérieur, interrogé par Le Figaro. "L'accélération des affaires tragiques qui nous frappent témoigne tout simplement que la pression mise sur la France par les islamistes les plus durs trouve un écho au sein même de l'hexagone. Les atteintes contre la communauté nationale ne sont peut-être pas terminées…"
"Cette attaque [contre Charlie Hebdo] a été commise pour provoquer une onde de choc sur la scène internationale", affirme, auprès de l'AFP, Lina Khatib, directrice du centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Cet assaut "'spectaculaire' visait à démontrer l'influence des mouvances jihadistes en Europe", ajoute Lina Khatib.
Les auteurs des attentats ont invoqué "la vengeance du prophète" après la tuerie et ils ont montré à quel point la France peut être vulnérable. "Les attaquants ont choisi une zone centrale à Paris, qui est très symbolique", explique Lina Khatib. Sur les réseaux sociaux, des sympathisants de l'Etat islamique et d'Al-Qaïda se sont d'ailleurs félicités de l'attaque, en utilisant des mots-clés en arabe comme "Paris brûle" ou encore "l'invasion de Paris".
L'attaque de "Charlie" peut servir de propagande
Que l'attaque soit motivée strictement par l'affaire des caricatures de Mahomet (qui avaient indigné le monde musulman en 2006 et 2007) ou par une volonté de "punir" des pays en guerre contre les jihadistes, elle risque de servir la propagande des mouvances jihadistes. Et, en conséquence, d'attirer de nouvelles recrues, selon Max Abrahms, un expert en terrorisme basé aux Etats-Unis, également interrogé par l'AFP.
"Cette attaque sera considérée comme un succès. Et lorsque des groupes terroristes donnent l'impression d'être gagnants, il est plus facile pour eux de recruter", explique-t-il. L'Etat islamique en tirera bénéfice, même si le groupe jihadiste n'est pas directement responsable de l'attaque, souligne ce professeur en sciences politiques. Car "ce qui a vraiment permis à l'EI d'avoir une aussi large base, ce sont ses 'succès' en termes de conquête de territoire et de massacre d'un grand nombre de personnes". Un tel contexte risque donc de créer des émules. Un point de vue partagé par Anne Giudicelli, consultante et fondatrice de Terr(o)risc : "Il y a aussi un risque d'émulation parce cette opération est réussie et parce qu'elle a une résonance importante", rapporte Reuters.
Dounia Bouzar, anthropologue et directrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam, met aussi en garde contre le risque de mimétisme. "Après cet acte terroriste barbare [commis contre Charlie Hebdo], tous les déséquilibrés se sentent tout-puissants, en mission", dit-elle à 20 Minutes. Et elle ajoute : "Il y a maintenant un risque de voir de petites cellules dormantes se réveiller, mais aussi de voir des déséquilibrés se mettre eux aussi à attaquer des gens et à tuer, sans compter les fascistes qui pourraient avoir envie d’attaquer tout ce qui ressemble à l’idée qu’ils se font d’un musulman…"
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