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Attentat à Arras : mes élèves "m'ont demandé si j'avais peur", témoigne Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Un temps d'échanges entre enseignants était organisé ce lundi, trois jours après l'attentat à Arras qui a coûté la vie à un professeur. "J'ai été frappé par la colère qui s'exprime", souligne la secrétaire générale du Snes-FSU.
Article rédigé par franceinfo
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Un professeur a été tué vendredi 13 octobre à Arras, par un ancien élève radicalisé. (DENIS CHARLET / AFP)

Mes élèves "m'ont demandé si j'avais peur", a témoigné Sophie Vénétitay secrétaire général Snes-FSU et professeur de sciences économiques et sociales, lundi 16 octobre sur franceinfo. La syndicaliste a échangé avec sa classe du lycée Rosa Parks à Montgeron, en Essonne, dès samedi 14 octobre, au lendemain de l'attaque terroriste à Arras.

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"Mes élèves m'ont demandé pourquoi un professeur, pourquoi l'école ? Si les policiers qui étaient devant le lycée allaient rester longtemps", raconte-t-elle. Sophie Vénétitay a également échangé avec ses collègues lundi 16 octobre. "C'était vraiment indispensable", dit-elle. "J'ai été très frappée par la colère qui s'exprime", car il y a le sentiment "qu'il n'y a pas eu les actes concrets pour nous protéger, pour protéger l'école de la République", explique-t-elle. "Là-dessus, Emmanuel Macron a une responsabilité immense", affirme-t-elle.

franceinfo : Comment s'est passé le temps d'échanges entre enseignants ce matin ?

Sophie Vénétitay : Il a fallu qu'on argumente beaucoup auprès du ministre pour l'avoir. Il a fini par entendre cette nécessité. Je sors effectivement de ces deux heures avec mes collègues. Il s'est exprimé beaucoup de choses, de l'émotion, de la peur, de la colère aussi, de voir que trois ans après, un professeur pouvait encore mourir d'enseigner. Il y a eu aussi un sentiment d'échec des collègues qui se posent la question de ce qu'on a fait ou pas bien fait. C'était vraiment indispensable, d'autant plus qu'on s'est aussi préparés à ce qu'on pourrait répondre à nos élèves.

Vous avez enseigné samedi matin le lendemain matin du drame. Qu'avez-vous dit à vos élèves ?

Dans nos échanges ce matin entre enseignants, on s'est beaucoup appuyé sur l'expérience de celles et ceux qui avaient cours samedi. J'ai vu mes élèves à 8h30 qui étaient un peu interloqués par l'émotion qui était la mienne. Ensuite, ils nous ont posé des questions sur ce qui s'était passé. Mes élèves m'ont demandé pourquoi un professeur, pourquoi l'école ? Ils m'ont demandé si j'avais peur. Ils m'ont demandé si les policiers qui étaient devant le lycée allaient rester longtemps. Il y a ces questions un peu à chaud et puis après, il y aura d'autres questions auxquelles il faudra répondre entre collègues.

Dans mon lycée, la question qui est beaucoup revenue est : pourquoi sommes-nous une cible ?

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

à franceinfo

Comment gère-t-on sa propre angoisse de professeur tout en essayant de rassurer ses élèves ?

C'est extrêmement compliqué. On sait que cette matinée n'est pas simple, mais on sait aussi qu'on peut être des repères pour les élèves qui nous regardent, qui nous scrutent, qui nous attendent et que finalement, ce qu'on va faire ce matin, c'est jouer notre rôle d'adulte, jouer notre rôle de professeur. C'est un jour où ce n'est pas facile de le faire. Mais quelque part, plus que jamais, on va le faire pour aussi faire vivre le métier qu'on a choisi.

Dans un texte à l'adresse des élèves et des enseignants. Emmanuel Macron dit que "l'école restera un rempart contre l'obscurantisme" et à la haine le chef de l'État oppose "inextinguible soif d'enseigner". Avez-vous encore cette soif d'enseigner aujourd'hui ?

Oui, bien sûr. Plus que jamais, j'ai cette soif d'enseigner comme tous mes collègues, parce que j'ai choisi ce métier pour transmettre des choses aux élèves, mais aussi pour les faire grandir dans l'école publique. Quand on voit que les obscurantismes de tout bord et que notamment le terrorisme islamiste, cherchent finalement à faire tomber cet idéal d'école, comme tous mes collègues, plus que jamais j'ai envie de faire vivre cet idéal. Le texte d'Emmanuel Macron a des mots très forts, mais il ne faudra pas que des mots. L'école de la République n'est pas seulement un idéal à convoquer ponctuellement, c'est quelque chose à faire vivre au quotidien.

Emmanuel Macron souhaite passer au peigne fin le fichier des personnes radicalisées pour vérifier qu'il n'y ait pas eu de failles. C'est une réponse que vous attendiez ?

Il y a une réponse comme celle-ci qui se construit par les ministres concernés, c'est une évidence. Il va falloir protéger les écoles, protéger les personnels. Ça aussi, c'est une évidence. Mais ensuite, il va aussi falloir réfléchir à tout le travail éducatif qu'on peut faire, la façon dont on fait société ensemble. L'école a un rôle à jouer, c'est incontestable, mais elle ne pourra pas le faire toute seule. Finalement, dans la mission qui est la nôtre, qui est de faire grandir les élèves, de construire la société de demain et de construire l'avenir, on va jouer notre rôle, on sera au rendez-vous, mais il faut aussi que les politiques soient au rendez-vous dans une réponse qui est globale, qui intègre la dimension sécuritaire et protectrice, mais pas seulement.

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Comment peut-on protéger tous les établissements aujourd'hui ?

Il est évident qu'on ne peut pas transformer les établissements scolaires en bunkers. Ce ne serait pas la solution. Il va falloir trouver le bon équilibre entre la sécurisation indispensable et le fait que les collèges et les lycées doivent rester des lieux de vie. Il va certainement falloir un peu plus d'adultes, du personnel éducatif, à l'entrée des établissements. Souvent, les agents ou les surveillants sont trop souvent seuls. On a eu tendance ces dernières années à remplacer l'humain par des caméras ou des portiques. Ce n'est pas la solution.

Mais on va vous opposer les problèmes de moyens...

Ce sont des problèmes récurrents. Quand Emmanuel Macron fait part de son émotion et de sa volonté de faire vivre l'école de la République, on va lui dire: il faut passer aux actes. Moi, j'ai été très frappée ce week-end et encore ce matin par la colère qui s'exprime chez les collègues. C'est une colère qu'on ne retrouvait pas forcément il y a trois ans, après l'assassinat de Samuel Paty. Cette colère est liée aussi au fait qu'on a cette terrible impression que ça se reproduit et qu'il n'y a pas eu les actes concrets pour nous protéger, pour protéger l'école de la République, pour la faire vivre tout simplement. Emmanuel Macron a une responsabilité immense.

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