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Infirmière tuée au CHU de Reims : derrière le drame, la crise profonde de la psychiatrie en France

Plusieurs acteurs du monde hospitalier voient dans l'attaque au couteau perpétrée mardi une nouvelle illustration des difficultés de la psychiatrie française, un secteur plongé dans une profonde crise depuis plusieurs décennies.
Article rédigé par franceinfo
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Une fleur déposée au CHU de Reims (Marne), le 23 mai 2023. (PHILIPPE PEYRE / FRANCE BLEU CHAMPAGNE / MAXPPP)

La psychiatrie est le "parent pauvre" du système de santé français. Cette alerte, lancée par les politiques et les soignants depuis des années, est ravivée par l'agression mortelle d'une infirmière à l'hôpital de Reims, lundi 22 mai. Le suspect, un homme de 59 ans, souffre de schizophrénie et de paranoïa et il était suivi depuis des décennies, selon le procureur en charge de l'enquête. Même s'il n'est pas possible à ce stade de déterminer quel rôle précis a joué la pathologie dans le passage à l'acte, plusieurs acteurs du monde de la psychiatrie voient dans ce drame une nouvelle illustration des difficultés de ce secteur.

>> A l'hôpital, "les agressions sont quotidiennes", témoignent des soignants

"C'est un événement dramatique qui reste exceptionnel, mais c'est le signe de tous les dysfonctionnements d'une chaîne de prise en charge en France", estime sur franceinfo Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne). Une analyse similaire est faite côté syndical. L'attaque meurtrière au CHU de Reims "repose immédiatement la question de la situation catastrophique de la prise en charge des malades mentaux dans nos établissements psychiatriques", a réagi dès mardi Force ouvrière Santé dans un communiqué.

"Un gros problème de suivi de ces patients"

De l'aveu même du ministre de la Santé, François Braun, devant les députés mardi, "notre psychiatrie, comme les urgences, comme les maternités, comme notre système de santé, cela fait des années qu'elle est en difficulté, nous le savons". Depuis des années, les organisations de psychiatres hospitaliers déplorent le "délabrement avancé" du secteur et le "grand mépris du gouvernement". Quatre syndicats ont même appelé en novembre dernier à la grève pour dénoncer les fermetures de lits. "Nous nous mobilisons depuis 2003 pour alerter sur cette crise très profonde de la psychiatrie, qui se perpétue depuis trente ans", insiste auprès de franceinfo le psychiatre rémois Patrick Chemla, membre du conseil national de l'Union syndicale de la psychiatrie. "Ce drame nous conforte dans l'idée qu'il faut continuer à nous mobiliser." 

La psychiatrie est confrontée à des problèmes communs à tout l'hôpital, mais amplifiés par les spécificités des troubles mentaux. Ces derniers nécessitent souvent un suivi de longue haleine et les traitements médicamenteux doivent, la majeure partie du temps, être accompagnés de psychothérapies, qui supposent de longues consultations. "Il y a un gros problème de suivi de ces patients", pointe ainsi Christophe Prudhomme, porte-parole de l'association des médecins urgentistes de France (Amuf), auprès du site actu.fr. Selon lui, "de nombreuses violences sont liées aux patients psychiatriques qui sont accueillis dans des locaux inadaptés. Au Samu 93, où je travaille, quand un patient décompense, on ne sait pas quoi faire. On le maintient, on lui fait une piqûre et on l'envoie aux urgences. Et après, c'est zéro suivi", illustre l'urgentiste de Seine-Saint-Denis.

Toujours moins de lits d'hospitalisation

Pour répondre à ces lourdes prises en charge, les moyens de l'hôpital public apparaissent inadaptés. Pour de nombreux patients, en particulier les enfants et adolescents, trouver un rendez-vous chez un spécialiste peut prendre plusieurs mois. Alors que les besoins de soins sont plus importants depuis la crise sanitaire du Covid-19, le nombre de lits d'hospitalisation en psychiatrie continue de diminuer, année après année (de 0,9% en 2021, après une baisse de 1,2% en 2020), selon un rapport publié en septembre 2021 par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation des statistiques (Drees). "En région parisienne, en ce moment, on a 15% des lits qui sont fermés", dénombre le psychiatre Antoine Pelissolo. Les patients dont l'état de santé nécessite une hospitalisation sont donc renvoyés chez eux ou attendent "pendant des jours et des jours aux urgences".

Ces conditions peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les patients hospitalisés. En 2021, plusieurs dizaines de psychiatres dénonçaient, dans Le Parisien, un recours excessif à l'enfermement, y voyant la "honte" de leur discipline à cause d'une pression excessive sur les soignants. "Il n'y a jamais eu autant de contentions, de placements en centres d'isolement, car les jeunes qui arrivent ne sont pas correctement formés, regrette Patrick Chemla. Les internes en psychiatrie n'ont plus de formation en psychothérapie et, côté infirmier, la spécialité psychiatrique a été supprimée."

Une spécialité boudée par les futurs praticiens

Autre point commun avec l'hôpital : le manque de personnel. Ces pénuries concerneraient ainsi "cinq établissements hospitaliers sur six", alertaient les syndicats de psychiatres lors de leur appel à la grève, en novembre dernier. "Environ 30% des postes de praticiens hospitaliers ne sont actuellement pas pourvus", pointait pour sa part Isabelle Secret-Bobolakis, secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie (FFP), sur franceinfo, en mars 2022. Cette situation risque de durer, car la spécialité est boudée par les futurs praticiens. En 2022, la psychiatrie stagnait toujours à la 40e place, sur 44, des spécialités choisies par les étudiants en médecine, selon les statistiques des épreuves classantes nationales (ECN).

Connue de longue date, la crise de la psychiatrie est ainsi revenue sur le terrain politique. "On a un hôpital qui va mal, qui est déjà pauvre, et à l'intérieur de ça, la psychiatrie est le parent pauvre dans l'hôpital", a fustigé mercredi le député La France insoumise François Ruffin, au micro d'Europe 1, appelant à plus "d'humanité". A droite, des voix s'élèvent également pour dénoncer le manque de moyens. Le président du parti Les Républicains, Eric Ciotti, a appelé dans un communiqué publié sur Twitter à un "grand plan psychiatrie". 

Toutefois, "ce n'est pas en claquant des doigts que nous aurons plus de médecins demain, il faudra attendre dix ans", a déjà prévenu le ministre de la Santé à l'Assemblée nationale. "On va vivre des moments tendus en termes de psychiatrie" ces prochaines années, a également admis mardi sur RTL Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) et maire de Reims. "Comment une personne qui a été jugée irresponsable au vu de son état mental se retrouve dans la nature, en toute liberté, avec une rupture, peut-être, de traitement ? La solution, je ne la connais pas, c'est toute une chaîne qu'il faut revoir", a conclu l'édile. 

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