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Ce qu'il faut savoir de l'affaire Sophie Le Tan, alors que le procès de Jean-Marc Reiser s'ouvre devant la cour d'assises de Strasbourg

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Un portrait de Sophie Le Tan porté lors d'une manifestation devant le tribunal judiciaire de Strasbourg (Bas-Rhin), le 18 octobre 2018. (ELYXANDRO CEGARRA / NURPHOTO / AFP)

Près de quatre ans après la mort de l'étudiante strasbourgeoise de 20 ans, le procès du principal suspect, âgé de 62 ans, s'ouvre lundi devant les assises du Bas-Rhin.

Le procès s'annonce "électrique", prévient l'avocat de l'accusé. Jean-Marc Reiser, qui a avoué le meurtre de Sophie Le Tan, en septembre 2018 à Schiltigheim, est jugé aux assises du Bas-Rhin, du lundi 27 juin au mardi 5 juillet, pour "assassinat en récidive criminelle". Voici les principaux éléments à connaître de cette affaire judiciaire.

Une jeune étudiante qui disparaît lors d'une visite d'appartement

Le 7 septembre 2018, Sophie Le Tan, originaire de Cernay (Haut-Rhin), a 20 ans. Cette jeune étudiante en économie et gestion occupe, neuf heures par semaine, un emploi de réceptionniste de nuit dans un hôtel strasbourgeois. Le matin de son anniversaire, elle quitte son travail à 7h15 et se rend à Schiltigheim, commune de la banlieue nord de Strasbourg, pour sa toute première visite d'appartement.

Cette cadette d'une fratrie de trois enfants, qui habite dans un logement du Crous, cherche une location pour la rentrée universitaire qui approche. La jeune femme est tombée sur une annonce d'un particulier sur le site Leboncoin. La publication, sans photo, ne comporte qu'une courte description d'appartement et une vague adresse. Après sa visite, Sophie devait prendre le train direction Mulhouse pour y fêter son anniversaire au restaurant, en famille. Elle n'en aura jamais l'occasion. 

"Sophie Le Tan était une jeune fille adorée de tous. Elle était une étudiante sérieuse, courageuse, qui a eu le malheur de tomber dans un piège."

Gérard Welzer, avocat de la famille Le Tan

à franceinfo

La jeune femme ne donne plus aucun signe de vie. Son téléphone, qui "bornait"  depuis 10h10 dans le secteur de l'appartement visité, cesse d'émettre à 14h49. Le lendemain, le père de Sophie Le Tan signale la disparition de sa fille à la police. Une information judiciaire pour "enlèvement" et "séquestration" est ouverte cinq jours plus tard.

Mobilisée pour tenter de retrouver Sophie, la famille Le Tan poste un appel à témoignages sur Facebook, qui s'avère déterminant pour la suite de l'enquête. Deux étudiantes y répondent en rapportant avoir voulu visiter un logement dans le même quartier que Sophie. Mais le loueur avait cessé de répondre aux jeunes femmes après que celles-ci s'étaient rendues à l'adresse indiquée. Contrairement à Sophie, les potentielles locataires étaient venues accompagnées. 

Un suspect aux lourds antécédents judiciaires rapidement identifié

Les enquêteurs découvrent que trois annonces immobilières très similaires ont été créées entre le 28 juillet et le 23 août 2018. L'exploitation des données de bornage des lignes téléphoniques utilisées par le "loueur" aboutit : huit jours après la disparition de Sophie, l'individu qui a publié les annonces est identifié et interpellé dans la soirée, alors qu'il circule en voiture. Il se nomme Jean-Marc Reiser. L'homme de 58 ans, étudiant en archéologie byzantine à l'Université de Strasbourg, est mis en examen pour "enlèvement", "séquestration" et "assassinat", puis placé en détention provisoire.

Ce fils de forestier alsacien cumule un considérable passé judiciaire. En 1997, il est interpellé lors d'un contrôle de routine des douaniers. Un arsenal d'armes de poing, un fusil à pompe, des cagoules, des stupéfiants, ainsi que des photos pornographiques sont découverts dans sa voiture. Sur les images, les femmes figurent dénudées et semblent inanimées. L'une d'elles est une ancienne maîtresse de Jean-Marc Reiser qui avait déposé plainte pour des viols en 1996 puis s'était rétractée. En examinant les déplacements passés du suspect, les enquêteurs font également le lien avec le viol d'une auto-stoppeuse allemande dans les Landes, en août 1995. Jean-Marc Reiser était en vacances dans la région au même moment. Cette victime, âgée de 22 ans, l'identifie alors formellement. 

Ces découvertes amènent à la condamnation de Jean-Marc Reisner en 2001, à Besançon, à quinze ans de réclusion criminelle pour deux viols dont un aggravé, sous la menace d'une arme. Une condamnation confirmée en appel en 2003. Avant sa condamnation aux assises, il avait tenté, au cours de l'été 2000, de s'enfuir du palais de justice, lors d'une audience de la cour d'appel qui examinait sa demande de mise en liberté. Cette tentative d'évasion lui a valu une autre condamnation, à huit mois ferme.

Le nom de Jean-Marc Reiser apparaît encore dans une autre affaire, jugée en 2001. Françoise Hohmann, représentante en électroménager à domicile de 23 ans, a disparu en 1987 à Strasbourg. Jean-Marc Reiser était son dernier client connu. Dans cette disparition, qui a des points communs avec celle de Sophie Le Tan, l'homme est cependant acquitté au bénéfice du doute. La procédure a cependant été rouverte en février 2020 pour "séquestration" et "recel de cadavre", à la lumière de nouveaux éléments.

"La date de disparition de Françoise, le lieu, les caractéristiques physiques sont autant d'éléments qui présentent des similitudes avec la disparition de Sophie."

Sylvie Correia, avocate de la nièce de Françoise Hohmann

à franceinfo

Les investigations réalisées dans l'affaire Hohmann permettent également d'établir l'hostilité de Jean-Marc Reiser envers les femmes. "On a découvert à ce moment-là qu'il s'agissait d'un homme extrêmement violent avec certaines compagnes", se souvient Valérie Gletty, ancienne avocate de la famille de Françoise Hohmann. 

Le 3 mai 2022, Jean-Marc Reiser est à nouveau condamné, à six mois de prison, pour subornation de témoin, après avoir envoyé une lettre à son ancienne concubine dans laquelle il l'invitait à "préciser ou modifier" ses précédents témoignages dans l'affaire Sophie Le Tan.

Un corps retrouvé un an après la disparition

Une page Facebook "Mobilisation pour retrouver Sophie Le Tan" est lancée en septembre 2018 pour fédérer les bonnes volontés. Rapidement, elle se transforme en association : Icared est fondée en 2019. Durant un an, des battues citoyennes sont organisées tous les week-ends dans l'espoir de retrouver le corps de la jeune femme. "Participer aux recherches, être actif, m'a énormément aidé. Rester chez soi dans l'attente, c'était trop difficile", confie Laurent, cousin de Sophie.

Le 23 octobre 2019, plus d'un an après la disparition de Sophie, une famille à la recherche de champignons découvre son squelette incomplet dans la forêt de Rosheim (Bas-Rhin). "Quelques jours avant, nous avions organisé une battue à deux kilomètres de l'endroit elle a été trouvée. On n'était vraiment pas loin, mais la forêt est tellement immense", regrette Frédéric Vinçon, vice-président de l'association. En mars 2019, une expertise a mis en évidence la présence de l'ADN de Sophie Le Tan sur le manche d'une scie trouvée à l'occasion de la perquisition de la cave de Jean-Marc Reiser. Deux mois plus tard, de nouvelles analyses révèlent la présence du sang de l'étudiante dans l'appartement du quinquagénaire, ainsi que sur ses chaussures.

Acculé, Jean-Marc Reiser revient sur ses premières déclarations. Il avait d'abord assuré ne jamais avoir vu Sophie Le Tan. Puis il avait affirmé devant la juge d'instruction, lors de sa première audition le 5 octobre 2018, avoir rencontré l'étudiante, blessée à la main, à la faculté de Strasbourg, puis lui avoir proposé de la soigner à son domicile. Mais il avait alors nié toute implication dans sa disparition. Une version devenue difficilement tenable selon ses avocats, alors que les éléments qui l'incriminent s'accumulent. "On lui disait qu'on n'allait pas forcément pouvoir le suivre sur un procès d'assises" s'il restait sur cette version, se remémore son conseil, Pierre Giuriato. C'est finalement le 19 janvier 2021, plus d'un an après la découverte du corps de Sophie Le Tan, que Jean-Marc Reiser, entendu à sa demande par le juge d'instruction, reconnaît son implication dans le décès de la jeune femme. 

"Jean-Marc Reiser n'a cessé de mentir ou de varier dans ses déclarations. Au départ, il affirmait ne jamais avoir vu Sophie et puis, grâce au travail de la police, il a daigné reconnaître l'avoir tuée."

Gérard Welzer, avocat de la famille Le Tan

à franceinfo

Le 16 février 2021, une reconstitution est organisée à Schiltigheim, dans l'appartement où s'est déroulé le crime, en présence de Jean-Marc Reiser. La procédure dure plus de huit heures.

La préméditation en question au procès

Malgré les aveux de Jean-Marc Reiser, des questions devront encore trouver des réponses durant le procès qui s'ouvre devant les assises du Bas-Rhin. Pourquoi Jean-Marc Reiser a-t-il tué Sophie Le Tan ? Cet acte était-il prémédité ? La jeune femme d'origine vietnamienne a-t-elle été ciblée "Le dossier montre que Jean-Marc Reiser consultait des sites pornographiques avec de jeunes filles asiatiques", assure l'avocat de la famille, qui ajoute "Sophie est tombée dans un piège. Monsieur Reiser l'a choisie [le jour du rendez-vous pour la visite d'appartement] en la regardant de son domicile avec des jumelles."

L'homme, qui comparaîtra pour "assassinat en récidive criminelle" après le rejet d'un pourvoi en cassation, réfute toujours catégoriquement toute préméditation. "Il va rester inflexible là-dessus" durant le procès, prévient son conseil. 

"L'accusation soutient que la mort de Sophie vient d'un stratagème pour tendre un piège de manière froide, calculée. Ce scénario, nous le contestons. Nous, ce qu'on dit, c'est qu'il s'agit de violences volontaires qui ont entraîné la mort sans intention de la donner."

Pierre Giuriato, avocat de Jean-Marc Reiser

à franceinfo

"L'enjeu du procès, c'est avant tout de le juger pour les faits odieux qu'il a commis", balaie Gérard Welzer, qui souhaite que la famille Le Tan puisse commencer son travail de deuil. "C'est un moment que nous attendons depuis longtemps. La blessure va se rouvrir, ça va être très douloureux", appréhende Laurent, cousin de la victime. "Mais il faut qu'il y ait une condamnation, pour qu'il y ait justice", martèle-t-il. Jean-Marc Reiser encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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