Affaire Grégory : quatre questions sur l'annulation de la garde à vue de Murielle Bolle
La cour d'appel de Paris a annulé la garde à vue du 2 et 3 novembre 1984 au cours de laquelle elle accusait son beau-frère Bernard Laroche du meurtre du petit Grégory. Mais certaines déclarations de l'adolescente resteront bien dans le dossier.
Nouvelle étape dans l'interminable affaire Grégory. Plus de 35 ans après la mort de Grégory Villemin, 4 ans, dont le corps a été retrouvé sans vie le 16 octobre 1984 dans la Vologne à Docelles (Vosges), la cour d'appel de Paris a annulé la garde à vue de Murielle Bolle du 2 et 3 novembre 1984. Face aux gendarmes, l'adolescente de 15 ans, témoin-clé de l'affaire, avait accusé Bernard Laroche, son beau-frère, du meurtre de l'enfant de son cousin Jean-Marie Villemin. Elle avait réitéré ses accusations face au juge Lambert le 5 novembre avant de se rétracter deux jours plus tard devant les caméras, assurant qu'elle avait subi des pressions des gendarmes.
La cour d'appel de Paris a suivi l'avis de la Cour de cassation qui, en février 2019, avait reconnu que cette garde à vue avait été effectuée en application de dispositions "inconstitutionnelles". Mais elle a maintenu au dossier les déclarations de l'adolescente effectuées lors des auditions préalables face aux gendarmes et celles réalisées face au juge d'instruction. Une décision qui satisfait "globalement" Jean-Paul Teissonnière, l'avocat de Murielle Bolle, mais qui ne résout pas grand-chose dans cette affaire qui n'a toujours pas livré tous ses secrets.
Qu'a dit Murielle Bolle lors de sa garde à vue ?
Lorsqu'elle pénètre dans les bureaux de la gendarmerie de Bruyères dans la matinée du 2 novembre 1984, Murielle Bolle a déjà été auditionnée deux fois par les gendarmes en tant que témoin. Le 31 octobre et le 1er novembre, elle assure être rentrée du collège avec le car scolaire et confirme l'alibi de Bernard Laroche, le mari de sa sœur. Ce dernier a déclaré aux gendarmes avoir vu sa belle-sœur chez la tante Louisette le 16 octobre 1984 en fin d'après-midi, au moment où le petit Grégory était enlevé devant sa maison à Lépanges-sur-Vologne (Vosges).
Mais la police espère confronter l'adolescente à certaines contradictions. Après quelques heures et plusieurs relances, elle finit par craquer.
Je vous ai menti. Le mardi 16 octobre, je n'ai pas pris le car en sortant du collège. Alors que je me rendais au car comme d'habitude, j'ai été appelée par mon beau-frère, Bernard Laroche. Il m'a appelée 'Bouboule', mon surnom.
Murielle Bolleextrait du procès-verbal du 2 novembre 1984
La suite de cette déposition, reconstituée dans l'épisode 2 du documentaire La Malédiction de la Vologne, réalisé par Pierre Hurel, raconte le déroulé de cette fin d'après-midi du 16 octobre. "On s'est rendus a Lépanges-sur-Vologne [où habitent les Villemin]. Bernard s'est arrêté, il est descendu de la voiture sans me donner aucune explication. Bernard est revenu avec un petit garçon que je ne connaissais pas. Il le conduisait par la main, a ouvert la portière et l'a fait monter", explique Murielle Bolle aux gendarmes.
"Elle déclare que l'enfant monté dans le véhicule de Bernard Laroche était bien celui qu'elle a vu le lendemain dans le journal", écrit Laurence Lacour dans son livre Le Bûcher des innocents. La voiture reprend ensuite son chemin direction Docelles (Vosges), village situé à quelques kilomètres de Lépanges. "A cet endroit, Laroche est descendu, dit-elle, avec le petit garçon puis, quelques instants plus tard, est revenu seul", poursuit la journaliste. "Elle raconte le scénario de l'enlèvement et de la disparition du petit Grégory", souffle le capitaine de gendarmerie Etienne Sesmat dans Grégory, un documentaire produit par Netflix.
Pourquoi cette garde à vue posait problème ?
Le 7 novembre 1984, lorsqu'elle s'exprime devant les journalistes pour revenir sur ses déclarations, Murielle Bolle affirme que les gendarmes l'ont menacée. "Il y a un gendarme qui a élevé la voix et j'ai eu peur. Ils m'ont dit que Bernard Laroche avait fait ça et j'ai montré pareil", lâche-t-elle.
Dans son livre Briser le silence, Murielle Bolle revient, sur une dizaine de pages, sur cette garde à vue du 2 novembre 1984, qu'elle nomme "les 24 heures". Elle y raconte que personne ne lui explique quels sont ses droits, "ni ne m'explique quoi que ce soit". En effet, en 1984, l'ordonnance de 1945 sur "l'enfance délinquante" ne prévoyait alors aucune mesure spécifique s'agissant de la garde à vue des adolescents. Murielle Bolle, qui s'était donc retrouvée à l'époque seule face aux gendarmes à 15 ans, estime donc que ses droits fondamentaux ont été bafoués.
L'année de la sortie de son livre, en 2018, elle avait ainsi déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel lui avait donné raison le 16 novembre 2018. En février 2019, la Cour de cassation avait suivi cette décision. A l'époque, l'avocat de Murielle Bolle, Jean-Paul Teissonnière, avait salué "une date importante à la fois sur le plan juridique mais également sur le plan symbolique". Il expliquait que sa cliente aurait dû bénéficier de l'assistance d'un avocat dès la première heure de garde à vue, "comme elle en a bénéficié en 2017, quand elle a été remise en garde à vue. Alors qu'elle était âgée de 15 ans et qu'elle était entendue par les services de gendarmerie, elle n'a pas bénéficié d'assistance d'un avocat, et c'est pour l'essentiel pour cette raison que la garde à vue a été annulée". En annonçant sa décision jeudi 16 janvier, la cour d'appel de Paris n'a fait que suivre la voie ouverte.
Que reste-t-il dans le dossier ?
La cour d'appel n'a pas effacé tout le contenu de cette garde à vue. Son procès-verbal comporte six pages mais se décompose en deux parties, rappelle Le Parisien. Sur trois pages, on trouve la déposition de la matinée, dans laquelle Murielle Bolle confesse avoir menti et démonte l'alibi de son beau-frère. Puis l'autre partie, à partir de 13h30, au cours de laquelle "en un peu plus d'une heure, Murielle fournit une nouvelle version de son emploi du temps et de celui de Bernard Laroche le soir du crime", écrit la journaliste Laurence Lacour dans Le Bûcher des innocents. La cour d'appel, conformément aux réquisitions du parquet général, n'a supprimé que les trois dernières pages.
Il reste également les premières déclarations de Murielle Bolle lors de ses auditions face aux gendarmes effectuées en tant que témoin, le 31 octobre et 1er novembre. Elle mentionne alors son retour en bus du collège le 16 octobre 1984 et avoir vu son beau-frère chez la tante Louisette lorsqu'elle y arrive en fin d'après-midi. Est conservé également le contenu de son audition face au juge Lambert le 5 novembre 1984. Ce jour-là, lorsqu'elle rencontre pour la première fois le magistrat, elle réitère les propos tenus lors de sa garde à vue deux jours plus tôt. "Elle réaffirme, sans notre présence, tout ce qu'elle nous a dit le vendredi et le samedi [les 2 et 3 novembre 1984]", décrit le capitaine Etienne Sesmat, dans le documentaire intitulé Grégory.
Nous avons, aussi bien les gendarmes que moi-même, interrogé longuement Murielle qui, à chaque fois, a bien confirmé ce qu'elle avait dit. J'ai bien mis l'accent sur l'engagement qu'elle prenait et à chaque fois, elle a maintenu.
Le juge Lambertsur Europe 1, le 5 novembre 1984
C'est sur la base de ce témoignage que Bernard Laroche est interpellé sur son lieu de travail le 5 novembre, devant les caméras de télévision. Il est ensuite inculpé d'assassinat par le magistrat.
Est-ce que l'enquête va continuer ?
Oui. L'enquête va désormais se poursuivre à Dijon, a déclaré à l'AFP le procureur général de la cour d'appel de Dijon Jean-Jacques Bosc, qui s'est félicité du maintien dans le dossier de certaines déclarations de Murielle Bolle. "C'est un élément important, ça préserve des pièces importantes", a-t-il dit. L'avocat des parents de Grégory Villemin, François Saint-Pierre, s'est lui aussi réjoui "que l'enquête puisse se poursuivre". Car il reste des questions en suspens. Comment Murielle Bolle est-elle rentrée du collège ce 16 octobre 1984 ? En bus, comme elle le soutient depuis sa volte-face, alors que ses amis n'ont jamais confirmé sa présence à bord du véhicule et qu'elle a décrit le mauvais chauffeur ?
L'audition face au juge est également "une pièce importante car, lors de cet interrogatoire, le juge insiste bien de savoir si elle est certaine de confirmer ses propos", estime une source proche du dossier au Parisien. Malgré ces pièces et les interrogations qui subsistent, Jean-Paul Teissonnière se veut serein sur le futur de sa cliente. "Les quelques déclarations de Murielle qui subsistent n'ont pas beaucoup d'importance car plus personne ne soutient que ce qu'elle a déclaré correspond à la réalité", a-t-il affirmé, soulignant que sa cliente en avait "marre" et "souhaiterait qu'on la laisse tranquille". "Le scénario qu'elle a décrit reste pour nous tout à fait valable", objecte l'avocat des parents de Grégory Villemin qui se battent toujours pour connaître la vérité.
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