Témoignages Au procès des viols de Mazan, le soutien sans faille du public envers Gisèle Pelicot, "ce petit bout de femme incroyablement forte"

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Gisèle Pelicot remercie le public, dans la salle des pas perdus du tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 23 septembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
Chaque jour, des dizaines de personnes de tous âges se pressent au tribunal judiciaire d'Avignon pour tenter d'entrer dans la petite salle de retransmission de 60 places, seul moyen pour le public d'assister aux audiences.

"Je suis là pour soutenir madame Pelicot". Cette phrase revient presque systématiquement dans la bouche des dizaines de femmes de tous âges qui, comme Sonia, 60 ans, se pressent chaque matin devant le tribunal judiciaire d'Avignon, au procès des viols de Mazan. Les plus matinales font le pied de grue dès 7h15. Les portes ouvrent en général une heure après. Ensuite, c'est toujours la même précipitation pour passer les contrôles de sécurité et réussir à entrer dans la petite salle de retransmission de l'audience, qui dispose de 60 places.

Depuis l'ouverture du procès le 2 septembre, elles sont de plus en plus nombreuses à honorer ce rendez-vous de soutien à la victime. Essentiellement des femmes, mais aussi quelques hommes. Certaines s'y rendent dès qu'elles le peuvent et sont devenues des visages familiers. D'autres viennent plus ponctuellement, parce qu'elles habitent Avignon ou sont de passage dans la région. Des étudiantes, des actives, des mères de famille, des retraitées... Impossible de dresser un profil type. Quelques femmes politiques se sont mêlées au public, comme la députée Sandrine Josso, elle-même victime de soumission chimique, ainsi que la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier. Au fil des semaines, l'affluence a augmenté, et il n'est pas rare que certaines se fassent refouler, faute de place.

"On a envie de leur dire : 'Soyez des hommes, assumez !'"

Parmi ces habituées figurent Roselyne et Mireille, respectivement âgées de 65 et 64 ans. Elles suivent l'affaire depuis le début et éprouvent "beaucoup de colère" après avoir entendu les interrogatoires de plusieurs accusés, la semaine du 23 septembre. "Quand ils disent : 'Je ne savais pas que c'était un viol', mais qu'on voit sur les vidéos qu'ils font attention à ne pas faire de bruit... On a envie de leur dire : 'Au moins, soyez des hommes, assumez ce que vous avez fait !'", s'agacent les retraitées en chœur. Toutes deux louent "le courage" de Gisèle Pelicot. "Une déesse", glisse Roselyne, émue.

Bérangère, qui a roulé trois quarts d'heure depuis son village de Cabrières-d'Avignon, est également fascinée par "ce petit bout de femme, incroyablement forte". Cette quinquagénaire dit avoir vécu "un choc" lorsqu'elle a découvert l'affaire. "On se rend compte que la question de la soumission chimique est très peu connue. Cela peut arriver à n'importe qui", souligne-t-elle. Elle s'inquiète notamment "pour les jeunes", qui peuvent être soumises à "la drogue du violeur dans les verres [le GHB]", mais assure ne pas avoir "changé de regard sur les hommes" pour autant.

Bérangère, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 14 octobre 2024. (JULIETTE CAMPION / FRANCEINFO)

Dans la file d'attente, on refait "ce procès historique". "L'affaire du siècle", disent même certaines. Ce n'est pas vraiment l'avis d'Eve, qui discute à voix basse avec une femme à côté d'elle. "Je suis gendarme, ça fait plusieurs semaines qu'on en parle avec mes collègues, alors je suis venue voir". "Pour moi, ce procès n'a rien de hors norme : c'est juste qu'on en a chopé 51 [hommes] en même temps. C'est vraiment la particularité. Les faits, en eux-mêmes, n'ont malheureusement rien de surprenant", affirme cette fonctionnaire de 36 ans, cheveux courts et casque de moto à la main. Elle salue "le travail décisif des enquêteurs" et assure que les gendarmes ont désormais toujours pour consigne de fouiller les téléphones des suspects, dans n'importe quelle "infraction à caractère sexuel". "Parfois, on a des petites surprises…", ajoute-t-elle, sans en dire davantage. 

"On dirait vraiment une rockstar"

Selon les générations, chacune suit le procès différemment : les plus âgées lisent la presse régionale et s'informent essentiellement par la télévision. Les plus jeunes s'abreuvent sur les réseaux sociaux, comme Angélique, 33 ans, qui suit "toutes les audiences sur le réseau social X, pour ne rien rater et avoir tous les détails".

Cette manipulatrice radio, venue sur ses jours de repos, a pris en charge certains accusés, dont Dominique Pelicot, dans le cadre de son travail. "On fait des radios à tous les arrivants au Pontet [le centre pénitentiaire d'Avignon]", précise-t-elle. "Je ne savais pas ce qu'on leur reprochait à l'époque... Maintenant, ça me fait bizarre. Ce que vit Gisèle Pelicot me touche personnellement", ajoute-t-elle, alors que la septuagénaire passe devant le public, sous les applaudissements et les "Bravo".  

"On dirait vraiment une rockstar", s'émerveille Nathalie, maître de conférences en sociologie à Paris, encore surprise de l'émotion qu'elle a ressentie lorsque Gisèle Pelicot s'est approchée d'elle pour remercier le public. "Clairement, il se passe un truc, un peu comme avec les applaudissements pendant le confinement", compare la chercheuse de 47 ans. 

"Contrairement à Gisèle Halimi, à laquelle on fait beaucoup référence dans ce procès, ce n'est pas l'avocate qui porte le charisme : c'est la victime."

Nathalie, maître de conférences en sociologie

à franceinfo

"Elle montre qu'elle a eu raison de demander l'absence de huis clos", estime Zoé, 22 ans, qui suit un master 2 en droit de l'exécution des peines, à la faculté d'Aix-en-Provence. L'étudiante, qui s'informe principalement sur TikTok, s'est déplacée avec son amie Marie, qui a intégré un master 2 en droit des assurances dans la même université.

"C'est le procès de la lâcheté des hommes"

S'il y a bien un procès à suivre dans la continuité de MeToo, c'est celui-là", lance cette dernière, pour qui Gisèle Pelicot est une "bonne victime". Elle s'explique et décrit une femme "droite, fière, et qui dispose de centaines de vidéos comme preuves matérielles. Mais beaucoup d'autres femmes n'ont pas cette chance. Les viols, d'habitude, c'est la parole de l'un contre la parole de l'autre, et on croit rarement la personne violée dans l'histoire", regrette la jeune femme.

Zoé (à gauche) et Marie (à droite), devant l'entrée de la salle de retransmission, à Avignon (Vaucluse), le 9 octobre 2024. (JULIETTE CAMPION / FRANCEINFO)

Sonia, qui arrive toujours en avance à l'audience, a effectué dix fois le déplacement depuis son village de Saint Saturnin-lès-Avignon, à une dizaine de kilomètres. "La première audience à laquelle j'ai assisté, c'était l'interrogatoire de monsieur Pelicot, le 17 septembre. Cet homme, c'est vraiment le pervers narcissique dans toute sa splendeur : hyper sûr de lui, qui contredit les accusés dès qu'il le peut", observe la sexagénaire.

Et les hommes dans tout ça ? "On est très faiblement représentés", reconnaît Jacques, Avignonnais de 77 ans. Ce "retraité actif", comme il se définit, est venu une douzaine de fois au procès, malgré un handicap à la jambe droite qui l'empêche de marcher normalement. "Je remarque que les hommes autour de moi n'aiment pas trop qu'on leur parle de l'affaire. Ils se sentent peut-être accusés d'être des hommes, tout simplement", analyse-t-il, avec un rire nerveux.  

"Dans ce procès, tous les hommes ne sont pas des violeurs mais tous les violeurs sont des hommes".

Jacques, retraité

à franceinfo

"Je ne parle pas de cette affaire avec tout le monde, parce que j'ai l'impression que certains me considèrent comme un voyeur, alors que ce ne sont pas les images qui m'intéressent, mais les débats entre avocats, experts, avec le ministère public…", se défend cet ancien commercial dans un grand groupe européen.

Jacques, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), le 9 octobre 2024. (JULIETTE CAMPION / FRANCEINFO)

Le septuagénaire dit ressentir "une part de dégoût" devant les faits, et s'interroge : "Comment peut-on avoir un acte sexuel avec une personne qui ressemble plus à un pantin qu'à une femme ? Comment peut-on avoir du désir ?" Même ressenti du côté de Walid, qui peine à trouver les mots pour qualifier ce qu'il ressent. L'étudiant de 19 ans se dit "dégoûté" par les faits. Il vient pour entendre les arguments des accusés et voir "comment ils tentent de s'en sortir".

Marc, très prolixe, se dit "hyper en colère" de ce qu'il entend lors des audiences, notamment les dénégations des accusés. "J'ai dû aller faire du sport après les interrogatoires pour extérioriser. Sinon, ça aurait été la pire journée de ma vie", assure celui qui vient régulièrement et se décrit comme "un mâle blanc de 50 ans" faisant partie "des privilégiés du système". Il pensait que ce serait un procès pour l'histoire, "comme celui de Klaus Barbie". "Mais, d'après ce que je vois pour l'instant, il ne va rien en sortir : chacun cherche à se renvoyer la responsabilité, personne ne vient et assume", blâme-t-il. "Pour moi, c'est le procès de la lâcheté des hommes".

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